©Ce n’est pas le doute, mais la certitude qui rend fou©

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©Ce n’est pas le doute, mais la certitude qui rend fou©

 

 

1.     Je préfère penser et être seul que de croire et être populaire

 

Je n’ai pas l’habitude de répondre à des invectives, mais il est parfois bon de remettre certaines personnes à leur place. Je ne mange pas à ce râtelier : « tu es avec moi, tu dois être d’accord avec tout ce que je fais », « tu n’es pas avec moi tu es le diable ». Une communauté d’hommes qui pensent de cette façon est en danger, elle n’est pas durable et elle court à sa perte. Si le fait ne pas adhérer automatiquement à une cause fait de quelqu’un un incohérent, alors qu’on me permette d’être le chef suprême des incohérents. Si critiquer la « révolution », c’est être un réactionnaire, qu’on fasse de moi le pilier central de la maison qui abrite les réactionnaires. On ne peut pas militer pour la vérité et redouter d’être parfois seul, insulté, marginalisé. On ne peut pas chercher la vérité sans accepter de courir le risque de se tromper, l’essentiel est d’être de bonne foi.

 

Ce n’est pas là un sujet de dissertation de philosophie au bac, mais la réponse qu’un offensé apporte à ceux qui lui prédisent la transhumance politique et ce, simplement parce qu’il doute de la pertinence de certaines postures politiques. La certitude est synonyme d’évidence ou d’intime conviction qui incline à l’assurance et à la quiétude intellectuelle, mais également à la paresse. On voit dès lors que la certitude est potentiellement un motif de dogmatisme, d’intolérance et d’intransigeance. Les personnes qui ont des certitudes sont en général difficiles à vivre à cause de leur tendance à vouloir imposer leurs vues aux autres et à être sourdes à d’autres possibilités. L’exemple du fanatique (Voltaire pense que le fanatisme est « la peste des âmes ») peut illustrer la folie dans laquelle nous plonge la certitude.

 

Le fanatique est non seulement sûr de posséder la vérité, mais il est aveuglément dévoué à une cause, ce qui l’empêche de penser et le transforme en flamme incandescente brûlant tout sur son passage. C’est pourquoi le doute est l’antidote de cet état de dépossession de soi qui transforme l’individu en chose pour autrui. Dans la mesure où douter, c’est examiner, tester, remettre en cause, il nous prémunit contre une telle folie. Il faut dire d’ailleurs que c’est par ignorance que les hommes adoptent de tels comportements ; et que là également, c’est le doute qui guérit de cette folie qu’on appelle ignorance ou fanatisme.

 

On peut aussi considérer le dogmatisme comme une forme de folie de laquelle nous éloigne le doute, car le dogmatique estime que ses opinions sont incontestables, d’où son refus de l’ouverture et de la délibération. Inutile d’insister sur le fait que pareille pathologie mène à la violence, car refuser le débat, c’est opter pour la confrontation physique. Le totalitarisme en politique peut être considéré comme la manifestation de la folie : les passions dévastatrices de nazisme sont là pour le confirmer. Les sceptiques n’avaient donc pas totalement tort de douter de tout et toujours : il n’y a pas pires dérives que celles commises par la certitude.

 

L’on nous rétorquera à juste titre que l’excès de doute mène évidemment à une attitude subversive dont la conséquence naturelle est la marginalisation et la persécution ; que l’excès de lucidité est pour l’esprit ce que l’excès de lumière est pour la vue : autant la lumière trop vive éblouit et crève l’œil, le doute porté à son comble peut bien être fatal à la raison. Celui qui est trop audacieux ou un peu en avance sur son époque ou sur sa société par la constance et la profondeur de son doute est généralement considéré comme un fou, et ce n’est pas toujours sans raison. En effet, cette situation du philosophe dont l’entreprise du doute est portée à l’extrême peut être considérée comme une folie par excès. Mais nous répondrons que ne sommes en avance sur personne, nous n’avons aucune lucidité exagérée, nous voulons simplement être libre, conserver notre libre examen. Faut-il rappeler qu’on doute en principe parce qu’on n’a pas de certitude, ce qui veut dire que la finalité de ce doute est bien la certitude ? L’homme équilibré nous semble dès lors être le premier à savoir et à reconnaître que, quel que soit le doute qu’il entreprend, les vérités auxquelles il accédera ne seront que des approximations. La précarité de notre nature nous incline donc à la modestie, à la tolérance. Ne cherchons donc jamais à embarquer tout le monde dans notre bateau car il se pourrait bien qu’il soit fou ou piloté par un capitaine fou.

