LEADERS POLITIQUES A L’EPREUVE DU LEADERSHIP POSTMODERNE

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  • Article ajouté le : 28 Mercredi, 2015 à 19h01
  • Author: Baidy DIA

LEADERS POLITIQUES A L’EPREUVE DU LEADERSHIP POSTMODERNE

            Un film que j’ai regardé récemment sur Nollywood se terminait sur ces mots : « Prenez garde à ce que vous faites, vos erreurs finissent toujours par vous rattraper ». Certains de nos dinosaures politiques ne diront pas le contraire. Ils semblent être victimes de ce que Maky Sall appelait il n’y a pas longtemps « le complexe du commandement » si caractéristique de l’administration sénégalaise. C’est une attitude à chercher dans une culture de l’« homme dur », pour reprendre les termes de la psychologue Elizabeth Badinter. Comment l’identité masculine entre-t-elle en conflit avec le leadership postmoderne ? Pourquoi certains leaders ratent-ils la sortie au crépuscule de leur carrière ?

« En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle »

Eloge ou critique de la « sagesse africaine »? Cette affirmation de Hampaté Ba s’applique sans doute à des hommes politiques dits expérimentés comme Wade, Niasse, Tanor, etc. qui ont traversé l’histoire politique du Sénégal indépendant. Mais l’on ne peut s’empêcher également de se demander si Hampaté ne formule ironiquement une critique à l’endroit de ces sages. En effet, si le savoir que contient cette bibliothèque qui part en fumée était enseigné, la destruction de celle-ci n’aurait certainement pas causé de soucis à la communauté.

Vu sous cet angle, détenir un savoir, c’est exercer une ascendance sur les autres et l’enseigner c’est le morceler, le perdre, ne plus être le seul centre d’intérêt et de décision, c’est-à-dire sombrer dans la masse anonyme. C’est sous ce prisme qu’il faut comprendre le leader traditionnel doté d’atouts exceptionnels—richesse, témérité, intelligence, etc.

Alors comment comprendre l’attitude de Moustapha Niasse? Dans l’idéologie traditionnelle, les hommes ne sont pas censés incarner des valeurs qui renvoient à la délicatesse, la douceur, la tendresse. Il faut être un goor gu dëgër, cet « homme dur » qui exprime difficilement ses sentiments, dont Okonkwo d’Achebe est certainement l’incarnation la plus parfaite. Ceci explique pourquoi Niasse gifle, insulte, menace, nomme, dégomme, se sert de sa richesse et menace de couper le robinet. Malgré sa stature d’homme d’Etat.

Dans un tel schéma, les instances régulières du parti ne sont qu’une forme de démocratie en trompe l’œil. Il s’agit d’un leadership directif pour lequel garder toutes les cartes en main, sans jamais les distribuer réellement, devient le seul moyen d’affirmer et de conserver sa mâlitude. Voilà pourquoi un tel leader accepte difficilement qu’on lui résiste. C’est aussi la raison pour laquelle il ne peut ni préparer la relève ni penser à la retraite. Encore que, chez nous, politique ou pas, la retraite est perçue comme une mort sociale.

Beaucoup de leaders vivent très mal les contradictions au sein de leur organisation. Ils se voient honteusement comme un père qui n’arrive pas à maîtriser sa famille. D’où leur réaction parfois disproportionnée (licenciement, expulsion, violence verbale ou corporelle, muut mbaa mott, etc.) pour prouver le contraire. Pendant quelque temps l’organisation va s’apparenter à un long fleuve tranquille sur lequel glissent des canards. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que l’image paisible du canard sur l’eau masque toujours ses pattes qui pédalent comme un dératé, c’est-à-dire les intrigues qui se trament à votre insu et qui attendent patiemment le moment propice pour exploser. Et quand cela arrive, il est souvent trop tard pour rebondir : on passe brusquement à la trappe !

Si l’on est conscient de l’alternance entre l’apogée et la chute, il devient alors crucial de comprendre le cycle de la motivation afin de savoir à quel moment introduire le changement, impulser l’organisation et briser le cercle vicieux.

