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[Zoom sur…] Île de Saint-Louis : Le patrimoine en péril face à un PDT/SL à l'agonie 4/5

Auteur: Thiebeu NDIAYE, Bara DIOUF, Babacar Sène et Oumar Samb

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L’une des particularités de l’île de Saint-Louis au-delà de son positionnement estuaire du fleuve Sénégal à couper le souffle, c’est sans nul doute son patrimoine architectural de type colonial. Ces vieux bâtiments et monuments historiques qui datent de plus de trois siècles pour certains, menacent de s'écrouler, emportant avec eux un pan entier de l’histoire de l’île, de la région, du Sénégal et de l’Afrique occidentale française (AOF) dont elle fut la capitale. Face à cette menace pesante sur le patrimoine architectural, le programme de développement touristique de Saint-Louis et sa région (PDT/SL) a été conçu depuis 2008. Mais, force est de reconnaître que, 17 ans après, les objectifs sont loin d’être atteints.
 
 
À peine franchi le mythique pont Faidherbe récemment rénové (en 2011), une vieille bâtisse blanche imposante accueille les passants. Il s’agit de la Gouvernance de Saint-Louis, autrefois, centre névralgique de l’administration coloniale en Afrique occidentale française. Ancien fort construit en 1659, sa position avancée sur l’île et ses vieux canons encore pointés sur le fleuve Sénégal comme pour parer à une éventuelle attaque, illustre le rôle avant-gardiste et de structure de défense qu’il jouait jadis. Ses murs fortifiés de grande épaisseur, aujourd’hui défraîchis et croulant sous le poids de l’âge, résistent difficilement à l’usure du temps, de même que son balcon-avant soutenu par une planche.
 
Ce visage décrépit qu’offre ce symbole important (premier lieu d’implantation du colon) de la ville-mémoire démontre l’état de dégradation très avancée du patrimoine architectural de cette île historique.
 
Reliques du passé colonial de la ville, ces vieux bâtiments en piteux état ont traversé les siècles. Ils sont, en effet, les témoins -encore debout- de l’histoire. Inscrite au patrimoine de l’Unesco en 2000, l’héritage architectural non entretenu de l’île menace de disparaître. En réalité, depuis le transfert de la capitale à Dakar -à la veille de l’indépendance, le 11 juin 1958-, Saint-Louis est confrontée à un déclin alarmant avec un nombre impressionnant de bâtiments menaçant ruine au moment où d’autres sortent de terre foulant au pied le plan de sauvegarde de l’esprit de l’île. Cette dégradation généralisée du patrimoine bâti est le résultat affligeant d’un manque d'entretien et d’un désintérêt total voire un rejet de certains Saint-Louisiens à l’égard de l’héritage historique.
 
Rapport de rejet avec le patrimoine
 
Une indifférence qui s’explique, selon Aly Sine, Directeur du patrimoine à la mairie de Saint-Louis, par un problème de « perception ». « Saint-Louis est considéré comme un bien qui appartient à tout le monde compte tenu de son histoire liée à l’esclavage (il fut une plaque tournante de l’esclavage) et de son passé colonial. Les bâtiments historiques sont l’identité remarquable de Saint-Louis. Il est plus facile d’identifier Saint-Louis sur une image qu’une autre ville du Sénégal. C’est une identité forte qu’il faut préserver », confie-t-il d’emblée. 
 
D’après le technicien qui a fait sa thèse doctorale sur le patrimoine historique de Saint-Louis, le constat est que : « ceux qu’on appelle les ‘Domou ndar’ (Saint-Louisiens de souche) se reconnaissent parfaitement à l’histoire de cette ville mais les ‘Doli ndar’ (ceux qui sont venus après) ne s’approprient pas ce patrimoine surtout en raison du passé colonial qu’il évoque. Pour mieux sauvegarder ce patrimoine menacé de ruine on a pensé qu’il faut qu’on ait une approche économique en montrant les bénéfices que les Saint-louisiens peuvent tirer de sa conservation ».
1444 unités architecturales recensées dont 20% menacent ruine
 
D’après un recensement effectué en 2004 à la suite de l’inscription de l’île au patrimoine mondial, 1444 unités architecturales dont une vingtaine de monuments historiques et plus d’un millier de bâtiments de grands intérêts, d’intérêts moyens et d’autres sans intérêt, avaient été répertoriés. Au moins 10% de ces bâtiments et monuments historiques menaçaient ruines en raison de leur vétusté très avancée. Des chiffres qui sont allés crescendo puisque, selon un étude commanditée récemment par le Directeur du patrimoine (M.Sine), sur les 1444 unités architecturales, aujourd’hui 15% à 20% risquent de s’écrouler.
 
Ces ‘’décombres’’ du passé colonial sont menacés par deux facteurs majeurs, souligne le technicien qui indique que la première est d’ordre naturel : « l’âge et les changements climatiques ». « Les murs des grands bâtiments sont impactés par l’humidité. Ils sont mouillés. Les remontées d’eau et de sel (exacerbées par l’ouverture de la brèche, NDLR) ont un impact négatif sur les bâtiments très âgés (près de 400 ans pour certains) dont elles détruisent les structures », explique le directeur du patrimoine.
 
