Pr. Aziz Salmone FALL, politologue : « Ce qui se passe au Mali doit pousser l’Afrique à s’unir »

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  • Article ajouté le : 03 Mercredi, 2012 à 16h34
  • Author: eca fiad

Pr. Aziz Salmone FALL, politologue : « Ce qui se passe au Mali doit pousser l’Afrique à s’unir »

Enseignant à l’Université du Québec à Montréal, Aziz Salmone Fall estime que les crises en Somalie, en Libye et au Mali doivent pousser l’Afrique à s’unir. Cette unité doit être matérialisée par la mobilisation d’une force militaire africaine pour libérer le Nord Mali de l’occupation islamiste. Membre fondateur du Mouvement pour les Assises de la gauche (Mag) et coordonnateur de la campagne internationale « Justice pour Sankara », le Pr. Fall est également d’avis que la sécurité et la stabilité du Sénégal dépendront d’une politique proactive panafricaine.

Quelle analyse faites-vous de la recrudescence de la violence dans le Sahel ?
Il y a une forte évolution dans le Sahel avec la menace islamiste. La question du Sahel doit être perçue dans une géopolitique plus large. D’abord, ce qui se passe au Maghreb où il y a le fameux printemps arabe à caractère révolutionnaire très vite circonscrit par des formes d’intégrismes en connivence avec l’impérialisme. C’est à dire que l’impérialisme des forces à caractère rétrogrades religieuses. Le verrou n’existe qu’en Algérie. L’Algérie est le seul pays qui, jusqu’à présent, a un grand mouvement à caractère religieux, mais qui ne prend pas une ascendance sur le régime. Ce phénomène qui a longuement duré au temps de l’islamisation de l’Afrique du Nord, de la région du Sahel, est une sorte de bégaiement de l’histoire, mais il doit être mis en rapport avec l’ouverture sur les terres rares (...). Ces forces opportunistes profitent de la prolifération des armes pour créer des filières qui descendent dans le bassin algérien. Elles sont entraînées en Mauritanie jusqu’au Niger pour justement développer leur capacité de nuisance, en connivence avec des régimes compradors.

Qu’est-ce qui a favorisé l’émergence de ces forces ?
Il y a des dynamiques que je peux dire transnationales extérieures. Vous avez des dynamiques sous-régionales et des dynamiques strictement régionales. Par exemple, certains généraux algériens sont à la fois le verrou contre cet islamisme rampant, mais d’autres soutiennent la contrebande, la drogue dans la sous-région jusqu’en Guinée-Bissau. Ce genre de situations assez paradoxales sont issues, en réalité, de la mondialisation, c’est-à-dire des formes de prédations qui sont capables d’instrumentaliser le désordre. Cette instrumentalisation du désordre est éminemment dangereuse, parce qu’elle a pour origine la capacité de causer l’implosion des Etats-nations. Des Etats-nations qui se sont à peine cristallisés. Un pays comme le Mali s’est retrouvé, à l’ère du général Amadou Toumani Touré, immédiatement coincé dans une sorte de deal avec les forces de l’Otan qui voulaient installer une base africaine sur le continent, sous prétexte de juguler les conflits dans la sous-région à l’échelle continentale.

La chute d’Amadou Toumani Touré a eu pour conséquence l’occupation du Nord Mali par des islamistes. Qui doit agir pour libérer cette zone ?
Il revient soit à la Cedeao de régler le problème, soit à l’Algérie. La Cedeao étant principalement constituée de pays de nature comprador, il serait très difficile pour eux qui ont plus des problèmes de dissensions internes, de voir le risque d’importation du risque intégriste chez eux. N’oublions pas que les nébuleuses, les excroissances de type Al-Qaïda sont des avatars de cela. C’est-à-dire du mouvement qui a été formé par les américains pour la déstabilisation de l’Afghanistan, ensuite du Soudan. Ce sont des excroissances de ces mouvements qui font proliférer leur capacité de nuisance, qui utilisent les demandes sociales légitimes des populations pour le changement des besoins essentiels qui arrivent à créer des enclaves de bien-être qu’ils entretiennent par une logique militariste. Il y a beaucoup d’Africains qui vont aller avec ces mouvements. Se lancer dans une lutte contre ces mouvements pour un pays comme le Nigéria, c’est risquer aussi l’intrusion, puisque plusieurs Etats du nord du Nigéria sont affligés par les mêmes phénomènes. Des forces se sont mises en liens avec d’autres forces qui ont tout intérêt à démonter l’ordre de nos Etats, l’accès aux ressources. C’est un peu ce qui se fait au Congo, c’est-à-dire que l’abondance des ressources potentielles amène la possibilité de l’instrumentalisation du besoin. Ce besoin va permettre une ponction de matières premières et repousser les populations en dehors des zones qui sont convoitées. En fait, ce type d’ordre mondial préfère l’Afrique sans les Africains.

