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Sept ans de guerre en Syrie : "L'Occident ne veut pas s'avouer qu'il a perdu"

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Sept ans de guerre en Syrie : "L'Occident ne veut pas s'avouer qu'il a perdu"

Alors que les combats font rage dans la Ghouta orientale et à Afrin, la Syrie entre ce jeudi dans sa huitième année de guerre. Dans ce conflit aux multiples acteurs, Bachar al-Assad reste le vainqueur, selon le chercheur Fabrice Balanche.

C’était 15 mars 2011. La Syrie, gouvernée d’une main de fer depuis 40 ans, d'abord par Hafez al-Assad, puis par son fils Bachar, est rattrapée par le printemps arabe. Des manifestations, pourtant interdites par une loi d’urgence de 1963, sont organisées à Damas et plusieurs villes du pays. Les mots d’ordre ? Dénoncer la corruption, la tyrannie, le régime. 

Quelques jours plus tard, des manifestants sont tués à Deraa, dans le sud du pays. La révolte, qui deviendra la guerre, vient de commencer. Sept ans après, au prix de 350 000 morts, 7 millions de réfugiés, 6,3 millions de déplacés internes (sur une population estimée à 23 millions) et d’un pays en ruines, le conflit syrien a permis de redessiner l’échiquier international. Si le bain de sang se poursuit aujourd’hui dans la Ghouta orientale, dans les provinces d’Idleb (entre rebelles), de Deraa et à Afrin, la communauté internationale reste impuissante.

Le maître de Damas, grâce au soutien sans faille de ses alliés russes et iraniens, a repris le contrôle d’une grande partie du territoire qui était aux mains de l’organisation État islamique, militairement défaite. Vladimir Poutine, lui, s’est imposé durablement comme acteur incontournable au Moyen-Orient.

Entretien avec Fabrice Balanche*, spécialiste de la Syrie, maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2 et chercheur invité à l’Université de Stanford, qui estimait déjà en 2012 que Bachar al-Assad avait "gagné la guerre".

France 24 : Bachar al-Assad a repris le contrôle de la moitié de la Syrie. Peut-on dire qu’il a gagné la guerre ?

Fabrice Balanche : Bien sûr qu’il a gagné, même si la victoire ne paraît pas éclatante et qu’une grande partie du territoire lui échappe encore. L’année 2012 a été décisive car l’insurrection n’a pas été capable de passer du stade de la guérilla de groupes isolés à une armée organisée avec un projet politique. L’armée syrienne, elle, est restée soudée. Les désertions ne concernaient que les conscrits et les officiers de second rang. Le régime a concentré ses troupes sur les villes et les grands axes de communication, laissé partir ceux qui ne voulaient pas se battre, ce qui est essentiel lorsqu’on lance une contre-offensive. Assad savait qu’il aurait le soutien de la Russie et de l’Iran jusqu’au bout, qu’il pouvait compter sur la fidélité d’un tiers de la population [les minorités, la bourgeoisie et certaines tribus arabes sunnites]. Il avait donc la base pour reprendre le contrôle du territoire petit à petit.

La politique de contre-insurrection prend du temps. En Algérie par exemple, le gouvernement a mis dix ans à éliminer les islamistes. Si votre base est saine, que vous avez une stratégie, des alliés déterminés et qu’en face on est incapable de s’unir, à terme vous ne pouvez que gagner. À partir de la reprise d’Alep, fin 2016, il y a eu une accélération de la contre-insurrection. Dans quelques semaines, il va finir de reprendre ce qui reste d’enclaves rebelles autour de Damas puis il va négocier le nord de la Syrie. Les populations arabes de Raqqa, de Manbij, Tell Abyad [près de la frontière turque] ne demandent que le retour du régime, synonyme de paix, et la sécurité. Elles ne veulent plus être sous la domination des Kurdes. La guerre avec la Turquie n’est pas la leur. Quant aux Kurdes, ils finiront par se tourner vers la Russie et l’Iran pour être protégés d’Ankara, dès lors que les Américains refusent de les soutenir. Pour l’instant, Assad laisse la situation pourrir au nord et se concentre sur les petites enclaves, sur Damas, pour montrer qu’il est bien le maître du pays, car "qui tient Damas tient la Syrie", comme disait son père.

Si le conflit s’enlise aujourd’hui, notamment dans la Ghouta orientale et à Afrin, est-ce parce que la Syrie est devenue le terrain de jeu des puissances étrangères ?

On ne peut pas parler d’enlisement. Il y a une avancée claire du régime, de la Russie et de l’Iran. En Occident, on veut employer ce terme pour faire croire qu’il n’y a pas de solution et que la situation est bloquée. Les Occidentaux ne veulent pas s’avouer qu’ils ont perdu la guerre. Certes, l’intervention des puissances étrangères ralentit la progression du régime et de ses alliés. Ils soutiennent les rebelles mais pas assez de peur de devoir s’investir de plus en plus, d’envoyer davantage de troupes au sol. En France et aux États-Unis, il y a aussi la crainte que cela devienne comme la Libye.

