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Taïba Ndiaye : Quand les nippons se substituent à l'Etat pour abreuver le Cayor

Auteur: Youssouf SANE

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Photo : Seneweb.com

La corvée d’eau avait presque réussi à leur voler le sourire. De bonne heure, elles se levaient pour aller tirer le liquide précieux des entrailles de la Terre dans les quelques puits que comptait le village. Les pénibles navettes quotidiennes entre la maison et ces puits, avaient réussi à ébranler leur santé, tant les lourdes bassines d’eau qu’elles portaient sur leurs têtes, torturaient leur frêle corps. Elles, ce sont les dames de Taïba Ndiaye. Jadis, cette communauté rurale, nichée dans le Cayor, était connue pour ses difficultés d’accès à l’eau. Du coup, les femmes, à qui revenait cette pénible tâche d’aller trouver de l’eau, vivaient un calvaire. Du coup, l’école était aussi un luxe pour leurs jeunes filles, abonnées, elles aussi, à cette pénible tâche.

Les femmes avortaient

« Avant, aucune femme du village ne dormait toute la nuit. Elles allaient de très bonne heure au puits. Des femmes enceintes avortaient au bout de deux à trois mois du fait de la pénibilité de la corvée d’eau. En plus, il y avait beaucoup de conflits au niveau de ces puits. La rareté de l’eau, les queues interminables, et la dureté de la corvée tendaient les nerfs. Les femmes s’y chamaillaient tout le temps », narre Fatma Ndiaye. Et ce n’est pas tout. « C’était une période où il était difficile pour la femme d’avoir une certaine propreté, de prendre soin de ses enfants, de son ménage, et d’avoir une santé. Elles faisaient la navette de la maison aux puits de l’aube à la tombée de la nuit. Parfois, la pluie les battait au puits », ajoute la dame, le regard plongé dans le passé. Ce que confirme Aliou Badiane, qui est né et a grandi dans la cité. « La qualité de l’eau n’était pas bonne. Parce que c’étaient des puits qui ne cessaient de tarir. Mais, on était obligé d’y puiser. Et à chaque fois que les femmes revenaient des puits, elles laissaient l’eau reposer avant de l’utiliser », narre-t-il. À l’époque, les habitants de Taïba Ndiaye allaient même à l’usine des industries chimiques du Sénégal pour puiser dans les réserves d’eau à l’aide de charrettes. « La qualité de l’eau, à l’époque, n’était vraiment pas sûre. Ce qui avait un impact sur la santé des populations. Il y avait beaucoup de maladies diarrhéiques », indique-t-il.

Quand l’eau change leur vie

Mais, petit à petit, le cauchemar des habitants de Taïba Ndiaye va se dissiper. Un forage rudimentaire leur sera installé vers 1976. Mais, il faudra attendre en 1981, avec la coopération japonaise, pour que les populations puissent davantage tirer profit de ce forage. « Taiba Ndiaye a eu son premier forage en 1976. Mais c’était tout juste un puits qui était foré. Il n’y avait pas de château d’eau ni rien. Donc les populations ne pouvaient pas s’en servir. Il a fallu attendre 1981 avec la coopération, pour que ce forage puisse être terminé et que les populations puissent s’en servir. C’était en 1981 que le Japon nous a construit ce château d’eau qui nous a permis de pouvoir exploiter le premier forage. Puis, il a été remplacé depuis 1999 par un autre forage avec l’aide de la coopération japonaise », explique M. Badiane, aujourd’hui président de l’Association des Usagers des Forages de Taïba Ndiaye (Asufor).

À ce jour, à Taiba Ndiaye, deux forages ont été construits et équipés par la coopération japonaise qui a financé une quinzaine de projets hydrauliques au Sénégal pour 84 milliards de CFA. « Aujourd’hui, l’eau est disponible 24 heures sur 24 à Taiba Ndiaye. Dans la cabine de pompage, nous sommes équipés de deux groupes électrogènes qui nous permettent, à chaque fois qu’il y a coupure, de redémarrer et de continuer la redistribution », se réjouit M. Badiane.

Les dames se battent contre la pauvreté

Cette disponibilité de l’eau a ainsi libéré les femmes. Celles qui passaient les plus belles heures de leurs journées aux puits, à tirer sur les cordes pour sortir l’eau des entrailles de la Terre, disposent à présent de temps pour s’occuper de leur ménage. Et même, le groupement mis en place par ces dames, travaille dans un champ témoin, créé par un volontaire japonais. En plus de leurs charges familiales, elles suent dans leur champ pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Elles y cultivent de la pomme de terre ou de l’oignon. Elles y ont même un poulailler. Mais, ces braves dames ont besoin de soutien. « Nous cultivons de la salade, des oignons, de la pomme de terre, etc. nous avons aussi un poulailler. Nous vendons nos produits dans les localités environnantes. On s’en sort un peu. Mais nous avons des difficultés. Quand nous cultivons l’oignon par exemple, nous avons des soucis pour stocker notre récolte. Parfois, nous sommes obligées de garder la récolte jusqu’à ce que le marché ait un prix rémunérateur pour nous. Mais nos récoltes pourrissent faute de matériel de stockage adéquat. L’eau du forage nous permet de cultiver. Mais il faut dire que le paiement de cette eau diminue nos marges bénéficiaires. Ce qui est difficile. L’État ne nous donne ni engrais ni semences. Nous nous débrouillons nous-mêmes. Notre plus gros problème c’est le manque de financements. Ce qui nous handicape vraiment. Nous avons vraiment envie de travailler, mais nous n’avons pas de financements pour renforcer notre activité, acheter des intrants et prendre notre envol », confie Ngoné.

Le peu que ces femmes entreprenantes gagnent, elles l’investissent d’abord dans la scolarité de leurs enfants, s’oubliant elles-mêmes. Ce, pour qu’un jour, leurs progénitures puissent les extirper des griffes de la pauvreté. « La pauvreté est vraiment présente ici. Quand les hommes n’ont pas de travail ou suffisamment d’eau pour aller cultiver et gagner leur vie, c’est un facteur de pauvreté. Ils ne travaillent que durant la saison des pluies. Nous nous battons pour la scolarisation de nos enfants. Mais à leur sortie d’école, ils ne trouvent pas d’emploi. Ce qui nous aiderait, c’est de l’eau en abondance, des terres bien aménagées, des financements, des intrants de qualité pour qu’on puisse travailler. Si ces conditions ne sont pas réunies, nous sommes condamnés à la pauvreté », confie Fatma Ndiaye. En attendant le soutien de l’État, ces dames profitent de l’eau que leur apporte le forage des nippons et les terres fertiles de leur localité pour entreprendre et se battre contre la pauvreté. Elles refusent de s’apitoyer sur leur sort.

Auteur: Youssouf SANE
Publié le: Lundi 15 Février 2016

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