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Talibés : les enfants mendiants du Sénégal, de l'or pour les marabouts

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Talibés : les enfants mendiants du Sénégal, de l'or pour les marabouts

En Afrique de l’ouest, la tradition d’envoyer au moins les enfants à l'école coranique s’est transformée en commerce.

On les repère dans les rues de Dakar ou de Saint-Louis à leurs grands yeux hagards et à leurs gamelles de plastique pendues autour du cou. Qu’on soit "toubab" ou noir, qu’on termine un yassa sur le bord de la route ou qu’on attende dans la carlingue miteuse d’un taxi-brousse, impossible de ne pas voir les talibés, ces élèves d’écoles coraniques que leurs maîtres obligent souvent à mendier. Ils sont là, se précipitent sur les assiettes métalliques des restaurants de rue une fois le client rassasié ou glissent leurs minuscules mains sales et apeurées par la fenêtre des voitures.

Leurs joues dévorées par la faim, leur peau d'ébène grisée par la pollution, leurs petits corps noyés dans un vieux maillot de football de contrefaçon ou un tee-shirt trop grand, ils mendient. D’abord on s’attendrit. Puis, à force de se déchirer le cœur à chaque croisement de rue, on finit par les ignorer, comme tout le monde, et leurs silhouettes maigres se transforment en faibles fantômes dont le nom est tabou.

Sur les bancs de la misère

"Pour sauver les talibés, l’Etat prévoit amendes et peines de prison pour ceux mettant leurs enfants dans la rue", tweetait Macky Sall, l’actuel président du Sénégal, le 1er juillet 2016, avant de lancer le plan "retrait des enfants des rues". Juillet 2017, un an après, Human Rights Watch publie un rapport qui en dresse le bilan. Précis, fondé sur une série d’entretiens avec 43 talibés dans 5 refuges pour enfants et 17 écoles coraniques différentes, il nous rappelle avec violence les conditions de vies de ces jeunes talibés (de l’arabe talib, "étudiant"), envoyés par leurs parents à des marabouts (l'équivalent local des imams) pour apprendre le Coran et faire honneur au clan. C’est la tradition du "confiage", celle d’envoyer un enfant par fratrie dans une daara, une école coranique, dès l'âge de cinq ans.

Toutes les écoles coraniques ne forcent pas leurs élèves à la mendicité. Mais dans un précédent rapport paru en 2010, Human Rights Watch estimait déjà à 50.000 le nombre de ces jeunes enfants, essentiellement des garçons, "forcés par leurs maîtres coraniques à mendier chaque jour leur quota d’argent, de riz ou de sucre". Car une fois leur enfant placé entre les mains des marabouts, ces derniers les emmènent parfois à plusieurs centaines de kilomètres de chez eux. Et les parents n’ont alors que très peu de contrôle sur le sort de leur progéniture.

Enfermés, entassés dans des logements insalubres, mal nourris, battus ou enchaînés, violés parfois, les talibés sont transformés en de lucratifs esclaves. Réfugié dans un centre pour enfants de Dakar, un ancien talibé de 18 ans décrit à Human Rights Watch les conditions de son emprisonnement :

"Dans mon daara de Diourbel, j’ai été emprisonné pendant deux ans dans une 'cellule' parce que je ne voulais pas apprendre. Je faisais tout dans cette pièce : manger, aller aux toilettes… Il y avait beaucoup d’autres talibés avec moi dans la pièce, qui avaient refusé d’apprendre eux aussi, ou tenté de fuir. Nos jambes étaient attachées avec des chaînes, même celles des plus jeunes [...]. Ceux qui essayaient de fuir étaient punis, battus."

Depuis l'engagement du président Macky Sall, deux d’entre eux sont morts à la suite de sévices. Malgré une balbutiante prise de conscience, le système est difficile à changer tant les profits générés sont gargantuesques.

Un système économiquement florissant

En 2015 déjà, Ismaïl Ndiaye, imam de la mosquée Cheikh Anta Diop à Dakar et membre de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal, affirmait à une télévision locale que "retirer tous les mendiants des rues, c’est couper la source de revenus de 30% des familles sénégalaises". Soit plusieurs millions de personnes. Pour assurer leur approvisionnement en main d’œuvre et fidéliser les parents, certains marabouts se seraient mis à leur reverser des pensions. Gagnant jusqu’à 2 millions de francs CFA par mois (environ 3.000 euros), les marabouts qui exigent de chaque enfant un rendement quotidien se multiplient.

