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Présidentielle nigériane: le mandat Buhari à l'heure du bilan

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Présidentielle nigériane: le mandat Buhari à l'heure du bilan

Economie, lutte contre la corruption, sécurité étaient les grands thèmes de la campagne de Muhammadu Buhari en 2015. Les trois axes aussi de son mandat présidentiel. Quatre ans après la première transition démocratique de l’histoire du Nigeria, le bilan du chef de l'Etat sortant n'est pas reluisant.

C'est l'histoire d'un désenchantement. Elle commence en 2015. Après seize années de pouvoir exclusif du People's Democratic Party (PDP), une coalition de trois partis d'opposition - le All Progessive's Congress (APC) - émerge et porte aux nues un candidat du Nord, tant attendu après le décès au pouvoir d'Umaru Yar'Adua en 2010.Et qu’importe si l'ancien général est âgé et austère, il est, à n'en pas douter, cet homme à poigne qui remettra le pays dans le droit chemin. Les Nigérians se prennent alors à rêver.

« L'incorruptible » putschiste qui a su imposer de fortes mesures entre 1983 et 1985 va mettre un terme au mal qui gangrène le géant pétrolier depuis de très longues années. Le clientélisme va disparaître entraînant avec lui la fin du soutien des parrains politiques. Dans les songes les plus audacieux, le militaire va également terrasser l'insurrection des islamistes de Boko Haram, alors qu'une « révolution verte » garantit déjà aux 190 millions d'habitants une sortie de la dépendance au pétrole. L'homme providentiel n'a pas lésiné sur les promesses. Mais à l'heure du bilan : le constat est amer.

Une économie en berne

D'après le baromètre World Poverty Clock, le Nigeria est désormais le pays au monde qui compte le plus grand nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté (87 millions), devant l'Inde. Il faut dire que l'ancien général n'a pas bénéficié d'une conjoncture favorable. Peu après son élection, le prix du baril chute. Dans un pays où l'or noir compte pour 70 % des revenus de l’Etat et 90 % des revenus d’exportations en devises étrangères, les conséquences sont considérables.

Dès 2016, le Nigeria plonge dans la plus importante récession économique de ces 25 dernières années. En dépit d'une reprise à la hausse de la courbe en 2017, la croissance du géant ouest-africain demeure fragile. Selon le Bureau national des statistiques (NBS), elle s'établit à 1,9 % pour l'année 2018, loin de la croissance à deux chiffres fantasmée au début de la décennie.

« La diversification de l'économie promise par le candidat Buhari en 2015 n'a pas eu lieu », analyse Benjamin Augé, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI). « Des efforts ont été faits sur la question minière et en dehors de quelques changements dans l'agriculture – qui avaient déjà été amorcés sous Goodluck Jonathan – le budget du Nigeria est presque toujours entièrement dépendant des recettes pétrolières. »

Impact direct : de longs retards de paiement des salaires des fonctionnaires et des augmentations de taxes dans certains Etats. Le ralentissement des exportations a entraîné une lourde pénurie de devises étrangères ce qui a favorisé l'inflation. Quant au chômage, il s'est envolé : 23,1 % au troisième trimestre 2018, selon les données publiées en décembre dernier par le NBS. Soit cinq points de plus qu'il y a un an à la même période.

Une lutte contre la corruption en demi-teinte

L'autre grande promesse du candidat Buhari en 2015, c'était la lutte contre la corruption. Mais là encore, le bilan n'est pas fameux. Selon l'indice établi par Transparency International, le Nigeria est classé 144 sur 180 pays en 2018. « La perception de la corruption n'a enregistré aucun progrès ni amélioration au sein de l'administration publique en 2018 », écrit l'ONG dans son dernier rapport. N'en déplaise aux autorités, l'inculpation d'importantes personnalités pour détournement d'argent s'apparente à une succession d'effets d'annonces. Certes, Ibrahim Magu, le très combatif patron de l'agence gouvernementale anticorruption, la Commission sur les crimes économiques et financiers (EFCC), a permis de retrouver des millions d'euros bienvenus dans les caisses de l'Etat en période de crise. Et s'il peut aussi se prévaloir de l'arrestation de plusieurs gros bonnets, pratiquement aucune condamnation judiciaire n'a été prononcée. Seule personnalité de premier plan à avoir été traduite devant la justice : Bukola Saraki, le président du Sénat qui a finalement été blanchi en juillet dernier des accusations de fausses déclarations de patrimoine.

