Protéger les jeunes filles appelées à s’engager dans l’Armée ou éviter des perturbations de la relation de travail entre supérieur et subalterne pourrait justifier, aux yeux de certains juristes, le décret signé par le chef de l’Etat, qui réglemente les unions dans l’Armée.
Une appréciation positive. Tel pourrait être le point de vue des juristes interrogés hier par Le Quotidien. Le coordonnateur de la Ligue sénégalaise des droits humains (Lsdh), Me Assane Dioma Ndiaye, dira : «A priori, pour nous, c’est une mesure de protection à l’égard des jeunes filles appelées à s’enrôler dans l’Armée. Si on fait le rapport de proportionnalité entre les droits à la vie privée des chefs et cadres avec les bienfaits que peut générer cette mesure, du point de vue de l’intérêt général, on peut s’en féliciter.» «Dans le cadre des rapports basés sur l’exécution des ordres, il est possible qu’il y ait des mariages qui ne seraient pas sous-tendus par un consentement non éclairé, du fait d’un ordre hiérarchique ou d’un ordre qui proviendrait d’un supérieur ou d’un chef. C’est une sorte de protection contre la position dominante du supérieur», explique Me Ndiaye. Le décret signé par le Président Macky Sall, le 21 octobre dernier, aux yeux du coordonnateur de la Lsdh, viserait à «éviter d’éventuels dérapages ou des mariages forcés». Madame Fatou Kiné Camara, présidente de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), semble émettre sur la même longueur d’ondes que Me Ndiaye. Mme Camara, qui s’est confiée au journal Le Quotidien à titre personnel et en tant que défenseur des droits de la personne humaine, déclare : «C’est peut-être pour éviter que la relation de travail soit troublée par des comportements qui ne sont pas appropriés pour des supérieurs envers leurs subalternes. S’ils ont l’autorisation de se marier, (cela veut dire) qu’ils ont l’autorisation d’avoir des relations de familiarité. (Et) cela risque d’être pour un supérieur, la justification de propos ou de gestes qui peuvent s’apparenter avec du harcèlement sexuel, c’est-à-dire des avances qui ne sont pas les bienvenues de la part du supérieur (auprès) des subordonnées.» Fatou Kiné Camara n’en pense pas moins que «cette interdiction permet de maintenir la distance qui sied et la réserve nécessaire dans les relations entre supérieur et subalterne». Un «garde-fou» contre des «tentations»Sur un autre registre, Me Assane Dioma Ndiaye souligne qu’on «pourrait parler d’une discrimination». Ce, d’autant plus que «l’Armée a la particularité d’être un corps où les ordres s’exécutent sans discussion. Même si cette assertion doit être atténuée par «la théorie des bâillonettes intelligentes» qui permet à un subalterne de ne pas exécuter un ordre manifestement illégal». L’avocat considère aussi que le décret du Président Sall aura «pour vertu de s’ériger en garde-fou contre un certain nombre tentations au demeurant humaines». «Cela relève de bonnes pratiques universelles censées préserver l’image de l’Armée et protéger les jeunes filles qui peuvent être dans une situation de vulnérabilité et de solitude souvent dans des cantonnements avec des durées plus ou moins longues», relève Me Assane Dioma Ndiaye. Qui avertit, cependant : «Cela ne préjuge en rien d’une éventuelle malveillance des supérieurs à l’endroit des jeunes filles enrôlées.» Tout de même, «le fait que des rapports puissent s’interférer avec la rigueur du commandement peut être source de problèmes», tient à souligner notre interlocuteur. Qui demeure persuadé que l’Armée «est le corps le plus éminent dans la République en matière de défense».
Un décret attaquable
Le décret paraphé par le chef de l’Etat peut faire l’objet de recours au niveau de la justice. C’est du moins l’avis de Me Assane Dioma Ndiaye. Ce dernier indique que «du point de vue du principe de non-discrimination qui interdit à tout Etat de prendre des mesures qui peuvent paraître discriminatoires par rapport à une catégorie sociale ou professionnelle, ce décret est attaquable». Qui osera faire le premier saut ? La suite des évènements nou le dira. Seulement, le coordonnateur de la Lsdh invite à «s’inscrire dans une proportionnalité de protection d’autres droits concurrents comme le droit de protection de la vulnérabilité».
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