Dans le rapport d’Human Rights Watch, un talibé de Saloum, âgé de huit ou neuf ans, raconte ses deux années passées dans une daara :

"Nous faisions la mendicité pour de l’argent et pour du riz. Le marabout demandait 400 francs CFA par jour. Le mercredi, c’était 500 francs CFA, pour payer le loyer et l’électricité. Si nous n’apportions pas l’argent, ou si nous ne récitions pas les versets, le marabout nous battait. Il nous frappait avec une ardoise cassée en deux [l’ardoise en bois utilisée pour écrire les versets du Coran, NDLR]."

Et certains marabouts "possèdent" plusieurs centaines d'enfants. 

Initialement destiné à des fins religieuses, ce système se serait ainsi professionnalisé jusqu’à perdre dans certains cas toute vertu éducative ou religieuse. A Dakar Plateau, près du palais présidentiel, le gardien de nuit d’une banque occidentale rencontré en mars 2017, affirme que le problème est moins dû à la gloutonnerie des marabouts qu’à la misère des talibés. De son point d’observation de choix sur la misère de la rue, il décrit ce qu'il a vu :

"A l’été 2016, l’Etat est venu avec des bus pour rafler les mendiants. Il a arrêté plusieurs centaines de personnes dans le centre-ville. Mais lorsqu’on les libère, ils n’ont rien d’autre à faire, ils reprennent la mendicité. Tant que l’Etat n’organisera pas l’assistance publique, son combat contre l’exploitation des talibés sera perdu."

Un programme qui ne va pas assez loin

L'Etat a tout de même redoublé ses efforts. En 2005, une loi qui interdisait la mendicité forcée et la traite des êtres humains avait déjà été votée, mais sans succès. En juin 2016, à la suite de l’engagement fanfaronnant de Macky Sall, le ministère de la Femme, de la famille et de l’enfance, lançait un programme intitulé "retrait des enfants de la rue" pour appliquer cette loi. Entre juin 2016 et mars 2017, 60 opérations de rues ont été menées par la police et les travailleurs sociaux dans les rues de Dakar. 1.547 enfants ont été officiellement retirés des rues, recueillis et placés dans des centres d’accueil, pour être ensuite restitués à leurs parents.

Mais comme souvent, les chiffres masquent une réalité qu’on préfère taire. "Le programme de retrait ne permet pas de protéger les droits des enfants ni de rendre justice aux victimes", titre ainsi le chapitre 2 du rapport. Corinne Dufka, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch, abonde :

"Bien qu'il représente un pas dans la bonne direction, le programme du Sénégal visant à retirer les enfants des rues n'a presque rien changé au nombre alarmant de jeunes talibés qui sont tous les jours victimes d'exploitation, d'abus et de négligence."

Faiblesse des investissements (141 millions de francs CFA au lieu des 14 milliards promis), mauvaise communication publique, absence de coordination entre les ministères et les acteurs de terrain locaux : le programme "retrait" ne semble être qu’une opération de communication.

Corinne Dufka détaille : "Pour s'attaquer au cœur du problème, le gouvernement devrait veiller à ce que les maîtres abusifs fassent l’objet de sanctions ou de poursuites." Mais l’Etat, malgré ses promesses, demeure frileux à condamner les marabouts, que la tradition et le tissu social entourent toujours d’un halo d’inviolabilité. Aucun de ceux qui ont été surpris à exploiter des talibés n’a été arrêté. Pire : sur les 1.456 enfants que le gouvernement a déclaré avoir "retournés" à leurs familles, 1.006 ont même été renvoyés à leurs maîtres coraniques sans enquête sur ces derniers ou sur les conditions de vie de leurs daara. Et près de 85 marabouts auraient même reçu de l’argent ou des fournitures de la part du ministère de la Famille lorsqu’ils sont venus récupérer leur main-d’œuvre illicite.

