Economiste, enseignant-chercheur à l’université de Thiès, Dr Elhadji Mounirou NDIAYE a publié un nouveau livre. Dans cet ouvrage intitulé «Quelles aternatives socio-économiques au Sénégal: une contribution programmatique», l’auteur fait un diagnostic sans complaisance de l’économie sénégalaise, de ses tares, de l’exécution du Pse et des pratiques de nos dirigeants politiques. Seneweb vous livre le résumé du livre.
«Quelles aternatives socio-économiques au Sénégal: une contribution programmatique», paru à partir du mercredi 12 décembre 2018 aux éditions l’Harmattan. Il s’agit d’un ouvrage d’une structure originale qui met une grande citation au début de chaque titre. L’introduction démarre avec cette citation de Cheikh Anta Diop, 1970: «Le moment est venu de tirer les conclusions pratiques de tant d’années d’études des problèmes africains, de les ramasser en formules aussi claires que possible, afin de faciliter leur utilisation.»
‘‘Le régime installé en 2012 a piétiné certaines obligations’’
L’introduction campe bien le sujet sur le profond retard socio-économique concédé après 60 années de sougestion «souveraine» du pouvoir. L’approche de gouvernance par les compétences n’a jamais été une sérieuse préoccupation dans la gouvernance économique du Sénégal. De Léopold Sédar Senghor à MackySall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, le pouvoir n’a été qu’un réseau d’amitiés et d’assouvissement d’objectifs crypto-personnels et familiaux. Le résultat est sans équivoque: les déboires sont perçus sur tous les plans, l’échec est multiforme et les problèmes du pays restent entiers.
Le nouveau régime installé en 2012 a ostensiblement piétiné certaines obligations d’arbitrage et de calcul économique qui doivent précéder tous les choix publics. Il a d’abord tâtonné sur le programme : YonouYokuté en 2012, Stratégie nationale de développement économique et social (Sndes) en 2013, puis Plan Sénégal Émergent (PSE) en février 2014. Il avait institué un visa pour l’entrée au Sénégal dès 2012, sans études préalables des incidences sur le tourisme, avant de le retirer en 2015, non sans dédommager le concessionnaire à hauteur de 12 milliards de FCFA suite à la rupture du contrat. Le gouvernement sénégalais a aussi engagé un chapelet de projets discutables bien analysé dans le livre.
Pse: 6000 milliards pour une croissance de 23% sur 4 ans
Le titre 1 porte sur les crispations économiques et les enjeux idéologiques. Il démarre sur la citation d’Abdoulaye Wade, 1989, suivante : «« L’Afrique a bien triomphé des agressions les plus violentes et les plus longues de l’espèce humaine grâce à ses immenses ressources spirituelles, celles-là mêmes qui vont inspirer notre démarche à la fois rationnelle, par souci d’efficacité, et volontariste, de façon à engager toutes nos potentialités spirituelles dans la bataille pour le redressement et le développement. ».
Ce titre comporte trois sous titres dont le premier fait un diagnostic sur le plan économique, le second appelle à une analyse des crispations au-delà des considérations idéologiques et le dernier dresse un argumentaire en faveur de la prise en comptes des valeurs religieuses spirituelles, ce qui ne devrait pas poser de problèmes dans un pays croyant à plus de 99%. Sur le diagnostic, l’auteur fait remarquer globalement qu’après près de 6000 milliards de FCFA injectés dans le cadre du Plan d’Actions Prioritaires 2014-2018 du PSE, le taux de croissance cumulé n’a été que de 23% sur 4 années, ce qui fait état d’un faible taux de productivité de 18% pour un taux d’investissement du PIB avoisinant les 28%. C’est à l’image d’un véhicule dont le moteur défectueux demande de plus en plus de carburant pour rouler. Ceci est désigné par les économistes sous le vocable d’« Effets Aversh-Johnson », c’est-à-dire, la tendance au surinvestissement si la productivité est faible. Il faut donc revoir en profondeur les moteurs de la croissance et stopper la tertiarisation et l’extraversion à outrance exacerbée par le PSE. L’auteur fait également état de plusieurs cas de Slacks (Surcoût en Intrants et Insuffisance et inefficacité en Extrants) dans les dépenses publiques et des entreprises publiques comme la Poste et le Port de Dakar. L’adoption de la réforme Budget-programmes instituée par six directives de l’UEMOA depuis 2009, est une lueur d’espoir dans sa propension à intégrer la dimension performance de la dépense publique. Une enquête de la DPEE montre que la mise en œuvre effective de cette réforme va améliorer de 27% le bien être des sénégalais.