 

2.     Socrate l'immortel s'adressant aux juges qui l'ont condamné 

 

« Car, si vous vous figurez qu'en tuant les gens, vous empêcherez qu'il ne   se trouve quelqu'un pour vous reprocher de vivre mal, vous vous trompez. Cette manière de se débarrasser des censeurs, entendez-le bien, n'est ni très efficace ni honorable. Une seule est honorable et d'ailleurs très facile : elle consiste, non pas à fermer la bouche aux autres, mais à se rendre vraiment homme de bien ».

 

Sur les réseaux sociaux on ne tue pas, mais on est dans la même logique. Quand on parle librement, on est la proie à des sentences absurdes du genre : "je ne te comprends plus », « tu es devenu étrange », « je ne te reconnais plus depuis un certain temps », « j'espère que ce n'est pas ce que je pense » et d'autres inepties de ce genre. Les plus perfides vont jusqu’à te prédire une transhumance politique, on ne sait d’ailleurs pas vers où : en vérité c’est un manque d’argument que vous transfigurez laborieusement en offenses. J’ai mes convictions et aucun groupe de pression, aucune foule ne peut m’embobiner et emporter mon adhésion par le poids de la foule. Ma seule boussole dans ce monde, en dehors de mes convictions religieuses, c’est ma conscience. Pour adhérer à une cause, il faut d’abord la connaître, ensuite la partager et c’est par sa conscience qu’on connaît et apprécie

 

 J'aimerais rappeler à tous ces individus dont le projet politique et intellectuel est le chantage affectif que j'ai décidé d'être libre, et ça fait longtemps. Je ne suis pas à la poursuite d'une célébrité factice, je ne mendie ni ne négocie l'affection de qui que ce soit. Un homme libre est un homme affranchi de pareils calculs mesquins. Beaucoup d'intellectuels et de journalistes ont sombré aujourd'hui à cause de deux choses : les conseils de la prudence et les calculs d'habilité (KANT). Ils sont sur les réseaux sociaux, cherchent à plaire et ont peur de perdre leur nombre de vues. Ils sont asservis au chantage affectif ou de l'applaudimètre et abdiquent devant les groupes de pression (groupe WhatsApp, Facebook, etc.). Il faut être vraiment naïf pour croire qu’on peut intimider les gens en les qualifiant d’opposants à l’opposition, car la question préjudicielle qui devrait être réglée est : qu’est-ce que l’opposition ? D’ailleurs qui décide de ce qu’est l’opposition et de la façon dont on devrait s’opposer ? L’incohérence n’est pas d’avoir l’attitude de doute

 

Depuis la nuit des temps l'homme qui pense est l'ennemi des foules et de l'opinion. La première conquête de la liberté se fait contre l'opinion et la foule. Un homme qui voudrait servir à la fois l'opinion et la vérité est finalement un prestidigitateur qui voudrait s'asseoir et sur un âne et sur une grenouille. Je n'ai malheureusement pas ce talent. Je préfère marcher sur mes deux pieds et perdre le temps qu'il faudra pour m'assurer de marcher sur la bonne voie. Si un homme ou un groupe se croit nanti du pouvoir exceptionnel de délivrer des certificats de crédibilité en fonction, non de la vérité et de la vertu, mais des affinités politiques, je ne pense pas qu’un homme libre doive avoir le droit d’accepter d’en être le récipiendaire. La vertu n’est pas objet de transaction, la vérité non plus. Soit nous voulons être une société d’hommes civilisés et tolérants, soit nous optons pour la tyrannie ; mais dans ce cas nous serions en train de renoncer à notre humanité

 

Alassane K. KITANE


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