Le deuxième facteur est d’ordre anthropique. Il développe : « Depuis qu’on a classé Saint-Louis patrimoine mondial de l’Unesco, il y avait un règlement d’urbanisme provisoire en vigueur qui encadrait la réhabilitation des bâtiments. Aujourd’hui, il y a un programme de sauvegarde qui donne les normes de réhabilitation pour respecter l’esprit de Saint-Louis. Il y a une procédure avant de procéder à toute réhabilitation. D’abord, il faut que l’architecte d’État donne son avis et que le plan respecte l’esprit de Saint-Louis ».
 
Malheureusement, poursuit-il, « pour plusieurs raisons les gens ne respectent pas ces normes soit par manque de moyens soit par abus de pouvoir (souvent par les hautes autorités). On a des cas ici de ministres qui construisent comme ils veulent dans l’île en ne respectant pas les normes établies ».  
Violation du plan de sauvegarde
Si de tels abus restent impunis c’est parce qu’il y a défaillance au niveau des services compétents souvent minés par des conflits de compétences. Fréquemment, confesse M. Sine, « l’État et la commune se renvoient la balle lorsqu’il faut arrêter des travaux. Il y a un jeu de ping-pong entre l’État et la ville. C’est ce qui fait qu’on voit des bâtiments qui ne respectent pas la norme en termes d’architecture et de hauteur ».
 
Sur les 65 hectares de superficie de l’île de Saint-Louis, les bâtiments ne doivent pas dépasser 9 mètres à l’acrotère, « ce qui correspond à un seul étage », renseigne M. Sine irrité de voir des bâtiments à quatre étages chambouler l’harmonie. « On a eu des problèmes avec des investisseurs dans l’hôtellerie. Ils nous disent que s’ils restent à un étage, ils ne pourront pas rentabiliser leur investissement. Et c’est une contrainte mais c’est comme ça », insiste-t-il.
 
Au niveau des toitures également, les tuiles rouges exigées par le plan de sauvegarde pour une uniformité du paysage aérien, commencent à disparaître. Chacun y va au feeling. Résultat : « il y a une cassure et c’est très visible ». La ‘’skyline’’ de Saint-Louis qui faisait son charme est fortement menacée de disparition, pendant que le programme de développement touristique de Saint-Louis et sa région (PDT/SL) lancé pour la conservation de l’héritage architectural bat de l’aile.
 
Le PDT/SL, « une goutte d’eau dans la mer »
Initié en 2008 par l’ancien maire de Saint-Louis, feu Ousmane Masseck Ndiaye, le PDT/SL visait à restaurer plus d’une centaine de maisons, la réhabilitation de bâtiments historiques et l’aménagement de places publiques. Aly Sine qui a eu l’honneur de piloter ce programme « dès le début », en garde un pincement au cœur, 17 ans après.
 
« De 2008 à aujourd’hui, cela fait 17 ans pour un projet qui devait durer 5 ans », constate M. Sine pour le déplorer. Le programme était au point mort pendant plus d’une décennie, freiné par plusieurs blocages institutionnels sur fond de querelles politiciennes entre l’État et la commune. « D’un régime politique à l’autre (Abdoulaye Wade et Macky Sall) le programme a connu des blocages. Ce qui a retardé son exécution », avoue Aly Sine.  
 
Avec une enveloppe revue à la baisse (15 milliards de F CFA, dont 4,5 milliards de FCFA de l’AFD), le PDT/SL a finalement été exécuté en 2017. Cette réduction du budget initial a naturellement réduit de manière significative les objectifs. Sur 107 maisons recensées devant être réhabilitées avec une subvention accordée aux propriétaires, seules 20 le seront finalement ainsi que la cathédrale, l’ex-place Faidherbe et l’avenue Jean-Mermoz.
 
« Le programme subventionne à un minimum de 60% selon la capacité de participation du propriétaire pour la réhabilitation de sa maison. On était parti sur 107 mais seule une vingtaine ont été réhabilité. Selon la dernière évaluation, un maximum de 40 maisons sur les 107 seront réhabilitées selon les normes du plan de sauvegarde », informe-t-il déçu après plus d’une décennie de travail acharné dans ce projet qui lui tient à cœur.
 
« Le PDT/SL est une goutte d’eau dans la mer parce que quand on parle de 40 sur 1444 unités architecturales, ce n’est rien », fustige le Directeur du patrimoine. Son avis est largement partagé par les autorités qui sont d’ailleurs en train de travailler sur un deuxième PDT/SL.
 
En attendant que cette gestation douloureuse arrive à terme, Saint-Louis retient son souffle espérant que son patrimoine historique ne s’écroule.
Auteur: Thiebeu NDIAYE, Bara DIOUF, Babacar Sène et Oumar Samb
Publié le: Mercredi 25 Juin 2025

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