« Sans réforme de la justice, la lutte contre la corruption reste incomplète », rappelle Benjamin Augé. « Il peut y avoir des enquêtes et des arrestations, mais tant que personne n'a peur d'aller en prison cela n’entraîne pas un cercle vertueux et la corruption perdure. » Pire : l'EFCC a essentiellement révélé les scandales mettant en cause l'administration précédente, celle de l'ancien président Goodluck Jonathan (2010-2015). Ngozi Olejeme, la responsable des finances de sa campagne en 2015, a été arrêtée. L’ancienne ministre du Pétrole, Diezani Alison-Madueke, a elle aussi été arrêtée à Londres en octobre 2015. Accusée de « blanchiment d’argent », l’ancienne première dame, Patience Jonathan, a vu quatre de ses comptes gelés pour un montant équivalent à 13,9 millions d’euros. « Muhammadu Buhari n'a pas mené la lutte contre la corruption comme il se devait », déplore Eze Onyekpere, directeur du Centre pour la justice sociale (CSJ), une ONG nigériane. « Il a transformé un enjeu national extrêmement populaire en une vendetta personnelle, une véritable machine à chasser les opposants politiques. Il suffit d'ailleurs de rejoindre les rangs de son parti l’APC pour être absous de tout soupçon de corruption. »

Dernier épisode en date de cette « chasse aux sorcières » : le procès du président de la Cour suprême. Fin janvier, le juge Walter Onnoghen -très critique vis-à-vis du pouvoir- a été accusé de ne pas avoir déclaré plusieurs comptes en euros, livres et dollars. Absent aux audiences de son procès devant le Tribunal du code de conduite (CCT), le plus haut magistrat du pays, qui peut intervenir en dernier recours pour juger les éventuels litiges électoraux, a finalement été suspendu par le chef de l'Etat sortant et remplacé par un homme du Nord, comme lui. « Une manœuvre inconstitutionnelle », selon les juristes. Un « acte digne d'une dictature », pour l’opposition, à la veille du scrutin.

Echec de la sécurité nationale

Peu après son élection en avril 2015, Muhammadu Buhari s’était fixé comme deadline le mois de décembre pour se débarrasser de Boko Haram. Promesse tenue : deux jours avant Noël, son ministre de l’Information, Lai Mohammed, déclarait à la presse qu’il pouvait affirmer « avec confiance » que « la guerre contre Boko Haram avait été largement remportée ». Des propos que l'administration Buhari n'a depuis jamais cessé de marteler. Allant jusqu’à déclarer avoir terrassé les islamistes. Dans les faits, « la guerre contre le groupe n'a jamais été gagnée et Boko Haram n’a pas disparu », note Laurent Fourchard, chercheur au Céri-Sciences Po, « même si le niveau de violence a considérablement baissé : on est passé de 4 à 5 000 morts/an en 2015 à 400/500 morts/an. »

Dès le début du mandat de Buhari, les offensives répétées de l’armée nigériane ont permis la reprise de plusieurs localités aux mains des insurgés dans l'Etat de Borno, telles que Baga, Bama, Gamboru Ngala, etc. « Malheureusement, à partir du moment où les militaires reprennent une zone, ils ne la tiennent pas longtemps », décrypte Benjamin Augé. « Il y a de bout en bout, un problème de stratégie militaire et de moyens financiers alloués à l'armée (...) Il faut y ajouter un sérieux problème de compétence et de volonté de l'Etat qui tarde à se réinstaller dans les zones reconquises ce qui entraîne le retour des combattants de Boko Haram. »

Si le groupe ne contrôle plus de territoire, il dispose encore de bases opérationnelles dans les zones rurales du Nord-Est et sur le pourtour du lac Tchad. C’est là que serait notamment installé le Groupe de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) la branche de Boko Haram dirigée par Abou Mossab al-Barnaoui, le fils du fondateur de la secte, Mohamed Yusuf. Contrairement à la faction d'Abubakar Shekau, le jeune jihadiste de 25 ans cherche à s'attirer le soutien des populations en ne visant que les militaires.

Baga, Zari, Jilli, les attaques se sont intensifiées depuis juillet 2018 dans les Etats de Borno et Yobe. Assauts de casernes où de check-point : le bilan humain et matériel est lourd pour l’armée nigériane. Les insurgés, eux, renforcent leur arsenal et font resurgir le spectre d'un retour aux années noires. Un gros caillou dans la botte de l'ancien général. D'autant qu'aujourd'hui, l'insécurité n'est plus localisée. « On assiste à une expansion des violences à d'autres zones », décrypte Eze Onyekpere. « On a atteint un niveau de violence entre éleveurs et agriculteurs sans précédent dans la Middle Belt, sans compter ces gangs et autres bandits qui pullulent désormais sur l'axe Katsina-Zamfara. La situation semble relativement incontrôlable, se désole l'avocat. C'est un échec patent. Buhari n'a pas fait mieux que ses prédécesseurs. »



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