Doutez-vous de la capacité de la Cedeao à pouvoir libérer le nord Mali ?
Regardons d’abord le temps durant lequel une intervention de la Cedeao aurait dû être faite. Regardons les capacités militaires des forces de la Cedeao. Regardons également l’envergure d’une force de 3.300 hommes sur un territoire aussi vaste et hostile. Il faut voir la capacité que ces 3.300 hommes vont pouvoir développer pour juguler de façon si difficile des forces qui sont éparses, diluées sur le territoire. Des forces qui ont une capacité de nuisance dans les Etats qui vont intervenir. Qui devrait se porter immédiatement à la rescousse ? Il est clair que les autorités, de façon tout à fait louable, regardent à deux fois avant même d’ouvrir les portes aux refugiés, avant de faire une politique de soutien au Mali, un pays frère. Le même pays que le nôtre. Il est clair que le problème nous regarde tous. Nous ne devons pas le regarder comme un problème régional maiscomme un problème continental. 
Voulez-vous dire que le problème ne concerne pas seulement la Cedeao ?
L’Afrique doit avoir sa propre force d’intervention. C’est un travail qui incombe à l’Union africaine. L’intervention ne revient pas seulement aux forces régionales. C’est une force qui devait exister au niveau de l’Union africaine qui devrait le faire. Cette force, nous avons échoué à la créer. Il n’est jamais trop tard pour la créer. Cela suppose que nos Etats aient une réflexion d’un type panafricain pour faire face aux enjeux du 21ème siècle. Ils s’organisent sur nos ressources. Si nous ne nous organisons pas, ce serait la poursuite de six siècles d’exploitation que l’Afrique a connus.

Que pensez-vous des lenteurs notées dans l’intervention de la communauté internationale ?
Ces lenteurs sont tout à fait normales. La grande capacité de nuisance de ces forces qui déstabilisent est liée au fait qu’elles sont de connivence avec des firmes multinationales. C’est pour cela que j’estime que le caractère transnational du phénomène ne doit pas être confondu avec le soutien ou la situation internationale. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où l’ordre des Etats-nations a été transcendé par un ordre qu’on appelle transnational qui est la nature débridée et hybride que le capitalisme a revêtu. C’est cela que les gens ne comprennent pas. On n’a plus la même dynamique que nous avions au 20ème siècle. Ces puissances qui auraient dû agir et soutenir sont capables de violer la Loi pour déstructurer un Etat comme la Libye par exemple, le dépecer et le faire tomber. Ce sont ces types de régimes que nous avons qui sont plus ou moins en mal. Ils n’ont pas la capacité de réguler l’ordre mondial. Ils essayent de le faire avec le G20 qui, d’ailleurs, n’a pas le mandat démocratique de le faire. Cette situation mondiale est en train de changer. Ce sont ces données qui font que les petites nations sont laissées en pâture à des forces de plus en plus puissantes qui peuvent instrumentaliser avec des petites formations militarisées avec une grande capacité de nuisance. Elles agissent souvent à travers les prises d’otages, le viol, le kidnapping, la déstabilisation et le terrorisme. Les puissances classiques sont en compétition avec les puissances émergentes. Ces puissances émergentes sont aussi sur le marché africain. La Chine et l’Inde convoitent les ressources du continent. Là aussi, on a une situation où les alliés d’antan se confondent aux alliés actuels. Dans ce choc de titan, l’Afrique est complètement isolée. C’est à l’Afrique de s’unir. C’est à l’Afrique de voir la pérennisation de nos Etats. Ce qui s’est passé en Somalie, au Soudan, au Mali, en Afrique du nord, doit nous montrer l’imminence et la fragilité de nos Etats et la nécessité de nous unir avant qu’il ne soit trop tard.

