Le cas Aliou Cissé : de coach nul à El tactico

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Le cas Aliou Cissé : de coach nul à El tactico

 

Ce texte que je n'avais pas publié a été écrit au lendemain du sacre des lions du football au Cameroun. Comme à ce sacre s'est ajoutée une qualification en coupe du monde au Qatar 2022, sa publication s'impose comme une nécessité historique.

 

 L'oiseau de Minerve, dit le philosophe Hegel, ne prend son envol qu'au début du crépuscule. Je me propose, à partir de ma lorgnette, de porter les ailes de cet oiseau, sans aucune prétention, pour analyser un parcours après que les cœurs et les esprits sont revenus à la lucidité. Cela nous aura permis d'éviter deux choses : primo, ne pas gâcher la fête et secundo, ne pas donner l'impression d'exclure qui que ce soit de cette victoire d'un peuple. Félicitations au peuple Sénégalais ! Félicitations au Staff ! Félicitations aux vaillants joueurs et félicitations au coach. Ils l'ont fait.

 

  Ce dimanche 6 février 2022, le Sénégal remporte pour la première fois de son histoire un trophée continental avec son équipe nationale A de football. C'est la liesse populaire ; de l'intérieur à l'extérieur du pays, de Dakar à la Casamance, de Matam à Kaolack en passant par Thiès, Diourbel j'en passe, tout le monde jubile. Le football a recollé les morceaux que le difficile quotidien des sénégalais avait dépecé.

 

  Le Sénégal a longtemps eu des déceptions en football que l'on est arrivé à croire que l'échec est consubstantiel à notre équipe. On avait fini par croire que Can et Sénégal ne s'aimaient pas. Cette idée avait d'ailleurs profité à certains devins et autres charlatans qui ont la prétention de prédire l'avenir et qui empochent  des sommes ou de sembler avoir raison avec une sorte de pédantisme et charlatanismes  inconsidérés. Les charlatans et autres marabouts qui n'ont ni science ni compétence ni éthique dans le discours ont longtemps consolidé cette idée pour faire marcher leur propre business.

 

  L'équipe nationale du Sénégal a finalement brisé cette pseudo-prophétie qui semblait rédhibitoire pour tant de générations. De Caire 86 à l'Egypte 2019 en passant par Bamako 2002, Tunisie 2004, Egypte 2006 et Sénégal 92, l'équipe vacillait entre déceptions et consolations. De telle sorte que les plus virulents ont fini par allier la faiblesse, les regrets, les larmes, la déconcertation, les déceptions, au-delà du footballeur, mais de l'homo senegalensis. Pour dire court, l'être du sénégalais était englué dans une essence de l'échec, de lâcheté, de désespoir.

 

 Aujourd'hui toutes ces barrières longtemps entretenues par un imaginaire collectif et des résultats négatifs sont tombés au Cameroun, à Olembé, contre l'Égypte 7 fois champion d'Afrique. Malgré les performances de l'équipe et la qualité intrinsèque de beaucoup de joueurs, bon nombre de gens ne croyaient pas à cette victoire finale. Les photos des joueurs avec leurs draps autour du corps et le trophée à côté de leurs têtes, témoignent du caractère onirique  de cette victoire finale. Cela ne signifie pas qu'ils en étaient incapables mais parce que le chemin fut difficile et long. Des générations entières sont passées par là et malgré leurs talents infus, elles n'ont pas pu ramener "cette pomme de discorde" au pays de la Téranga. D'aucuns répétaient sans cesse, non sans moins d'impuissance que nous sommes maudits par les dieux du football, s'ils ont une existence, d'autres subodoraient que les cœurs n'étaient pas à l'unisson, d'autres encore estimaient que notre problème c'était le coach Aliou Cissé. Ce dernier a souvent été lynché par certains journalistes et autres amateurs et supporters du football. Leurs principaux arguments étaient " Aliou xamul dara, xamul  footbal, sunu jafé jafé Aliou la, Kouko yaakaar ci coupe do youxou, amul xaaraagne tee, amul tactique" "ménul jangatt poo mo" menul am ndam ci équipe bu mag" il ne connait rien,  il est nul, il n'a pas de système de jeu, il ne peut pas lire un match, il ne peut pas changer de tactique, il ne peut pas triompher sur une grande équipe, notre problème principal, c'est le coach. Un point un trait. Même quand un joueur ratait un contrôle, un centre, une occasion, un pénalty, un coup franc, ou quand on encaissait un but, il en était le responsable.