«L’économie est dangereusement dans les mains de lobbies …»
Le titre 2 démarre avec la citation suivant tirée de Mamadou Diagna Ndiaye, 2014: «Notre pays, qui a réussi sa mue politique en accédant à toutes les libertés publiques et en construisant un État de droit unanimement reconnu est, paradoxalement, victime de notre propension à vouloir vivre de la rente du système démocratique, au détriment de la construction d’une économie performante et durable ».
Ce titre porte sur l’identification de trois champs de réformes urgentes, à savoir, la rationalisation des administrations publiques et des institutions, la régulation économique et sociale et le contenu local de l’économie sénégalaise, notamment la nécessité urgente de fortifier vigoureusement le secteur privé sénégalais qui est le seul moteur fiable du redressement. L’économie sénégalaise est en effet plus que jamais dangereusement entre les mains de lobbies étrangers, français, chinois, marocain, indien, turcs, etc.
Les 6 projets prioritaires…
Le titre 3 démarre avec la citation suivante tirée d’un discours du Président MackySall, 2015, «Notre défi pour le présent et pour l’avenir, c’est de gagner notre indépendance économique en nous libérant du besoin de l’aide et de la dépendance extérieures pour tout ce que nous pouvons produire par nous-mêmes ». Ce titre trois identifie six projets prioritaires qui doivent catalyser les efforts des dirigeants sénégalais dans les cinq années à venir. L’auteur a bien précisé qu’il serait prétentieux de considérer qu’on peut faire l’unanimité sur les secteurs prioritaires. Chaque secteur est géré par des acteurs qui peuvent argumenter la priorité de leur domaine. Mais l’économie est la science des choix selon le prix Nobel d’économie en 2001, Joseph Stiglitz. Les ressources étant rares, il est alors inaliénable d’allier calcul économique et arbitrage pour respecter le critère d’allocation optimale des ressources. L’économie est tout de même faite de locomotives dont les unes tirent les autres. Avec de pertinents arguments, l’auteur propose les 6 projets suivants : Le chantier de la nouvelle carte universitaire ; Le défi de l’économie numérique ; La réhabilitation du chemin de fer et la promotion des transports en commun ; Une version bien améliorée du pertinent programme Promo-Villes ; Une zone économique spéciale pour l’élevage et les productions animales ; Le chantier incontournable de l’autonomie monétaire.
Le viatique pour les hommes politiques
La conclusion est amorcée avec la citation suivante tirée du Maître à penser des Chinois, Conficius, -570 ans av. J.-C : «Rien n’est plus important que le sens prêté aux mots ; rien ne vaut la parole donnée ; rien ne l’emporte sur le respect dû au savoir et à ceux qui le portent ». L’auteur précise que cette réflexion se veut être un guide susceptible d’être un repère, une source d’inspiration pour non seulement aider le régime actuel à bien améliorer son Pse, mais également pour servir de boussole pouvant guider les candidats potentiels à la présidence du Sénégal dans leurs choix programmatiques. Le débat d’idées doit dorénavant être résolument préféré aux invectives, aux querelles politiciennes et aux monologues parallèles auxquels on a l’habitude d’assister dans le paysage politique sénégalais. Les échanges d’idées sont un préalable indispensable pour éviter les pratiques cavalières et non inclusives qui ont été à la base des options stratégiques du PSE. Quoi qu’on puisse dire, il faut reconnaître que la confection du PSE n’a pas mobilisé une masse critique de l’éminence grise dont regorge le Sénégal. La démocratie est certes considérée à tort comme une dictature de la majorité, mais les reprises et les recommencements ont été si incapacitants qu’il faut dorénavant mettre en avant une démarche beaucoup plus inclusive vis-à-vis de la société civile, de l’opposition et des forces de sécurité et de défense, qui sont maintenant des électeurs. Le risque presque certain est que l’opposition sénégalaise se donnera l’entière liberté de changer de paradigme et de plan quand elle va arriver au pouvoir en 2019, ou après. Le ton a été donné avec les vigoureuses critiques portées sur le PSE par les grands leaders de partis comme Idrissa Seck, Moustapha Guirassy, Issa Sall, Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko et Malick Gackou[1]. Ce dernier a mis sur pied le Plan Alternatif Suxali Sénégal (PASS) avec des propositions courageuses sur l’indemnisation du chômage et la retraite et Ousmane Sonko a publié en septembre 2018 un livre programme intitulé «Solutions» dans lequel il a formulé des propositions révolutionnaires pour une économie sénégalaise beaucoup mieux introvertie.