L’échec est criant : 37 des 43 enfants talibés interrogés par HRW ont avoué avoir été forcés à mendier ou ont été surpris à le faire. "En juin et en juillet 2016, il y avait moins d'enfants dans les rues," concède Etienne Dieng, le gestionnaire d’un des trois centres d’accueil pour talibés sortis de la rue. "Mais quand les maîtres ont vu qu'il n'y aurait pas de sanctions, ils se sont mis à renvoyer les enfants dans les rues." Et le trafic est d’autant plus difficile à contrôler qu’il concerne toute l’Afrique de l’ouest.

De la chair à canon pour Al-Qaida

Selon les chiffres fournis par le ministère de la Famille au journal "Senego", seuls 829 des 1.374 enfants identifiés par la police dans le cadre du plan "retrait", entre juin 2016 et février 2017, sont sénégalais. Les autres sont "importés" des pays voisins : Guinée-Bissau (355) ou Mali (103) et dans une moindre mesure Gambie ou de Guinée. A l’inverse, des Sénégalais sont envoyés dans d’autres pays, au gré du marché. Dans les pays en guerre, le problème se pose alors avec d’autant plus d’acuité que les étudiants, privés de débouchés après leur éducation religieuse, sont souvent enrôlés dans les groupes de combattants.

C’est ce qu’affirme un proche de l’imam de Djenné, au Mali, qui propose aux rares toubabs de passage de leur faire visiter la ville. Dans cette cité millénaire, connue pour sa somptueuse mosquée et réputée pour ses daara, les enfants viennent de tous les pays d’Afrique de l’ouest. Selon le guide, rencontré en avril 2017, beaucoup de ces enfants "ne peuvent rien faire après la daara. Ils connaissent bien le Coran, certes, et lisent l’arabe, mais ils n’ont aucune compétence demandée sur le marché du travail. Un nombre infime parviendra à devenir grand-talibé [assistant du marabout NDLR] puis marabout". Et pour les autres ?

"Que voulez-vous qu’ils fassent ? Inadaptés, ils chercheront du travail, traîneront en bandes, et seront de la chair à canon pour Al-Qaida."



15 Commentaires

  1. Auteur

    Las

    En Août, 2017 (16:53 PM)
    Talibes. Un des plus grands fleaux du Senegal.



     :bindeu: 
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  2. Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (17:14 PM)
     :sunugaal:  :fbtear:  :fbtear:  :fbtear:  :fbtear:  :fbtear:  :fbtear:  :fbtear:  :frustre:  :frustre:  :frustre:  :frustre:  :frustre:  :frustre:  :frustre:  :frustre:  :sunugaal: 
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    Auteur

    Avis.

    En Août, 2017 (18:08 PM)
    Reorganisons les daharas en leurs octroyant une part des 40% du budjet destinait a l education qui ne regle meme pas leur besoin en l augmentant.Oubien fermons la jusqu a trouver une solution.Dailleurs comme disait l autre comment peut on comprendre detenir des ressources minieres et aller tout le temps mendier chez les blancs? ça n a pas de sens.diadieuf wayyye.
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    Auteur

    Papa Soum

    En Août, 2017 (18:13 PM)
    Moi j'ai une solution très efficace et 1000fois moin couteuse que celle proposée par le gouvernement du Sénégal. Je suis en mesure de mettre en place cette solution sans conditions ni bénéfice au nom de Dieu.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (18:18 PM)
    Et les ONG aussi alors ca va continuer car les ONG ne vivent que dr ça

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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (18:58 PM)
    dans tous les pays développé les enfants sont la frange de la populations la plus protégé mais dans ce pays l'Etat passe son temps à tergiverser depuis des décennies

    personne ne prendra cette décision à la place de l'Etat ça demande juste du courage, l'histoire montre que quand les intérêts des politiciens sont en jeu ils n'hésitent pas à utiliser la répression pour régler le problème

    c'est une honte de voir des enfants sans défense trimbaler dans la rue c'est inacceptable et inadmissible
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    Auteur

    Les Talibés Mendiants

    En Août, 2017 (19:37 PM)
    la balle est dans le camps des khalifs de confréries religieuses, l’état pour l'instant se sent démuni sauf s'il pénalise ce crime et envoyer les parents des talibés en prison.  :sunugaal: 
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    Auteur

    Dofe

    En Août, 2017 (19:41 PM)
    Ce n'est pas interdit ça encore ? :frustre:  immange du Sénégal et dégradé plus en plus ça fait mal Et mal
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    Auteur

    Honte Aux Oustassssssses...