 

  Un journaliste sportif prédisait même que tant qu'il sera là, l'équipe ne gagnera pas de coupe d'Afrique. A leurs yeux, Aliou Cissé n'avait ni la science ni la compétence de faire gagner un sacre que les Bruno Metsu et autres sorciers blancs n'ont pas pu faire gagner au Sénégal. Certains allaient loin jusqu'à exiger que l'on aille chercher un sorcier blanc pour nous donner ce que l'on est incapable d'avoir par nous-mêmes. L'on se rappelle en ce sens d’Hervé Renard dont le nom a été longtemps accolé à l'équipe nationale du Sénégal. Dans ce procédé, il y a une grande dose de colonialité, me semble t-il. Si on pense que notre expertise locale ne peut pas nous donner satisfaction en pensant parallèlement qu'un blanc, même incompétent, pourvu qu'il soit blanc est toujours supposé compétent, est capable, relève de ce que Djibril Samb appelle avec raison du mépris de soi. C'est ce qui explique d'ailleurs que souvent le coach blanc est surpayé par rapport à l'expertise locale. Alain Giresse bénéficiait plus de clémence et de présomption de performance que Aliou et pourtant avec quasiment la même ossature que Aliou Cissé, il ne s'est ni qualifié en coupe du monde (2014) ni sorti du premier tour de la Can 2015. D'autres avant lui ne sont pas sortis au premier tour il s'agit de Amara Traoré éliminé prématurément à la Can 2012 et de Joseph Koto qui prend la relève sans pouvoir se qualifier à la Can 2013.

 

Après l'échec de Alain Giresse en qualifications de la coupe du monde 2014  et au premier du tour de la Can 2015 donc logiquement limogé, Aliou prend les rênes de l'équipe. Certains diront que l'équipe qu'on a aujourd'hui, les autres coachs ne l’avaient pas. C'est en partie vrai car Aliou même n'est jamais parti à une Can avec les mêmes joueurs ! Disons que dans les précédentes équipes à partir de 2013 avant Aliou il y'avait Mané, Gana, Kouyaté, Pape Kouli, Demba Ba, Diawara, Moussa Sow, Papiss Cissé, Issiar, Mamadou Niang, Daf, les frères Sané, Souaré pour ne citer que les plus brillants. À côté, la Zambie avait une équipe moins côté et a gagné la Can 2012, le Nigeria celui de 2013 et nous on ne se qualifiait pas. Simplement pour dire que le Sénégal depuis bien longtemps a de bons joueurs. Aliou Cissé n'a jamais été éliminé au premier tour d'une coupe d'Afrique encore moins à une qualification. Et la plus récente, c'est la qualification de l'équipe en coupe du monde, deux fois d'affilées (2018-2022) avec lui. El Tactico est le maître incontesté en matière de qualification.