«Les solides racines du mal économique et social …»
Mounirou NDIAYE est d’avis qu’il est impossible de ficeler un programme définitif avant d’arriver au pouvoir et de procéder à l’évaluation et au bilan effectif des programmes adoptés au moins pour les dix années précédentes. Les documents que vont générer les candidats à la présidentielle ne peuvent donc être qu’à l’état brut et indicatif. Dès 2012, le Président MackySall a d’ailleurs très vite revu sa copie sur son programme YonouYokuté, qui a abouti au PSE en 2014. On peut tout déclarer et promettre dans une campagne électorale, mais les réalités du pouvoir imposent toujours de profonds réajustements programmatiques. Il ne sera pas facile de démolir les solides racines du mal économique et social du Sénégal, à savoir les fusionnelles interférences de la politique politicienne dans la marche de l’administration et de l’économie, les séculaires problèmes de mentalité ainsi que la capture de l’économie sénégalaise dans les intérêts étrangers. Ces maux sont unanimement reconnus et ils doivent catalyser l’essentiel des efforts de programmation économique et sociale.
Mounirou NDIAYE considère qu’un pays qui coopère depuis près de quarante ans avec des partenaires étrangers sans résultats conséquents doit se donner le droit de réclamer un changement de paradigmes d’actions. Il cite la Côte d’Ivoire qui s’est maintenant logée dans une dynamique de préférence nationale qui a bien impacté les taux de croissance avoisinant les 10 % qu’elle a obtenus ces dernières années. Dans la filière avicole, le gouvernement ivoirien a courageusement adopté des barrières douanières qui ont fait passer le prix du poulet importé de 1 200 FCFA en 2005 à 2 200 FCFA en 2017. Le poulet ivoirien était plus cher que celui importé, mais il a été maintenu à 1 600 FCFA en 2017.
Les bons et les mauvais points du régime en place
Il invite cependant à éviter d’être nihiliste et reconnaître que le régime actuellement en place a fait quelques bonnes réalisations, même s’il peine à les communiquer efficacement. Les problèmes d’électricité ont été essentiellement évacués. Les sphères ministérielles de Diamniadio constituent une action salutaire qui a été financée à hauteur de 56 milliards de FCFA, dont 30 milliards d’emprunts bien solvables si l’on tient compte des 8 milliards de FCFA mensuels d’économies budgétaires attendues de l’abandon des locations. Le seul aspect regrettable de ce projet est qu’il intervient en même temps que la réfection du building administratif, à hauteur de 39 milliards de FCFA. Le gouvernement a aussi lancé de bons instruments d’actions comme le PUDC, actuellement dévoyé par une démarche électoraliste, ou le programme Promovilles, qui souffre de problèmes de stratégies et d’injections effectives de fonds suffisants. Le programme des Domaines agricoles communautaires (PRODAC) est également un instrument en phase avec l’accélération agricole planifiée dans le PRACAS, mais il a été faussé par un amateurisme doublé d’une trop forte politisation. Les multiples autres programmes lancés, tels que leprogramme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (PUMA), les bourses de sécurité familiale et la Couverture Maladie Universelle (CMU) revêtent à la fois un inconvénient et un avantage. Ils sont un avantage en ce sens qu’ils offrent un soulagement aux populations bénéficiaires, tant les souffrances sont intenables dans certaines couches défavorisées des populations. L’inconvénient est cependant qu’ils suscitent non seulement un éparpillement financier et administratif, mais il s’agit de mécanismes d’assistance qui ne sont pas soutenables devant la maigreur de la croissance économique.
Un bilan globalement mitigé
Le bilan est ainsi globalement mitigé, car l’économie sénégalaise reste plus que jamais extravertie, dominée par des intérêts étrangers, avec une croissance économique restée molle par rapport à tous les moyens mobilisés (près de 6 000 milliards de FCFA à compter de 2014 dans le cadre du Plan d’action prioritaire du PSE). Le PIB du Sénégal n’a crû que de 23 % en quatre ans. La productivité du capital stagne autour de 18 % en moyenne, et cela explique l’effritement des capacités d’autofinancement de l’État, d’où un recours de plus en plus important à un endettement public de moins en moins solvable. Les finances publiques s’en ressentent bien visiblement avec de récurrentes tensions de trésoreries causant l’arrêt de plusieurs projets publics et une dette intérieure de plus en plus inquiétante. L’éparpillement d’une bonne partie des ressources publiques sur de multiples projets disparates a eu un effet d’éviction sur plusieurs autres priorités comme la crise de l’eau et l’apaisement du front social.
(NB : les intertitres sont de la rédaction)
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En Décembre, 2018 (00:37 AM)Anonyme
En Décembre, 2018 (00:38 AM)Anonyme
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En Décembre, 2018 (08:00 AM)Anonyme
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En Décembre, 2018 (13:25 PM)Jango
En Décembre, 2018 (22:09 PM)Participer à la Discussion