Marié à 4 femmes, père de 12 enfants et accusé de sorcellerie
Zarantiga se situe à 30 minutes de trajet du camp des sorcières. Kologou Tindana est issue de cette communauté. « C’est une communauté très dangereuse. Lorsqu'on vous accuse de sorcier ou sorcière, c'est fini pour vous. J'étais une grande commerçante et un jour j'étais partie au marché et lorsque je suis revenue, le soir on m'a dit que le frère de mon mari me cherchait. A son retour, il dit qu’il y avait une femme qui s'appelle Lynda et qui avait rêvé de moi. Alors qu’elle était souffrante », affirme-t-elle.Elle a, ensuite, été brutalisée : « j'étais partie à la police pour me plaindre parce que je n’étais pas sorcière et que je devais me défendre. Malheureusement, le chef avait annoncé aux autres femmes commerçantes que j’étais une sorcière. Lorsque je suis revenue à la maison, j’y ai trouvé le frère de Lynda. Il a utilisé une barre de fer pour me battre. Je baignais dans une mare de sang ».Sa famille impuissante face à cette violence inouïe, au risque d’être poursuivie pour complicité, a fini par l’emmener au camp des sorcières. « J’ai perdu mon business qui était florissant. Aujourd’hui, de quoi ai-je besoin ? J'ai besoin de riz, de maïs, d’habits. J'étais une grande dame, là je suis une grand-mère, je suis vieille et j'accepte d’être sorcière. C'est pour cette raison que je suis ici. Ce n’est pas parce que j'ai aimé ce qui s'est passé mais on m'a accusée d'être sorcière », fait-elle remarquer, le cœur meurtri.Guédéon Salifu est le seul homme à avoir partagé sa douleur au cours de cette «séance de thérapie». Agé d’à peine 50 ans, le regard vide, vêtu d’un polo blanc d’une propreté douteuse, et d’un jean noir, ce père de 12 enfants, marié à 4 épouses vit les pires moments de sa vie. Lui qui vient de la Maison royale du même nom Salifu.« On m'a accusé de sorcellerie en me tenant comme responsable de la maladie dont souffre mon voisin. Je ne pouvais que partir parce qu'ils (les accusateurs) avaient planifié de me tuer. Mais, je suis honnête avec vous. Je ne suis pas un sorcier. Ici, je suis en paix mais j'éprouve de la peine parce que mes enfants qui sont dans la communauté sont stigmatisés et ne vont plus à l’école. Ils subissent des violences verbales. On les appelle ‘’les enfants du sorcier’’ », dit-il. Peu prolixe, il se confie néanmoins : « Lorsque mes enfants m'appellent, j'essaie de les encourager en leur conseillant de n’avoir pas peur et d'avoir la patience car tout ce qui se passe aujourd'hui aura une fin ».
Les vieilles dames meurent de faim
S’exprimant sur les conditions de vie de ces femmes, Salifu qui ne rêve que de rentrer définitivement dans sa communauté, fait savoir : «Nous sommes en sécurité dans ce camp et nous sommes reconnaissants envers le chef. Toutefois, les femmes sont fatiguées. Les bonnes volontés doivent les aider. Moi, j'ai toujours la force pour aller chercher du travail, mais, elles peuvent rester ici sans avoir de quoi manger et ce n'est pas bien. Certaines ne peuvent même pas marcher. D’autres sont malades. Le chef fait de son mieux pour nous nourrir, mais l’offre est inférieure à la demande. Nous avons aussi besoin de forages pour continuer à vivre ».Les femmes du camp, compte tenu de leurs âges (entre 54 ans et plus), vont souvent dans les champs pour aider les paysans. Elles reçoivent en contrepartie une modique somme pour subvenir à leurs besoins. Parfois, elles partent dans la brousse à la recherche du bois de chauffe qu'elles vendent pour se faire de l'argent.Au sein du camp, des initiatives ont été menées pour permettre à ces femmes de se réinsérer dans la société. Mais l’expérience a tourné court. « Nous leur avons enseigné comment fabriquer du savon et des perles, et la transformation d’arachide. Malheureusement, nous n'avons pas de financement pour le suivi. Le gouvernement a même arrêté la prise en charge de la couverture maladie », informe l’un des gestionnaires du camp. Il déclare qu’ils faisaient également des plaidoyers afin de sensibiliser sur la gravité des accusations de sorcellerie. « Lorsque vous allez dans les communautés, certaines personnes ne savent pas pourquoi ces femmes sont accusées. alors que le malade souffrait peut-être d’épilepsie, de paludisme. Et ces maladies peuvent être traitées à l’hôpital. Dans la communauté des Diawanés qui compte plus de cas de sorcellerie que toutes les communautés au Ghana, nous avons fait des séances de plaidoyers avec les familles et après, elles sont venues dans le camp avant de repartir avec les personnes qu’elles avaient accusées. Des procédures de purification sont à respecter avant de quitter le camp. Donc, si nous avons des financements, cela va nous permettre de réduire ce taux. De plus, les enfants sont scolarisés ici grâce aux aides ».
Après l’arrêt des financements, «l’État veut fermer le camp »
En plus de la pression de la société, le camp des sorcières doit faire sans l’aide des pouvoirs publics. « L’État veut fermer le camp, mais cette mesure ne peut être la solution, observe Laar. Il y a un travail de sensibilisation à faire au niveau des communautés pour la réintégration de ces femmes. La preuve, nous avons contacté leurs enfants et ils ne veulent plus prendre soin d’elles ».
L’assainissement fait défaut au camp des sorcières. Les eaux usées domestiques, qui font partie du décor, se déversent dans les rues. Pas d’éclairage public aussi. « Il n’y a même pas d'électricité à cause de la nature de leurs chambres. Cependant, c’est prévu dans les nouvelles constructions», informe Sampson. Une amélioration considérable du niveau de vie de ces 123 âmes qui sont déjà «très heureuses d'être en vie ». Malgré tout.
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