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 Au demeurant, malgré toutes ces critiques Aliou Cissé a tenu bon et a construit son équipe dans la patience et l'endurance. Il faut être endurant quand on est un coach a fortiori quand on est le manager d'une grande équipe qui n'avait jamais eu de trophée et dont les supporters ont le sentiment de la supériorité technique de leur équipe. Aliou a été critiqué, insulté, décrié à la limite humilié mais il a toujours gardé sa sérénité et même atteignait ses objectifs en bas quand les supporters criaient en haut que la coupe était l'objectif. Cela est vrai mais une équipe qui était absente aux CAN (2010-2013), humiliée en (2012) au premier tour par la Zambie, la Guinée Équatoriale et absente aux mondiales ( 2006-2010-2014) à la suite des éliminations de l'équipe de la Gambie ( 2010) du Togo ( 2006) et de la Côte d'Ivoire (2014), devrait avoir l'humilité de se fixer comme objectif les quarts de finale (2017). Certains disent qu'il avait la meilleure équipe, cela est tellement relatif qu'au moment de prendre les rênes de l'équipe, le Sénégal était 17e rang mondial.  Cela dit que ce n'était pas évident de passer ce cap bien qu'on dominait le Cameroun (Can 2017) de bout en bout. L'équipe jouait du bon football tout en perdant de vue le résultat final.  L'équipe manquait d'expérience et le coach aussi manquait d'expérience mais précisons que l'adversaire avait joué pour ne pas perdre. Avec beaucoup d'occasions, le Sénégal perd le match aux tirs au  but. En 2018 au mondial, Aliou qualifie l'équipe et sort au premier tour à cause de la loi du fair-play qui entre en jeu à cause des deux cartons jaunes que l'équipe avait de plus que le Japon.  En 2019, le Sénégal paraît certes comme l'une des équipes  favorites de la compétition mais malheureusement sera défaite doublement par la brillante équipe algérienne qui avait refusé le jeu comme en témoigne les statistiques dans la double confrontation. Le but était tellement rocambolesque qu'il avait suscité beaucoup de supputations. Résultat, le Sénégal perd le match après plusieurs occasions et situations propices pour égaliser. Même si la coupe nous a encore tourné le dos l'objectif restait atteint. Et même déjà, l'équipe a fait d'immenses progrès car elle occupe avant et après cette Can la première place africaine et n'enregistre quasiment que peu de défaites et encaisse peu de buts. À partir de là on sent que le progrès vers la consécration est véritablement enclenché. Nonobstant ses résultats honorables, certains demandaient qu’Aliou Cissé soit étété de l'équipe arguant qu'il n'a pas pris la coupe et oubliant regrettablement qu'il atteignait ses objectifs et progressait sûrement. En 2022, année de l'organisation de la 33e coupe d'Afrique 2021 au Cameroun, l'objectif était connu : gagner la coupe d'Afrique. Cela n'a jamais été le cas pour l'équipe nationale du Sénégal. Et là où tous les coachs, même ceux qui sont réputés plus brillants, fussent-ils sorciers blancs, ont échoué, et là il réussit en nous ramenant la coupe. Aliou Cissé n'a jamais été , jusque là, éliminé au premier tour d'une coupe d'Afrique ni à une qualification. Conséquence, il dépasse de loin tous les entraineurs de l'équipe du Sénégal. Disons le avec force, 'il dépasse même le mythique Bruno Metsu pour au moins deux raisons. La première, c'est le premier rang africain dans le classement mondial qu'il fait occuper son équipe depuis belle lurette. La deuxième, c'est surtout cette coupe qu'il ramène pour la première fois au Sénégal. Certains diront qu'il a eu plus de temps. C'est en partie vrai mais le temps ne suffit pas sans les résultats. S'il a eu ce temps, c'est grâce à ses performances lesquelles ont convaincu plus d'un à lui donner le temps. Mine de rien, EL Tactico, à partir d'hier, c'est 2 qualifications en coupe du monde, 3 qualifications en coupe d'Afrique, une victoire finale en can. C'est immense ! Au total, Aliou a, à peu près, un pourcentage de victoire de 65 à 70%

 Qui dit mieux !

