LA CSS, UNE PRATIQUE D’ECONOMIE DE RENTE

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LA CSS, UNE PRATIQUE D’ECONOMIE DE RENTE

La Compagnie Sucrière du Sénégal (CSS) est une entreprise existant sur le sol sénégalais il y a 50 ans. Elle est dirigée par un exilé fiscal multimilliardaire résidant en Suisse. Elle exploite pour la culture de la canne à sucre environ 12.000 ha des terres du Walo. Son apparition au Walo a provoqué dans les années 70 un fort courant d’exode rural vers Saint-Louis et Dakar et d’émigration vers Nouakchott (la capitale de la Mauritanie). Ceci explique la présence d’une très forte communauté de milliers de walo walo à Nouakchott. Le Walo était ainsi vidé de sa jeunesse qui ne trouvait plus de terre à cultiver. En se rendant dans mon village je traverse les champs de canne à sucre qui me rappellent mes souvenirs d’enfance teintés de mes chaudes sueurs versées en labourant la terre de mes ancêtres dédiée à la production du mil (une variété de mil que je ne vois plus sur le marché). J’ai cherché en vain le contrat qui a permis cette forfaiture au nom des promesses mirobolantes que le mythe de l’agro-business nous faisait miroiter. Notre compatriote Habib Thiam (que Dieu accueille son âme au paradis), à qui nous accordons la présomption de bonne foi, n’est pas étranger à ce contrat. Il était le ministre du développement rural, un concept ministériel disparu de la nomenclature gouvernementale. En passant, nous souhaitons vivement son retour dans l’architecture conceptuelle ministérielle et son intégration dans le système de stratégie globale du pays. Il pourrait s’avérer très dynamique, très stratégique et très fécond pour le développement territorial. Les habitants des villages de Mbilor, de Keur Mbaye, de Guidakhar, dans la commune de Bokhol (pour ne citer que ceux-là) ont été spoliés de leurs terres sans réparation au profit de la CSS. Aujourd’hui, ils sont concentrés dans des lopins de terre de 0.3 à 0.5 ha en lieu et place des 3 à 5 ha dont ils disposaient pour nourrir leurs familles. La seule récompense pour calmer leur colère et leur anxiété se mesure à quelques emplois plus saisonniers que permanents et à des prestations de services d’irrigation plus parcimonieusement distillés que nécessairement planifiés. Les maladies hydriques font leur apparition suite à l’abondance de l’eau polluée qui entoure les villages et qui est rejetée dans le fleuve. L’environnement est pestiféré par la présence de moustiques féroces pendant toute l’année. Tout le contraire de notre époque où les moustiques n’apparaissaient que pendant la courte saison des pluies. On se baignait, on buvait, on préparait nos repas avec l’eau du fleuve sauf pendant la période de la langue salée (phénomène de remontée cyclique de l’eau de mer dans le fleuve Sénégal) qui servait à nettoyer l’eau de ses impuretés à travers des évènements biogéochimiques. La diversité biologique n’est pas en reste. La disparition des espèces de poisson (les khaabes, les roumes, les walousses, etc.) qui représentaient des stocks de vitamines et de protéines pour protéger et garantir notre santé est frappante. La CSS est doublement coupable d’expropriation des terres mais également d’agressions sanitaires via la détérioration de l’environnement. Il n’est jamais trop tard pour réparer ce préjudice. Les terres fertiles du Walo sont aujourd’hui convoitées, elles sont menacées par le mythe de l’agro-business. Il faut prendre en compte dans les contrats emphytéotiques les intérêts des populations. Ne serait-il pas raisonnable et légitime de convertir la valeur foncière des terres considérées en actions prises dans le capital des entreprises ? Cela permettrait de compenser à long terme le tort causé aux populations en leur assurant une sécurité sociale. L’application rétroactive de cette proposition est d’une nécessité pertinente dans le cas de la CSS. La commune de Richard Toll profite à elle seule de centaines de millions de la CSS tandis que les communes dont les populations sont plus impactées par les activités de la CSS perçoivent des miettes voire rien du tout dans le pire des cas. Cependant, il nous faut noter que la CSS finance du social dans le cadre de sa responsabilité sociétale notamment dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l'irrigation, de la distribution d'eau potable, de la construction de puits, de forages,

d'étangs où s'abreuve le bétail et de dons de fourrage aux éleveurs. Malgré tous ces efforts, nous dénonçons le contrat initial et appelons à sa révision au profit des populations déshéritées de leur sol afin de les réhabiliter comme des actionnaires à part entière de la CSS.

La Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) est victime de sa pratique d’économie de rente. La CSS a pour mission d’assurer l’autosuffisance en sucre du Sénégal. Elle a eu 50 ans pour atteindre ce but et empêcher définitivement les importations de sucre. La CSS exerce un monopole sur la production mais l’état ne peut pas lui garantir le monopole de l’importation. C’est à elle de fixer les objectifs de production qui lui permettent de couvrir en un temps déterminé tous les besoins de la consommation du pays en sucre. Mais elle a préféré la spéculation, la facilité de la rente liée à la protection du prix du sucre au Sénégal. La CSS intervient dans l’importation du sucre comme tous les acteurs qu’elle accuse de manipuler frauduleusement les DIPA. Elle est rattrapée par son jeu qui consiste à dépenser moins en gagnant plus. Elle est en train de payer les frais de sa pratique spéculative d’économie de rente. Le sucre est l’une des denrées alimentaires de première nécessite dont le prix a fortement baissé sur le plan international. Le sucre de la Mauritanie est vendu devant l’usine de Richard Toll aux deux tiers du prix pratiqué au Sénégal. Les populations de Richard Toll et de Rosso voire du département de Dagana n’achètent pas le sucre de la CSS parce qu’il coûte excessivement cher. La CSS s’accommode de cet état de fait depuis des années.

La consommation du Sénégal est de 18.000 tonnes par mois ou de 216.000 tonnes par an à raison de 600 FCFA le kilogramme de sucre, selon les chiffres du ministère. On se retrouve avec une rente de plus de 40 milliards de francs CFA offerte gratuitement et gracieusement à la CSS et aux importateurs (le sucre pourrait être vendu au prix de 400 FCFA/kg selon certains importateurs membres de l’UNACOIS). Tout l’enjeu de cette agitation relève du partage de ce gâteau lié à la protection du prix du sucre. A qui la plus grosse part ? Nous déplorons cette monstrueuse et énorme rente extorquée au pouvoir d’achat national des 16 millions de consommateurs sénégalais pour sauvegarder 8500 emplois hypothétiques dont l’écrasante partie est constituée de travailleurs saisonniers. La CSS doit s’assumer en déployant tous ses moyens pour atteindre l’autosuffisance alimentaire en sucre et ainsi arrêter l’importation. Elle ne peut ni empêcher d’autres sénégalais de prendre leur part du gâteau ni continuer à sucer les 16 millions de consommateurs sans payer les frais. Les arguments de préservation des emplois aussi légitimes qu’ils soient ne peuvent justifier la charge de la rente liée à la spéculation attentoire sur le pouvoir d’achat du consommateur.

Paradoxalement l’agro-business détruit plus d’emplois et d’activités qu’il n’en crée. Il ne se justifie donc pas par sa capacité à créer des emplois contrairement à l’opinion répandue. Il ne se justifie que par sa capacité à nous assurer la souveraineté alimentaire. La COVID-19 vient de nous apprendre que les frontières peuvent être fermées, que les peuples peuvent risquer de vivre en vase clos et d’être ainsi menacés par la faim et la maladie par défaut de subsistance et de médicaments. Il faut intégrer dorénavant cette donnée dans le système stratégique global du pays en matière de prévention et de prospective. L’industrialisation devient alors une nécessité et une garantie de souveraineté alimentaire et sanitaire au-delà de la création d’emplois. Aidons la CSS à atteindre l’autosuffisance en sucre, à conserver et protéger ses emplois, à vaincre la dynamique de l’importation mais aussi et surtout à intégrer dans son capital les actions en valeur foncière des populations du Walo déshéritées de leur terre dans l’effet d’assurer leur protection sociale à travers la perception de leurs dividendes. Ceci est légitime car l’agro-business détruit l’environnement et extorque les terres des autochtones en les appauvrissant.

La pratique d’une économie de rente ne peut pas prospérer à long terme. La seule façon durable de protéger les emplois c’est d’atteindre l’autosuffisance en sucre. VIVE LA CSS ! VIVE LE WALO !

Dr. Abdoulaye Taye

Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop

Initiateur du RBG-AMO

Président de TGL


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