Entretien - Bachir Diawara: " Macky Sall et son épouse vont rendre compte..."

Dans cet entretien qu’il a accordé à Leral, Bachir Diawara n’est pas allé par quatre chemins pour tirer à boulets rouges sur Macky Sall, son épouse et son Premier ministre. L’ancien chef de cabinet de Karim Wade s’est aussi prononcé sur l’actualité relative à la Cour de répression de l’enrichissement illicite qui a publié une liste de sept personnalités de l’ancien régime poursuivies dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Bachir Diawara dénonce ce qu’il appelle une « chasse aux sorcières ». Entretien.

 

 

Le procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite a dévoilé une liste de personnalités de l’ancien régime qui doivent être poursuivies dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Qu’est-ce que vous en pensez ? 

 

Il s’agit d’une terrible chasse aux sorcières pour solder des comptes avec des opposants qui peuvent mener la vie dure aux actuels tenants du pouvoir. C’est une grande opération pour divertir les Sénégalais et les dévier de l’essentiel. Et ce qui est regrettable, c’est l’instrumentalisation de la justice et toutes ces formes de cours qui ne reçoivent que les ordres des autorités politiques. 

 

Karim Wade est convoqué le 15 novembre prochain à la Section de la brigade de recherches de la gendarmerie de Colobane. Va-t-il déférer à cette convocation ? 

 

Karim Wade est un justiciable qui est attaché à la justice de son pays. Il est dans d’excellentes dispositions de répondre à dame justice si cette dernière manifeste une volonté de l’entendre sur des dossiers le concernant. On a spéculé ces derniers temps sur une parodie d’un mandat d’arrêt international. On a compris au bout du compte que c’était une presse qui était manipulée et instrumentalisée par quelqu’un dont je me garderai de citer le nom. Mais, la montagne a accouché d’une souris. Karim Wade est convoqué, il va répondre comme tout bon Sénégalais. C’est quelqu’un qui est très sûr de sa gestion et très sûr de lui-même. Karim est un homme extrêmement courageux et très serein. 

 

La gestion de Karim Wade a été décriée par beaucoup de Sénégalais. Est-ce qu’il ne risque pas d’avoir des problèmes avec la justice ? 

 

Je n’écarte aucune idée pour le moment. Nous avons beaucoup de respect pour notre justice qui est pétrie de d’hommes compétents qui ont une certaine neutralité par rapport à la société et par rapport aux hommes qui font le jeu public. Mais, nous sommes aussi en face d’un pouvoir politique qui vient d’arriver et qui verse dans le populisme et parfois dans la démagogie pour essayer de flatter les passions du public. Parce que les attentes sont tellement grandes et ce pouvoir a réalisé qu’il ne peut pas faire grand-chose. D’ailleurs, ces nouvelles autorités n’ont encore rien fait et leur bilan est pour le moment médiocre. Rien n’a été réalisé concrètement. Macky Sall n’a pas de vision. L’aboutissement logique de ce manque de vision est la morosité sociale et économique dans laquelle se trouve notre pays depuis l’accession de Macky à la tête de la Magistrature suprême. 

Maintenant, il faut toujours chercher des moyens pour faire de la diversion et orienter les Sénégalais dans un sens qui est en totalement en démarcation avec les aspirations fondamentales du peuple pour lesquelles Macky a été élu. C’est une formule stalinienne et machiavélique qui vise à détourner les Sénégalais de l’essentiel. 

Au demeurant, si la justice sénégalaise choisit librement de convoquer Karim Wade, celui-ci répondra. Nous aussi, nous restons vigilants et sereins. D’ailleurs, nous avons commencé à travailler depuis longtemps lorsqu’on a compris les intentions de ce pouvoir. Nous avons mis en place un peu partout dans le pays des comités de veille et d’alerte pour faire respecter les principes de droit et pour lutter contre toute forme forfaiture. Si nous sentons que le droit est bafoué dans notre pays pour des considérations politiques, nous devons user de moyens légaux pour amener les tenants du pouvoir à respecter la séparation des pouvoirs. Nous n’accepterons pas une instrumentalisation de la justice pour des raisons politiques. 

