Le site d'Al-Houta, à 85 kilomètres au nord de Raqqa (Syrie), où un charnier a été découvert.
Carte d'Al-Hota en Syrie Comment la technologie vous a aidés dans votre enquête ?Notre objectif était de filmer au fond du gouffre et les drones étaient le meilleur moyen de le faire. Mais nous avons eu beaucoup de difficultés à en importer. L’EI en utilisait aussi donc les autorités du Kurdistan irakien – par lequel on transitait – ont mis quasiment un an à nous donner une autorisation, de peur que nos drones ne soient détournés à des fins terroristes.En septembre 2018, nous avons finalement pu faire entrer deux engins de technologie française pouvant fonctionner sans GPS – les compagnies commerciales avaient été sommées de couper leurs signaux dans le cadre de la lutte contre l’EI – et plonger à 50 mètres en dessous de nous. Le défi était immense. Nous avons failli perdre un drone qui a été percuté par un vol d’oiseaux dans la gorge, mais le deuxième nous a finalement rapporté les images.Qu’avez-vous découvert ?Sur les images, on peut voir six corps qui flottent à la surface d’une eau visqueuse, probablement des poches de pétrole. Mais nous n’avons pas pu identifier les corps qui sont restés dans l’eau, ni plonger sous la surface, où il y a surement d’autres cadavres.Nous sommes alors en 2018 et le groupe État islamique ne domine plus la région. Pourquoi l'accuser dans votre rapport ?Il y a probablement eu une utilisation de cette fosse comme charnier par des groupes rebelles avant l’EI, puis après eux. En 2018, nous avons alerté les FDS (coalition militaire des Forces démocratiques syriennes) qui avaient repris le contrôle de la région et elles nous ont parlé de règlements de compte entre locaux. Mais nous n’avons jamais pu étayer ces affirmations. En revanche, nous avons des preuves contre l’EI.D’abord, la vidéo de 2014, puis les témoignages des locaux et des enquêtes journalistiques locales. Enfin, nous savons que l’EI a utilisé les mêmes méthodes dans une fosse en Irak. C’est peut-être un châtiment réservé aux personnes "impures" qui ne méritent pas, selon les jihadistes, d’être enterrées. Mais comprendre cette pratique demanderait une enquête anthropologique plus poussée.Pourquoi sortir ce rapport maintenant ?Nous avons poussé notre technologie au maximum de ce qu’on pouvait faire. Maintenant, il faut continuer l’enquête car ce document soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Nous avons plaidé auprès de la coalition internationale, puis des FDS, et maintenant auprès des troupes turques, pour que le site soit sécurisé comme une scène de crime. Les réponses existent et elles sont nécessaires pour écrire l’histoire de l’EI et s’assurer que ces crimes ne se reproduisent pas.Ce rapport fait partie d’une enquête plus large menée par HRW sur les disparus de Daech. Cette fosse est spectaculaire, intrigante. Localement, elle exerçait déjà une fascination : un mythe local racontait qu’elle abritait une créature qui enlevait les gens. Mais cette fosse est un charnier parmi d’autres. Il y en a au moins une vingtaine dans la région et des milliers de personnes ont disparu pendant le règne de l’EI. Des Irakiens, des Occidentaux mais aussi des Syriens.Les Syriens sont les premiers à avoir souffert des atrocités de Daech, ils ont perdu des proches, ont vu leur économie s'écrouler, et la coalition fait comme si cette guerre avait eu lieu hors sol. Donner des réponses sur le sort des disparus, c’est remettre un peu d’ordre et aider le pays à se reconstruire. C’est aussi permettre à des familles de faire leur deuil et au pays de tourner la page de Daech.
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