    En Août, 2017 (20:17 PM)
    ... MEME LES ANIMAUX NE FONT PAS çA...



    ... JAMRA, IRAN NDAO, ....& CO ..... SILENCE RADIO/TV....



    ...THIMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMM :jaaxle: 
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (20:57 PM)
    BALA MAYE DAI NIOUNANE YALLAH SOU KHAIBAI LOUNIOUKOYE JAMOU SENEGAL ETC ... KOU AMOUL YEUREUMANDAI SIKHALAI SAJOULITAI MANKAINA
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (21:48 PM)
    En tout cas ici à Saint-Louis et surtout dans le quartier de Pikine, les talibés allogènes sont en train de devenir plus nombreux que les autochtones. Chaque matin, ils sont des milliers à sortir du quartier; petits et grands pour aller chercher de l'argent.

    L'affaire est trés rentable car des marabouts qui squattaient des maisons inachevées ont pu acheter des terrains et se faire construire des maisons à étage. Quand on a 100 talibés qui rapportent 500 F chaque jour, du riz (revendu), du sucre, on ne ferait pas un autre métier.

    C'est une simple exploitation des enfants à Saint-Louis car ici on connait les vraies dara qui font payer les parents chaque mois, qui disposent même d'internats, qui ont des structures de formation professionnelle.

    Le problème est que des marabouts ont migré du Fouta avec les enfants d'autui pour gagner du fric et voyant leur réussite,aucun marabout be tient plus à rester au Fouta, tous veulent venir dans les grandes villes de l'Ouest. Ils ont été imité par des marabouts originaires du Saloum et du Cayor qui sont venus avec leurs centaines d'enfants chercher des sous.

    Les derniers à venir sont les peuls firdou de Kolda et de Guinée Bissau, ils sont partout reconnaissables par leur taille et leur physionomie. Eux ne s’intéressent qu'à l'argent et sont capables de voler quand on ne les épie pas.Parmis eux il y a des talibés de plus de 15 ans qui eux travaillent comme porte-faix ou autres et, ils gagnent assez de fric pour s'acheter des portables dernier cri et des vélos, ce qui était impossible chez eux.

    Et lorsqu'ils repartent en Guinée, ils bombent le torse et tout le monde veut les imiter.

    Les parents profitent du daaca de madina gounass pour convoyer leurs enfants vers Saint-Louis.

    Il est facile de comprendre pourquoi Pikine est devenue plus sale que Mbeubeuss. Quand des centaines ou des milliers de personnes vivent dans des maisons inachevées, sans wc, ils déféquent partout où ils veulent.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (23:38 PM)
    Les Sénégalais au non de la religion tolèrent cet esclavage des enfants. Et le pouvoir excecutif fait semblant de vouloir le résoudre. Et nous voulons que le reste du monde nous respecte en nous voyant traité nos enfants de la sorte.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (09:17 AM)
    moi c'est cela qui me tue au sénégal, on laisse ces enfants trainer à longueur de journée à mendier , et malheureusement personne ne fait rien pour arrêter ça. c'est vraiment dommage.

    Eh oui quelqu'un l'a dit plus haut, c'est à croire que nous n'avons plus rien d'humain. Il ya vraiment de quoi se poser des questions. voilà une catastrophe, une bombe à retardement pour ce pays.
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (12:01 PM)
    cest triste et merdique tt le monde est responsable et les premiers cretins ce sont les mara de merde Dieu vs attends comme les autorites sont si nuls et si peureux
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    Auteur

    Anonyme

    En Août, 2017 (13:51 PM)
    ses marabouts tous des esclavagistes, la prisons rek pour eux et pendant que les talibets mendient, leurs enfants vont dans les grandes écoles . Dans quelles société nous vivons ?ou est la morale . :sunugaal:  :sunugaal:  :sunugaal: 
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