Par rapport au traitement par la justice des dossiers concernant les dignitaires de l’ancien régime, nous demeurons sceptiques et très dubitatifs. 

 

Mais pour un nouveau pouvoir qui vient de s’installer, n’est-il pas normal de faire l’état des lieux ? De quoi avez-vous peur ? 

 

Abdoulaye Wade a lui-même fait l’état des lieux quand il est arrivé au pouvoir. Et puis sous son magistère, la justice a emprisonné des responsables du Parti démocratique sénégalais. Modibo Diop nourrit un grand amour pour Wade et vice-versa. Mais la justice en a décidé autrement. Elle a toujours été indépendante sous Wade. On ne peut pas dire qu’un pouvoir qui vient de s’installer n’a pas le droit de faire l’état des lieux. Au contraire, un nouveau pouvoir doit faire le diagnostic de la gestion du régime sortant pour prendre ses marques et savoir sur quel pied danser. Nous ne sommes pas contre le principe mais nous ne voulons pas que cette opération soit un moyen de régler des comptes politiques. Parce que toutes les personnes ciblées pour répondre devant la justice par rapport à ce qui est appelé « La traque des biens mal acquis » sont des gens qui peuvent politiquement déranger le pouvoir. Nous sommes en train d’apercevoir une volonté manifeste de chasse aux sorcières. Ce qui est dangereux pour le pays parce que tous les Sénégalais vont en pâtir. 

Quel bilan tirez-vous des sept premiers mois de Macky Sall à la tête du pays ? 

 

J’ai l’habitude de dire que Macky Sall fera un quinquennat de trois ans. On vient de boucler sept mois et il n’a encore rien fait. Les baromètres d’appréciation de la bonne marche du pays au plan économique et social sont au rouge. Scientifiquement, si les nouvelles autorités nous prouvent que le pouvoir d’achat des Sénégalais a augmenté, je suis prêt à rendre le tablier au plan politique. Je le dis avec une forte conviction. Le taux de chômage qui a été l’un des facteurs mobilisateurs de la jeunesse qui a voté massivement pour Macky Sall n’a connu aucune baisse depuis avril dernier. 

 

Est-ce qu’un nouveau régime peut régler tous ces problèmes en sept mois seulement ? 

 

Nous n’exigeons pas illico presto la diminution du taux de chômage mais il doit y avoir une planification. Mais quelle est cette visions aujourd’hui ? C’est la question que tout le monde se pose. Dans ces premiers mois, on devait sentir la politique de l’emploi et son impact sur la jeunesse sénégalaise. Mais là, nous sommes en train d’assister à une hausse exponentielle du taux de chômage avec son cortège de drames. Récemment, il y a eu 31 Sénégalais qui ont perdu la vie en tentant de regagner l’Europe. Pourtant c’est des jeunes qui avaient voté pour Macky Sall mais ils sont désemparés et déboussolés parce que n’ayant pas aperçu une vraie vision du pouvoir actuel à leur trouver de l’emploi. 

 

Vous déclariez que Macky Sall va faire un quinquennat de trois ans. Expliquez-nous ce que vous voulez dire. 

 

Macky a fait sept mois à la tête du pays et il n’a encore rien fait. Tous les secteurs d’activités de l’économie nationale connaissent aujourd’hui des difficultés. Le bouillonnement social est devenu une monnaie courante. Il y a une indignation collective en gestation qui, à la longue, pourrait aboutir à une situation sociale chaotique. Nous ne l’espérons pas car en tant qu’opposants, nous refusons de voir notre pays plonger dans le chaos. Mais nous risquons d’aller vers des lendemains extrêmement difficiles au plan social. La dernière année du mandat de Macky Sall sera une année électorale. Le Président va se consacrer au renouvellement de son mandat. Donc, il n’a que trois ans pour travailler. Mais à ce rythme, rien ne se fera dans ces trois années. 

