Affaires des chantiers de THIES : Ce que cache ce verdict d’apaisement social et politique

Beaucoup de Sénégalais ont poussé hier un ouf de soulagement quand le juge a rendu le verdict dans l’affaire opposant Bara Tall, Marwan Zakhem, El Hadji Seyni Seck et Massamba Sall à l’Etat du Sénégal, dans le cadre des fameux chantiers de Thiès. Un ouf de soulagement parce que toutes ces personnes poursuivies pour surfacturations ont été relaxées par le tribunal correctionnel de Dakar. Un ouf de soulagement parce qu’il s’agit d’une décision mettant fin à un feuilleton à plusieurs rebondissements qui commençait à menacer la paix sociale et à polluer l’atmosphère politique du pays. L’avocat de l’Etat ne savait pas si bien dire en annonçant que l’Etat opte pour l’apaisement. Oui, le non-lieu décerné à Bara Tall et consorts est un verdict d’apaisement social et politique.

Nul n’ignore que cette affaire n’était plus celle de Bara Tall contre l’Etat du Sénégal. Il s’agissait, aux yeux de la majorité des Sénégalais, d’une injustice visant à casser un homme d’affaires qui a refusé la compromission. Et le peuple s’est vite rangé du côté de l’entrepreneur-martyr. Il s’agissait de dire non à l’injustice pour sauver une entreprise qui emploie plus de 3 000 pères de familles. D’où la mobilisation exceptionnelle notée ces deux dernières années aux côtés de Bara Tall. Ce n’était surtout pas du bluff puisque l’entrepreneur qui avait lancé une pétition réclamant l’égalité de tous les citoyens devant la justice, a récolté des milliers de signatures parmi lesquelles des guides religieux, des chefs de partis politiques, des leaders d’opinion et autres grands noms de la société civile. Une preuve que le peuple s’était approprié son combat. Et tout verdict, autre que la relaxe, pouvait faire basculer le pays dans la violence. Surtout en ces périodes où le feu couve avec le retour des émeutes contre les coupures d’électricité. Il ne fallait donc pas en rajouter en condamnant Bara Tall.

En prononçant la relaxe du patron de Jean Lefèbvre, le juge a rendu un grand service au parti au pouvoir accusé d’avoir politisé cette affaire. Ce que l’opposition a très tôt compris, en se battant aux côtés des entrepreneurs pour pousser le pouvoir à lâcher du lest. L’affaire Bara Tall occupait une place prépondérante dans tous les communiqués des bureaux politiques des partis de l’opposition. Aux yeux de plusieurs observateurs, le pouvoir voulait faire payer à Bara Tall sa proximité avec l’ancien Premier ministre Idrissa Seck devenu, depuis le déclenchement de l’affaire, l’homme à abattre. La thèse de la politisation de ce procès est tellement flagrante que le Sénégalais lambda ignorait le nom des autres entrepreneurs mis en cause. Le verdict d’hier était donc le seul acceptable aux yeux de l’opposition sénégalaise qui avait fini de mettre ce procès en bonne place dans son agenda. C’est pourquoi, ils sont tous convaincus qu’il s’agit de la victoire du peuple contre ‘l’arbitraire’ du régime libéral. Cette même opposition a toujours demandé aux juges de faire preuve d’indépendance vis-à-vis du régime. C’est maintenant fait. Surtout que, depuis quelque temps, les magistrats ruent dans les brancards réclamant, entre autres, plus de liberté et d’indépendance.

Mais ce verdict sera un couteau à double tranchant pour l’opposition sénégalaise. Il sera maintenant difficile à Niasse, Tanor, Bathily, Dansokho et compagnie de continuer à parler d’une justice au service du pouvoir. Et l’avocat de l’Etat, Me Ousmane Sèye, s’est empressé de déclarer : ‘Je ne suis pas du tout surpris par cette décision de justice, parce que je n’ai jamais douté de l’indépendance de notre justice.’ Ces mots de l’avocat sont destinés aux opposants à qui on demande subrepticement d’accepter tout verdict que la justice rendra à l’avenir dans n’importe quelle affaire, fut-elle qualifiée de procès politique. Ce sera comme avec le fichier électoral, objet de toutes les controverses et par lequel Bennoo Siggil Senegaal est parvenu à remporter toutes les grandes villes du Sénégal aux dernières élections locales. En tout cas, Amath Dansokho a bien compris et il appelle ses amis à la vigilance : ’Il faut faire attention. Peut-être que l’Etat a pris cette décision pour mieux sauter. Ce que Wade fait est très grave. Il veut instrumentaliser la justice pour avaliser ses coups contre les citoyens.’

Voilà donc qu’en l’espace de deux jours, Me Wade obtient de bons points sur ses adversaires en leur coupant l’herbe sous les pieds. Il vient de délester leur agenda de deux sujets importants : la réduction du prix du timbre fiscal pour l’obtention de la carte d’identité nationale indispensable pour l’inscription sur les listes électorales et l’heureux dénouement de l’affaire Bara Tall.

Georges Nesta DIOP