Pensez-vous qu’un pays comme l’Algérie pourrait aider à trouver une solution à la crise du Mali ?
Absolument. L’Algérie est le seul pays qui a la capacité d’aider le Mali dans ce conflit. Mais comme je l’ai dit, c’est un pays qui a presque connu une guerre civile. Un problème tout à fait similaire en est sorti. Il a une manne financière qu’on estime à 200 milliards de dollars. C’est un pays bien assis confortablement. C’est un pays aussi qui va vers une fin de régime, puisque qu’il est vieillissant. C’est le dernier verrou de l’Afrique qui n’est pas tombé sous un régime intégriste. Pour l’Algérie, cette question est éminemment délicate.

Est-ce que le Sénégal est à l’abri de la menace terroriste ?
Le Sénégal est entouré de voisins qui sont affectés. La sécurité et la stabilité du Sénégal dépendront d’une politique proactive panafricaine. Ces problèmes sont des problèmes d’envergure continentale pour ne pas dire mondiale. Il faut que nous ayons le courage d’aller plus vite sur les engagements d’autant plus que Kadhafi est mort. Il est important pour les Africains de se rendre compte que ce n’est pas à un chef d’Etat africain de faire la politique panafricaine, mais c’est à tous les Africains de payer leurs cotisations. Il faut doter l’Afrique d’une armée continentale. Nous avons assez de militaires pour doter notre continent et le protéger. Ce ne sont pas les étrangers qui doivent le faire. Nous avons le continent le plus riche, le plus jeune. Il est éminemment en danger. Les Algériens seuls ne peuvent pas régler ce problème, mais ensemble nous pouvons le régler.

D’aucuns estiment que c’est la mort de Kadhafi qui a entraîné la progression des mouvements islamistes…
La plupart des observateurs se trompent. Kadhafi lui-même était allié au front occidental pour lutter contre ces formes intégristes. Il a fait la guerre pendant très longtemps avec des exactions très sévères dans le sud de son pays. Kadhafi a soutenu militairement plusieurs personnes et plusieurs mouvements anti-terroristes. Il pensait même que ce soutien à l’occident et le transfert de ses avoirs en occident vont lui permettre de pouvoir avoir les coudées franches pour mener une politique panafricaine et une politique anti-terroriste sécuritaire avec l’Otan. Mais Kadhafi ne s’est pas rendu compte qu’en réalité, les Occidentaux n’étaient pas ses amis. Kadhafi ne savait pas que, pour les Occidentaux, le moment était venu de se débarrasser du leader encombrant. Ils vont profiter de l’embellie des avancées du printemps arabe pour se débarrasser de ce leader par tous les moyens, y compris la violation du droit international (…) Kadhafi luttait déjà contre les intégristes ainsi que l’Algérie, le Niger et le Mali. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais qui s’est couplé avec des revendications dans toute la région.

Que pensez-vous du discours des islamistes qui prônent la charia ?
Ce sont des puristes qui jouent par la charia, qui veulent amener un ordre mondial rétrograde qui ne respectent plus les valeurs. Ils prononcent leurs discours chez beaucoup de musulmans qui en ont assez, parce que les demandes sociales ne peuvent pas être satisfaites par le néolibéralisme ambiant. Dans les Etats musulmans, il y a une grande séduction de la jeunesse qui va vers ces mouvements. Ces mouvements qui sont organisés, comme en Egypte, avec les frères musulmans. Après plus de 50 ans de répressions, les frères musulmans ont pris le pouvoir. Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de ces mouvements qui viennent de culturalisme, c’est-à-dire des régimes dits occidentaux laïcs face à des régimes populistes qui aspirent à un changement social.

Propos recueillis par Babacar DIONE et Binetou DEMBELE (stagiaire)

 


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