Je demande aux autorités de se consacrer aux préoccupations des Sénégalais pour lesquelles elles ont été élues. Sur la question de l’énergie, Macky Sall et son gouvernement sont en train de tergiverser et de tâtonner et avec comme conséquence le retour grandissant des délestages partout dans le Sénégal. Pourtant, Wade avait définitivement réglé cette question après avoir laissé un stock de combustible au niveau de toutes les centrales de production. Nous avions même sécurisé le volet transport-distribution avec le matériel acquis de la coopération sénégalo-chinoise. Nous étions sur la bonne voie. Mais, ces nouveaux dirigeants, pour des considérations politiques, ont voulu changer de fusil d’épaule. Ils ne voulaient pas qu’on réclame la paternité de la réussite du projet énergétique. Maintenant, ils sont complètement plombés. 

 

Le bilan de Macky Sall à la tête du pays est si négatif que ça ? 

 

Mais oui ! On n’a jamais connu, comme aujourd’hui, une pénurie d’eau sur l’échelle nationale. Et on nous sert des arguments saugrenus d’une panne au niveau du lac de Guiers. Nous considérons que ce sont des mensonges. Avec Wade, on n’a pas connu de pénurie d’eau. Macky Sall est en train de ramener le Sénégal au moyen âge en nous faisant organiser des queues pour acquérir le liquide précieux. 

Nous n’avions jamais eu une campagne agricole aussi catastrophique que celle de cette année. Ce sont les paysans qui l’ont dit. Les effets de cette mauvaise campagne agricole seront ressentis dans quelques mois. 

 

Vous avez dépeint un tableau sombre des sept premiers mois de Macky Sall à la tête du pays. Mais vous, opposants, que comptez-vous faire pour amener le Président à respecter ses engagements? 

 

De toute façon, nous restons très vigilants par rapport à toutes les questions qui interpellent la vie des Sénégalais parce que nous voulons jouer pleinement notre rôle de sentinelle du peuple. Nous voulons être une véritable opposition et pas une opposition pyromane. Nous n’allons pas instrumentaliser les jeunes et les braquer contre les forces républicaines pour engendrer des morts comme les nouveaux dirigeants le faisaient quand ils étaient opposants. Nous voulons être une opposition de veille et d’alerte mais aussi une opposition de proposition. Quand il s’agit de dérives autoritaires, nous serons une opposition de combat. Je demeure convaincu que Macky Sall ne fera pas un deuxième mandat. Il va lui-même précipiter son départ. Si nous revenons au pouvoir, nous allons demander des comptes à Macky Sall et à son épouse Marième Faye. 

 

Pourquoi demander des comptes à la Première dame ? 

 

La Première dame est en train de gérer une fondation. 

 

Madame Wade gérait aussi une fondation… 

 

C’est différent. La fondation "Servir le Sénégal" de Marième Faye est un vrai problème. Rien que la terminologie explique la boulimie de la Première dame. Madame Viviane Wade avait mis sur pied la fondation "Education Santé", c’est-à-dire qu’elle ne s’occupait que de l’éducation et de la santé. La fondation avait un rôle bien défini. Mais cette fois, nous avons une Première dame qui vient avec "Servir le Sénégal" pour avoir la main sur tous les secteurs d’activité de l’économie nationale. Et la question qu’il faut vraiment se poser c’est : d’où viennent ces fonds immenses que Marième Faye utilise au niveau de sa fondation ? Nous doutons de la provenance exacte de ces fonds qui pourraient résulter d’origines occultes. En tout état de cause, lorsque Macky Sall, par ses pratiques actuelles c’est-à-dire chasse aux sorcières, tromperie, démagogie, manipulation de consciences et instrumentalisation d’une certaine presse, précipitera son départ, nous serons encore aux commandes pour exiger que des comptes soient rendus. 

