Un travail de mémoire contre l’oubli. Susciter la réflexion sur la traite négrière dont les conséquences sont encore visibles, mais aussi, créer le débat sur la problématique de gestion des mémoires douloureuses. Tel a été l’objet de la table ronde tenue hier à Gorée, dans le cadre de la commémoration de la journée internationale du souvenir de la traite négrière, sur le thème « Gorée et les mémoires de la traite atlantique ».
Défini comme étant la privation de liberté sous la contrainte, l’esclavage a vu des millions d’Africains déportés vers les Amériques, dans le cadre de la traite atlantique. Une pratique qui s’est déroulée quatre cent quatre ans durant (entre 1444 et 1848). En cette journée du souvenir du 23 août, « nous Africains devons faire l’effort de procéder à un travail d’introspection, d’interrogation sur les conséquences philosophiques, historiques de la traite négrière », a suggéré dans sa communication, Amady Bocou, directeur du Patrimoine qui, pour la circonstance, a revêtu sa casquette d’historien.
Dans ce travail de mémoire, il s’agira de se « demander pourquoi cette traite a eu pour cadre l’ Afrique et a duré si longtemps, pourqoui l’Afrique n’a pas su bien résister ».
Dans une tentative de réponse, Amady Bocoum convoque certaines réalités historiques, des failles qui ont fait le lit de cette traite. A cette époque, a-t-il dit, « les Africains n’étaient pas aussi dépourvus de technologie comme l’affirment certains, mais celle-ci était plutôt destinée au service du quotidien pour des besoins primaires. A cela s’ajoute la déformation de certaines réalités. « Nos héros de l’histoire ne sont pas forcément ceux que l’on croit », a laissé entendre le directeur du Patrimoine. Et pour cause ! L’historien a mis en relief « la défaite de Soundjata Keïta devant Soumanourou Kanté, qui s’était beaucoup impliqué dans la traite transaharienne ». D’où « l’interrogation sur la casquette de héros que l’on fait porter à Soundjata Keïta », a soutenu Amady Bocoum.
Ce qui amène à se poser des questions sur la responsabilité des Africains dans la traite négrière. « Quand un peuple est vaincu, il y a forcément des collaborateurs », a-t-il accepté. Suggérant même qu’il ne faut pas se taire sur la question. Sous ce registre, « nous devons faire la différence entre les faits historiques et le travail de mémoire », a-t-il ajouté. Une idée reprise dans son intervention par le Pr Ibrahima Thioub, également historien à l’université Cheikh Anta Diop. Dans ce rapport entretenu entre la mémoire et l’histoire, « il devient nécessaire de mettre en contexte, d’identifier les acteurs, leurs intérêts, leur position sociale et leur culture », a affirmé M. Thioub. Pour se faire, « nous devons poser un regard critique sur le rôle des Africains si nous voulons rompre avec les héritages malsains de la traite ». Ainsi, a-t-il argumenté, « dire qu’aux 17è et 18 siècles, les Africains vivaient dans l’harmonie céleste, qu’il n’y avait pas de contradiction est une approche qui infantilise nos ancêtres ». Dans cette entreprise de travail de mémoire, nous devons procéder à une lecture froide, objective de notre histoire pour entreprendre notre avenir », a appelé Amady Bocoum.
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