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Approvisionnement en médicaments dans les structures de santé: Quand la loi se heurte aux réalités du terrain

Auteur: Yandé Diop

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Approvisionnement en médicaments dans les structures de santé: Quand la loi se heurte aux réalités du terrain

Adoptée en juin 2023, la loi n°2023-06 sur les médicaments et produits de santé ambitionne de sécuriser le circuit pharmaceutique au Sénégal. Une réforme saluée pour son audace, mais qui suscite de vifs débats chez les praticiens du public comme du privé. Entre sécurité, disponibilité et accessibilité, les voix s’élèvent pour alerter sur des incohérences pratiques. Par exemple, renseigne une source bien aux faits, la lenteur dans l’attribution des marchés au niveau de la SN-PNA accentue les ruptures de plusieurs molécules. « C’est parce que les marchés ne sont pas souvent lancés à temps qu’on note des ruptures et comme résultats, des médicaments plus chers et c’est le patient qui en pâtit », explique-t-elle. 

La source ajoute que c’est pourquoi dans les structures de santé publique, beaucoup de médicaments sont quasi-inexistants. Cette situation qui est notée dans les structures de santé publiques semble être pire au niveau du privé. En effet autour du table ronde les acteurs se sont penchés sur la disponibilité du médicament dans les structures de santé

« Le patient, pas le médicament »

Pour l’endocrinologue du secteur privé, Dr Awa Mbow Kane, la faiblesse majeure de la loi réside dans sa philosophie même. « Cette loi met le médicament au centre de la problématique. Or, le cœur du système, c’est le patient », tranche-t-elle. 

À l’en croire, la multiplication des interdictions a pour effet paradoxal de compliquer l’approvisionnement. Elle note que la conséquence directe est que les cliniques et hôpitaux se retrouvent confrontés à un véritable « parcours d’obstacles ». 

Ainsi, elle donne l’exemple des solutés indispensables en grande quantité, les cliniques doivent pourtant les acheter au détail chez les pharmaciens. « Dans toute logique industrielle, une clinique devrait pouvoir s’approvisionner auprès des grossistes », plaide l’endocrinologue.

Conseiller juridique du syndicat des médecins du privé, Me Mballo Thiam reconnaît la portée innovante de la loi avec une régulation plus contractuelle que répressive, un cadre structuré en huit titres, l’affirmation d’un monopole pharmaceutique assorti de dérogations. Mais, il en souligne les zones grises. Il s’agit entre autres « du champ d’application flou vis-à-vis du privé, des procédures d’inspection et de recours peu détaillées, ainsi que de la lourdeur des exigences pour les pharmacies à usage intérieur ». 

À ses yeux, la loi gagnerait à être précisée pour éviter l’insécurité juridique et s’adapter aux réalités de terrain. Il avertit : « certaines dispositions sont difficiles à appliquer. La révision annuelle de la liste des médicaments, combinée aux contraintes des marchés publics, ralentit les hôpitaux. Quant aux cliniques privées, elles n’ont pas accès aux grossistes-répartiteurs. » . Pour lui, cela entraîne des blocages et coûts plus élevés pour les patients.

Disponibilité, accessibilité, traçabilité : le trio clé

Même constat chez le secrétaire général du syndicat des médecins du privé. « Le circuit imposé, via les pharmacies de ville, est inadapté aux besoins hospitaliers » dit Dr Abdou Kane Diop. Selon lui, l’équation est claire : « disponibilité immédiate des médicaments, prix plus accessibles via les grossistes ou la PNA, traçabilité totale pour sécuriser les soins ».  

Au fond, tous les intervenants partagent le même constat : « la loi de 2023 marque une avancée majeure, en modernisant un cadre juridique hérité de 1969. Mais son application montre des fragilités qui risquent de pénaliser ceux qu’elle entend protéger, les patients ». Et donc, pour atteindre son objectif, la réforme doit intégrer médecins, pharmaciens, cliniques privées, hôpitaux publics et régulateurs dans une approche réellement inclusive.

L’État défend sa réforme et rappelle le rôle central de la loi

Chargé des affaires juridiques au ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, Samba Ndiaye a apporté un éclairage institutionnel sur la loi n°2023-06 relative au médicament et aux produits de santé. Il avance que cette réforme marque une rupture historique avec un héritage colonial dépassé et place le Sénégal dans une dynamique internationale de régulation et de production pharmaceutique. « Jusqu’à récemment, le secteur pharmaceutique sénégalais reposait encore sur des textes inspirés du Code de la santé publique français de 1954 » dit-il. Et de préciser : « Ce n’était pas une loi sénégalaise, mais un héritage colonial ». Le Sénégal a désormais atteint le niveau de maturité 3 dans l’évaluation de l’Organisation mondiale de la Santé, un score rare sur le continent selon lui. « Cela nous permet de développer une industrie pharmaceutique locale, y compris des unités de production de vaccins », se félicite-t-il.

La réforme a également permis la création de l’Autorité de régulation pharmaceutique (ARP), structure indépendante chargée de contrôler la conformité des établissements et de sécuriser le circuit du médicament. La loi s’aligne aussi sur les conventions internationales, notamment celles qui sanctionnent sévèrement le trafic illicite de médicaments. Mais au-delà des sanctions, le juriste rappelle un principe fondamental : « Même l’État est soumis à la loi. Nul n’est au-dessus de la réglementation » répond-t-il sur la non nécessité de la présence d’un pharmacien au niveau des structures privées. « Il faut sécuriser l’approvisionnement, renforcer l’inspection pharmaceutique, surveiller le marché. Autant de leviers destinés à fiabiliser l’accès aux médicaments et à protéger la santé publique » conclut Samba Ndiaye.

Auteur: Yandé Diop
Publié le: Dimanche 14 Septembre 2025

Commentaires (2)

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    Dr médicament il y a 1 jour

    Bon article. Ce sont les lourdeurs dans l’application des dispositions de la loi qui sont le problème mais pas la loi elle même. Personne ne ne peut donner de délais fiables, sûrs et constants sur le traitement des procédures de traitement de la supply chain pharmaceutique. La Douane, le service du Commerce aussi interviennent et parfois retardent l’approvisionnement.
    Avec une liste spéciale qui leur sera attribuée, les officines de pharmacie seront capables d’assurer l’approvisionnement des cliniques privées. Et elles sont ouvertes 7/7 et H24. Pour le service public des hôpitaux et autres centres de santé , la SENPNA doit se concentrer sur les molécules hospitalières et laisser les molécules simples administrées par voie orale aux officines de pharmacies. Le peu de moyens qu’elle a sera orienté intelligemment pour aider les services spécialisés et les structures décentralisées accéder aux molécules injectables et aux produits d’urgence. Il faut une grande coalition secteur privé- secteur public, une politique intégrant les contraintes rencontrées par les acteurs, pour proposer des solutions durables.

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    Citoyen il y a 1 jour

    L'agitation des structures privées n’arrêtera pas la bonne marche de la régulation pharmaceutique confirmément à la volonté de souveraineté pharmaceutique nationale. Une clinique privée n’est pas une structure pharmaceutique et ne doit concurrencer déloyalement une officine de pharmacie. Elles doivent se limiter à la liste d'urgence établie par le msas.il y a eu trop d'abus. Le Sénégal a une tradition pharmaceutique assumee et s’aligne aux standards pharmaceutiques internationaux et prévoit bien des dérogations bien encadrées.

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