Les Occidentaux prolongent le conflit pour montrer aux Russes qu’ils n’ont pas abandonné le terrain. Ils crient au "désastre humanitaire" à l’ONU mais, quelque part, ils en sont aussi responsables. Toutes les personnes rationnelles connaissent l’issue du conflit. En le prolongeant pour des raisons géopolitiques, on ne fait que plus de victimes et on crée des bombes à retardement. Car, il y a une génération entière d’enfants qui n’ont pas été à l’école depuis sept ans, qui sont fragiles, qui pourraient être récupérés un jour par des groupes terroristes. Ça va finir par nous retomber dessus.

Quelle est la stratégie de Bachar al-Assad aujourd’hui ?

Je soupçonne que la prolongation du conflit et la stratégie de contre-insurrection n’aboutisse au départ de 10 millions de personnes de Syrie. Il y en a déjà sept millions qui ont quitté le pays. Si la paix ne revient pas rapidement et que l’économie ne repart pas, il va y avoir encore trois millions de personnes qui vont partir dans les prochaines années. Sans doute Bachar al-Assad s’est-il rendu compte que le pays était trop peuplé par rapport à ses capacités et la marge de manœuvre que son système politique pouvait laisser à l’économie. Dans l’Europe de la révolution industrielle, nous avions ce que la bourgeoisie appelait "les classes dangereuses", le prolétariat urbain prompt à la révolte, qu’il fallait mater par la force ou envoyer peupler le nouveau monde. La Syrie se trouvait dans la même situation avec des millions de personnes vivant dans les quartiers informels de Damas, Alep, Homs, Raqqa, des campagnes surpeuplées et victimes de sécheresses chroniques. Cette population a été la base sociale de la révolte.

La particularité syrienne, contrairement à la Tunisie ou à l’Égypte, est la division communautaire de la population qui a restreint la révolte aux arabes sunnites, aux Kurdes dans le nord mais selon un autre agenda, tandis que les minorités religieuses restaient en dehors du mouvement de révolte. Une autre caractéristique de la Syrie est la démographie galopante de ce pays, mais différente selon les communautés puisque si les alaouites, les druzes et les chrétiens n’ont pas plus de deux enfants par femme, les arabes sunnites restent à une moyenne élevée. Si bien qu’en une génération, la part des minorités religieuses, piliers du régime, est passées de 30 % à 20 % de la population syrienne. En toute logique politique, il faut donc réduire le poids démographique de la classe et de la communauté "dangereuse" [pour le régime]. Voilà pourquoi, des millions de Syriens sont poussés vers l’extérieur. Aujourd’hui, ils sont essentiellement au Liban, en Jordanie, en Turquie et en Allemagne. Pour l’instant, l’Europe a trouvé un deal avec [le président turc] Erdogan : on ferme les yeux sur la répression en Turquie, sur celle à l’égard des Kurdes, on ne dit rien sur Afrin et on paye grassement la Turquie pour qu’elle garde les réfugiés. Le président turc a un moyen de chantage énorme sur l’Europe, et à tout moment, il peut ouvrir les vannes. L’Europe n’a pas de plan B.

L’organisation État islamique est-elle finalement le grand perdant de ces sept années de guerre ?

Le grand perdant reste le peuple syrien. Ces deux dernières années, l'État islamique a été effectivement quasi éliminé de la scène mais c’est un serpent de mer. Il ressurgira sous la forme d’un autre avatar. Al-Qaïda en Irak, dirigée par Abou Moussab al-Zarqaoui, a donné naissance à l’État islamique une première fois en 2006. Le mouvement a mené l’insurrection contre les Américains jusqu’en 2011. Il est ensuite entré dans la clandestinité et a ressurgi sous la forme d’Al-Nosra, puis de l’État islamique en Syrie et au Levant en 2013. L’État islamique a profité de la guerre en Syrie pour s’implanter dans ce pays, puis il a lancé l’insurrection en Irak en 2014. Désormais, il repart dans la clandestinité mais on n’en n’a pas fini avec lui.

Vladimir Poutine a réussi à s’imposer comme leader incontournable dans la région. Est-ce finalement le grand gagnant ?

Incontestablement. La guerre en Syrie a été une occasion en or pour Poutine de faire revenir la Russie dans la région mais aussi sur la scène internationale. Poutine est devenu incontournable sur la Syrie et sur d’autres dossiers : il est censé garantir la protection du Golan, il a donné le feu vert à Erdogan pour attaquer les Kurdes à Afrin et il représente le gouvernement syrien dans les négociations internationales. L’alliance de la Russie avec l’Iran a permis de mettre la pression sur l’Arabie saoudite, qui a réduit sa production pétrolière et les cours sont remontés comme le voulait Poutine. Il sait aussi que les millions de réfugiés syriens qui frappent à la porte de l’Europe menacent la cohésion européenne. Et tout ce qui peut affaiblir l’Europe favorise la Russie



2 Commentaires

  1. Auteur

    Bour

    En Mars, 2018 (00:03 AM)
    Bien dit
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  2. Auteur

    Bour

    En Mars, 2018 (00:03 AM)
    Bien dit
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