Comprendre le leadership postmoderne

Il est clair que Moustapha a des difficultés à contrôler ses émotions, ce qui est bien dommage pour un leader. Aujourd’hui, le leadership s’inspire beaucoup de ce que Daniel Goleman appelle « l’intelligence émotionnelle » qui remet au goût du jour les émotions avec la force qu’on leur connaît. Le psychologue avance même que celles-ci sont devenues un symptôme de notre époque : « Les gens sont ballottés par des émotions incontrôlables et sont peut-être aussi perturbés par les changements technologiques … et sociaux qui créent une distance et mettent en cause les liens émotionnels traditionnels ». Ce qui cadre parfaitement avec la définition que le sociologue Michel Maffesoli donne du postmodernisme : « l’archaïque réinvesti par le moderne, ou le moderne entrant en synergie avec les éléments les plus archaïques, c'est-à-dire les éléments premiers, primordiaux de toute humanité ».

Autrement dit, c’est une réaction contre le modernisme qui a toujours prôné la rationalité, associant l’intelligence au quotient intellectuel (QI) et les émotions à l’animalité, à l’obscurantisme. Mais Goleman affirme qu’il y a une autre forme d’intelligence extrêmement porteuse : l’intelligence émotionnelle. C’est la capacité à explorer ses émotions, à les contrôler et à les utiliser positivement dans la relation avec l’autre. Selon vous, quel est le quotient émotionnel (QE) du Président Niasse ?

Dans le leadership postmoderne, il y a une déconstruction du leader qui fait que « l’être exceptionnel, modèle incontestable, s’est substitué un être commun qui finit par s’évanouir à force de banalité ». Ce passage de l’individu d’exception à l’être dépersonnalisé explique bien la crise du leadership que nous connaissons dans la sphère politique sénégalaise. Cela explique aussi le manque de vision tant décrié chez ces derniers. Car la vision ne s’accommode pas d’un style de leadership directif, mais plutôt du coaching. C’est le temps des équipes, pas des messies ou guides éclairés ! Et comme qui veut aller loin doit ménager sa monture, les leaders doivent apprendre à être des leaders coachs : permettre aux énergies de se libérer, créer une synergie, aider son équipe à atteindre tout son potentiel, à se développer personnellement et professionnellement.

Mais quand le leader restreint cyniquement les jeunes loups talentueux aux longues dents, cherche à les briser ou à les pousser vers la sortie, l’envie de se réaliser les pousse à braver les interdits, les logiques disciplinaires et d’autorité comme le disent si bien Pinçon & Pinçon-Dominique : « N’ayant plus tant à correspondre à ce que l’on attend de lui qu’à être force de proposition, l’individu est sommé d’être lui-même et donc de s’inventer, de se construire son identité à travers tous les possibles ».  Je pense à Idrissa Seck, Malick Noel Seck, Malick Gackou & cie, etc. C’est certainement le cas de ce dernier qui a généreusement cédé sa place à Aliou Sall—sous la contrainte ?

Le leadership doit être partagé pour être efficace et efficient. Etre leader, ce n’est pas toujours être devant ; c’est savoir se mettre en retrait, quand il le faut, et observer son équipe de briller de mille et un feux.

Je termine ce texte sur ces mots que  j’ai l’habitude de servir à ceux que je forme : Si vous vous demandez encore si vous êtes un bon leader, posez-vous cette question : Si on enlevait vos titres, l’autorité que vous avez sur vos subordonnés ou collaborateurs, accepteraient-ils toujours de vous suivre ?

 

Baidy Dia

Professeur d’Anglais

Chercheur à LERPLA (UCAD)

Formateur en Leadership (pour le British Council)

[email protected]

 


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Baidy - #1

Merci Ousmane. Puisque Vous Aimez, J'en Publierai De Temps En Temps. Peut-être Que Je Vous Inviterai à Ma Prochaine Séance De Formation.

le Vendredi 30 Janvier, 2015 à 20:23:14RépondreAlerter

Baidy - #2

Merci Ousmane. Puisque Vous Aimez, J'en Publierai De Temps En Temps. Peut-être Que Je Vous Inviterai à Ma Prochaine Séance De Formation.

le Vendredi 30 Janvier, 2015 à 20:23:45RépondreAlerter

Ousmane Gaye - #3

Cher Professeur.votre Texte M'a Tellement Séduit.vous Avez Tout Dit De Ce Que Doit être Un Leader Moderne.et Moi Qui Aspire En être Un Je Vais Faire De Votre Texte Un Guide.merci Infiniment Pour Cette Réflexion.qu’allah Augmente Votre Science.

le Vendredi 30 Janvier, 2015 à 10:35:03RépondreAlerter

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