 

 Quand le Sénégal gagne une coupe d'Afrique avec son ancien capitaine comme coach ça doit être une fierté et un modèle de réussite, d'abnégation, de persévérance, de patriotisme pour tous les fils et filles du Sénégal.  L'on sait que malgré ses performances, il est le coach le plus critiqué souvent par son jeu et souvent même par ses *rastas", son regard, sa gestuelle, comme pour montrer que certaines critiques étaient mal fondées et frisaient " le xastee" " le xaxarr" ,des attaques personnelles pour dire court.. Ceux qui critiquaient pour critiquer ont soit fait volte face en disant qu'il a changé tout en oubliant que progresser et apprendre de ses erreurs, de ses échecs est un principe même de la vie. Ceux qui critiquaient son jeu de bonne foi sont forcés aujourd'hui par la qualité du spectacle qu'il propose, hormis les résultats, d'admettre qu'il domine et gagne ses adversaires et avec la manière. Je reconnais le souci de ces amateurs du football qui s'intéressent au jeu et au spectacle tout en minorant ou reléguant le résultat au dernier plan. Au demeurant, il faut qu'ils se rendent à l'évidence selon laquelle le football est certes universel, il n'en demeure pas moins qu'il y a des spécificités. Le football africain est spécifique comme le football de l'Amérique du Sud. Je dois dire que certains sont victimes de la perception qu'ils ont du football européen surtout. Les grands amateurs du football suivent avec passion le foot européen et ils veulent regarder nos matchs avec les mêmes lunettes alors que beaucoup de facteurs entrent en jeu et expliquent la différence.

 

 J'ai toujours dit et je répète qu’Aliou Cissé est un bon entraîneur qui est capable de mener notre équipe au sacre continental voire mondial si on est ambitieux. Aujourd'hui, il intègre, de par ses performances ; de par ces dernières grandes victoires, le cercle restreint des plus grands coachs du monde. Que cela n'en déplaise à ses contempteurs ! D'ailleurs ceux qui sont de bonne foi et qui mesurent l'ampleur de gagner une Can pour le Sénégal, se sont inclinés pour le féliciter et/ ou pour lui demander pardon. On. Connaît l'expression " Aliou bal niou".

 

Aujourd'hui, il continue d'écrire l'histoire en qualifiant l'équipe à la coupe du monde 2022 au Qatar. Cela à la suite d'une double confrontation contre une équipe égyptienne dont le jeu frise avec la triche et contre la nature d'un football plaisant. Avec un très grand coach expérimenté Carlos Queiros qui a un salaire de 50.000.000, trois fois plus que celui de Cissé et avec un Salah pulvérisé, noyé en 3 matchs, Aliou qualifie le pays en coupe du monde avec un Mané aux étoiles.. Que son salaire soit revu à la hausse et ses performances reconnues et respectées.

 

PS : Ce qui me plaît davantage, c'est que le coach entrevoit dépuis longtemps à travers son discours et ses actes la nouvelle perspective décoloniale qui s'ouvre sur le continent africain et dans beaucoup de domaines. J'en cité trois exemples : le bras de fer avec Watford pour qu'Ismaïla Sarr participe à la Can 2022, sa réponse à Jürgen Klopp qui minimise la Can et la dernière date du 29 mars jour de la qualification : " La FIFA doit changer le mode de qualification des équipes africaines...Il y'a 54 nations pour la coupe du monde, c'est 5 équipes africaines qu'on prend".

 

Merci au coach et à son staff !

Merci aux joueurs !

Merci au peuple sénégalais et à tous les supporters qui ont émis dans l'atmosphère des énergies positives lesquelles ont permis aux joueurs d'avoir la force de transcender leur peur et de décrocher la qualification. L'aventure peut continuer. L'histoire continue d'être écrite.

 

ELHadji Fallou Samb, professeur de philosophie au lycée de Ogo (Matam)


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Laye - #1

Félicitations Et Merci Pour Cet Beau Discours

le Vendredi 01 Avril, 2022 à 10:04:10RépondreAlerter

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