Economie : la crise en Côte d’Ivoire continue

La fermeture des établissements bancaires et financiers, au plus fort de la crise ivoirienne, a été un véritable choc pour le fonctionnaire, l’homme d’affaires ou le petit épargnant. Pour contourner cet autre ''embargo'' économique et financier, les populations vivant en Côte d’Ivoire n’ont pas manqué d’imagination. Mais elles ne sont pas au bout de leurs peines. 

Selay Marius Kouassi, Abidjan, Côte d’Ivoire

Les banques n’ont pas échappé à la guéguerre que se livraient Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara pour le contrôle des ressources du pays en vue de l’exercice effectif du pouvoir exécutif.
Chacun des protagonistes voulait que les établissements bancaires tombent dans son escarcelle. Contre toute attente, les banques commerciales ont fermé les unes après les autres à un rythme très accéléré, après la fermeture de l’agence nationale de la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest).

Tapa
Stéphanie Adjé est une femme d’affaires à Abidjan. Depuis des années, elle exporte le "Tapa", le pagne traditionnel Ivoirien, qu’elle vend sur le marché Ouest-Africain. Elle a des amis et des proches parents au Ghana voisin. Comme beaucoup d’habitants de la Côte d’Ivoire, elle a choisi de se tourner vers ce pays calme et stable pour recevoir de l’argent.

''Mes clients sont éparpillés un peu partout dans le monde. Ils ne peuvent plus passer de commande en Côte d’Ivoire. Ils ne peuvent plus expédier de l’argent à cette destination non plus. Tout le système bancaire est hors-circuit. Ils transfèrent donc l’argent à des amis au Ghana et je m’y rends pour le récupérer ensuite'', affirme Stéphanie.

Pâtisserie
Marie-Madelaine Ahou, elle aussi, prend souvent la direction du Ghana pour y retirer l’argent que son fils, un employé de pâtisserie dans une capitale européenne, lui expédie. Mais pour Marie-Madeleine, c’est la croix et la bannière.
''Sur place, après avoir retiré l’argent, il faut faire des changes. A ce niveau déjà, s’opèrent d’énormes pertes. On nous exploite, puisque nous ne maîtrisons pas le taux qui, lui, fluctue à chaque fois. Aussi, sur le chemin du retour, il faut encore payer des pots de vin aux nombreux check-points des forces de sécurité'', affirme, amère, Marie-Madeleine.

Opérateurs mobiles
Ceux qui ne peuvent pas se rendre dans des pays limitrophes pour y retirer de l’argent se sont tous tournés vers des opérateurs mobiles, qui ont mis en place des systèmes de transfert d’argent via le téléphone portable. Là aussi, ce n’est pas sans risque.
Une nouvelle catégorie d’arnaqueurs a surgi, certainement des experts en sécurité informatique, qui piratent les codes de transfert, encaissent l’argent, avant de détruire la carte SIM qui leur a permis de le faire et de disparaître de la circulation.

Faux billets
L’ombre d’une autre menace bien plus grande a plané sur Abidjan et les principales villes ivoiriennes : le phénomène des faux billets de banque. Les faux billets de banque circulaient un peu partout. Chacun à sa méthode pour tester les billets ; elles sont aussi rudimentaires, rustiques qu’hilarantes.

Entouré d’une foule hétéroclite, Sévérin Boidou, qui se fait passer pour un expert en monnaie, explique comment vérifier qu’un billet de banque est authentique : ''Tu froisses le billet et tu le jettes par terre. S’il se déplie lentement, alors c’est la preuve que c’est un vrai. Tu peux y mettre un peu de salive et frotter lentement à l’aide du pouce. Si les écritures sur le billet se détachent, alors c’est un faux''. La foule satisfaite applaudit.

Si tous ces procédés n’ont pas l’avantage d’authentifier objectivement le billet, au moins ils ont l’avantage de rassurer celui ou celle qui le reçoit ou qui l’offre.

Troc
Certains sont même allés jusqu’au troc pour survivre.

''Avec ma tubercule d’igname en main, je tapais à la porte de mon voisin pour voir s’il n’avait pas un peu d’huile ou du sucre à me donner en échange de ladite tubercule. Quand ce n’était pas le cas, je trouvais un autre qui avait du charbon et qui pouvait la préparer pour qu’on la mange ensemble'', reconnaît Claude Dasso.

Récupérer de l’argent dans un pays voisin via les agences de transfert internationaux d’argent ; faire des transferts en interne via les opérateurs de téléphonie mobile ; faire du troc parfois ou mettre un peu de salive sur un billet de banque pour s’assurer que c’est un vrai ; tous ces procédés ont quelques fois marché, mais pas toujours aussi facilement. Désormais, tous, ont le regard tourné vers les banques.

Veiller au grain
« Je n’attends pas qu’on lance un communiqué d’ouverture des banques avant de m’y rendre. D’ailleurs, personne n’a lancé de communiqué pour annoncer leur fermeture. On a tous été surpris par les faits. Alors depuis que le calme est revenu à Abidjan, chaque jour je passe devant ma banque pour voir s’il y a des signes d’une éventuelle ouverture'', affirme Placide M’Bra, ingénieur à Abidjan.

''Cette fois-ci, je veille au grain. Je serai le premier devant ma banque quand elle ouvrira'', ironise, l’ingénieur, qui, comme beaucoup d’Ivoiriens, continue de souffrir de la fermeture des banques, malgré les mesures de contournement qu’ils essaient de mettre en place.