Dans cette mini-enquête, L’Observateur revient sur les circonstances de la création de la Cour, sa composition, son mode de fonctionnement, ses difficultés.
L’histoire bégaie. Les époques sont différentes, mais les circonstances sont identiques. Nous sommes au lendemain de l’accession à la magistrature suprême d’Abdou Diouf. Précisément en 1981, à la veille de la Présidentielle de 1983. Le Président Abdou Diouf est confronté à un problème. Il a en face de lui un pouvoir puissant détenu par des hommes puissants : les barrons du Parti socialiste (Ps). Ils ont des bases politiques puissantes, des moyens financiers et matériels puissants et n’acceptent pas sa présidence. Ils le considèrent comme un usurpateur de fonction. Ils ne le voyaient pas en successeur de Léopold Sédar Senghor. Un peu ou presque comme Macky Sall qui a en face de lui aujourd’hui des responsables du Parti démocratique sénégalais (Pds) qui sont assis sur des fortunes.
Selon des témoins de l’histoire, «des conseillers d’Abdou Diouf lui avaient conseillé de mettre sur pied une Cour de répression de l’enrichissement illicite». Et pour nos sources, «le Président ne l’avait pas dit explicitement, mais il fallait trouver un instrument de dissuasion, de toute velléité de contestation de son pouvoir». En plus, comme jeune et nouveau président de la République, il a voulu «apporter un style nouveau pour installer les conditions de transparence dans la gestion, de justice et d’équité. Enfin, de débarrasser le Sénégal de la corruption, de la concussion, de l’usage abusif des biens de l’Etat. Ce qui allait réguler et apporter une forme neuve de gestion pour installer l’espoir». Cette Cour allait permettre au Sénégal, alors dans une situation économique un peu difficile, de récupérer quelques biens. Comme c’est encore le cas aujourd’hui.
Les barrières juridiques qui ont conduit à la création de la Cour
D’après les experts juridiques, «Les lois en vigueur au Sénégal ne punissent pas l’enrichissement illicite. Quelqu’un qui n’a pas volé et qu’on n’a pas pris, quelqu’un qui n’a pas détourné et qu’on n’a pas pris, qui n’a pas fait de malversations, qui n’a rien fait en violation de la loi ne peut pas être pris». Pour régler la question de l’enrichissement illicite dans la légalité, un élément nouveau qui réprime l’enrichissement illicite a été créé. Et le crime a été défini comme suit : «C’est l’accumulation de richesses dans des conditions qui ne sont pas conformes à la loi ni à la morale. Donc dans des conditions illicites.» Ce qui était visé à l’époque ce n’est pas la conformité à la morale, qui n’est pas sanctionné légalement, car l’infraction morale n’est pas sanctionnée par la loi. Et l’esprit de la loi de l’époque ne sanctionnait pas cette forme d’enrichissement. Ce qui était visé, c’était le caractère abusif et attentatoire aux règles de bonne gestion et également aux bonnes mœurs de gestion et de vie. L’Etat voulait amener les Sénégalais à plus d’humilité avec leurs biens. Et la loi s’appliquait à tous Sénégalais de la Fonction publique, du secteur privé formel et non formel, aux marabouts, étrangers vivants au Sénégal. C’était une épée de Damoclès au-dessus de la tête de tout le monde.
Assane Diagne, élément central de la Cour
La Cour de répression de l’enrichissement illicite était dirigée par un président du tribunal avec ses deux assesseurs. Il avait aussi à ses côtés le grand Procureur Youssouph Sakho, entouré de ses deux assesseurs. Et enfin la commission d’enquête et d’information qui était chargé de découvrir les personnes soupçonnées et d’enquêter sur elles. Cette commission était dirigée par Assane Diagne, alors très puissant inspecteur technique principal, chargé de l’évaluation des biens acquis et d’étudier les conditions et circonstances de cette acquisition. Il était la pierre angulaire de la Cour. La commission d’enquête était dirigée par un colonel de la gendarmerie qui avait ses enquêteurs. Les noms de tout ce monde étaient tenus secrets pour la bonne marche de la Cour. Car ils étaient craints par tout le monde.
Trois ans de fonctionnement, seules deux arrestations
Dans une société comme le Sénégal, il fallait du courage, de la ténacité et être insensible à toute sorte de pressions pour faire fonctionner la Cour. Car le Sénégal est un nid de pressions des amis, des parents, marabouts, hommes puissants… C’est la raison pour laquelle il n’y a eu, dans l’histoire de la Cour, que deux incarcérations. Et des témoins parlent d’un «directeur général d’une société nationale et d’un entrepreneur». Le premier était condamné pour cinq ans de prison. Mais il n’a fait que deux ans et demi de prison. Le second a eu moins de chance. Mais le mot d’ordre était que «tout Sénégalais qui a des biens était susceptible d’être traduit devant la Cour». Et avec la Cour, les mœurs ont été un peu assainies. Les Sénégalais sont devenus moins arrogants avec leurs richesses, ou se cachaient à la limite pour ne pas tomber sous le coup de la Cour. Et progressivement, le Président Abdou Diouf avait demandé à la Cour de mettre la pédale douce. Parce que la Cour a commencé à diminuer les investissements au Sénégal. Parce que les investisseurs sénégalais s’exposaient à la Cour. De même que dans la circulation des biens. En 1984, la Cour a été mise en veilleuse.
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