 

Macky Sall a remanié son gouvernement. Pensez-vous qu’avec cette nouvelle équipe, les nouveaux dirigeants vont répondre aux attentes de Sénégalais ? 

 

On ne peut pas être le symbole de la médiocrité et parler d’efficience et d’efficacité. Le Premier ministre que je ne connais pas trop bien mais chez qui j’ai visité le passé au niveau de ses différentes prestations dans des banques n’a jamais été très bien apprécié du fait de sa tortuosité. Donc, il est disqualifié pour parler d’efficacité et d’efficience. 

On ne peut pas prendre des banquiers comme Abdoul Mbaye et Amadou Kane pour régler des questions sociales. Ces gens pensent qu’ils sont directeurs généraux du gouvernement. Pour eux, la demande sociale synonyme de prêt et ils la traite comme tel. 

Concernant la taille du gouvernement qui compte aujourd’hui 30 ministres alors que Macky avait promis de se limiter à 25, c’est une haute trahison. Le Président avait pris l’engagement devant le peuple sénégalais donc quelque part il devrait être interpellé pour haute trahison. Voilà pourquoi les Sénégalais peinent à sortir de l’ornière. Ces gens sont des êtres asociaux qui ne peuvent pas mener une politique sociale. 

 

Macky Sall a limogé Mbaye Ndiaye et Alioune Badara Cissé lors du dernier remaniement ministériel. Comment appréciez-vous les départs des compagnons de première heure du président de la République ? 

 

C’est la consécration du tâtonnement et de l’impréparation de ce régime. S’ils disent qu’ils veulent un gouvernement plus efficace et plus efficient cela veut dire que l’ancienne équipe était inefficace et manquait d’efficience. Cela veut dire que le président de la République a fait de mauvais choix dans le dispositif gouvernemental. Il faut aussi dénoncer le népotisme qui a accompagné ce remaniement. L’élément le plus marquant dans le règne de Macky Sall, c’est le culte du népotisme. Le Président a nommé son beau-frère ainsi que son oncle et d’autres personnes qui sont dans la sphère familiale. La politique ne doit pas être un instrument de promotion de la famille. 

 

Mais Wade avait sous son magistère donné des postes de responsabilité à ses propres enfants. N’êtes-vous pas mal placé pour dénoncer un népotisme aujourd’hui ? 

 

Les Sénégalais dans leur majorité ont mis fin au régime de Wade même s’ils reconnaissent que ce dernier a beaucoup fait pour ce pays. Les résultats sont palpables. Mais les Sénégalais ont besoin d’autres éléments additifs. Ils veulent d’éléments plus vertueux mais ils ne l’ont pas encore vu avec Macky Sall. Et il est dangereux d’être dans une logique de comparaison entre le régime sortant et le nouveau régime. Nous devons être en phase avec les préoccupations fondamentales du peuple. Nous avons transcendé les considérations qui relèvent uniquement de notre ligne politique pour nous conformer aux préoccupations des Sénégalais. Le peuple aspire aujourd’hui à moins de népotisme, de favoritisme, de copinage et de clientélisme politique. Et Macky Sall depuis qu’il est venu, a renoué avec les cendres mouvants des pratiques malsaines de clientélisme qui font que les plus médiocres se retrouvent dans des postes de responsabilité stratégique. Et ces personnes incompétentes vont prendre des décisions irréfléchies et irrationnelles qui vont plomber le pays. 

 

Vous pensez vraiment que tout est négatif dans les sept premiers mois de Macky Sall à la tête du pays ? 

 

Non ! Tout n’est pas négatif. Je reconnais qu’avec Macky Sall, il y a moins de folklore. Ce qui est positif car un travail sérieux ne peut se faire dans le folklore. C’est la seule réalisation de Macky Sall. 

 

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Entretien réalisé par la rédaction de Leral