"Du jamais vu": dans le nord de la Côte d'Ivoire, la filière karité sous tension
A Korhogo, dans le nord de la Côte d'Ivoire, les entrepôts de Souleymane sont vides: la campagne de commercialisation du karité touche à sa fin et les amandes restent rares, suite au gel des exportations des voisins malien et burkinabè qui compensaient jusque-là le déficit ivoirien.
En 2024, le Mali et le Burkina, respectivement deuxième et troisième producteurs mondiaux, ont suspendu l'exportation de leurs amandes pour privilégier l’approvisionnement de leurs unités de transformation locales.
La Côte d’Ivoire, dont la production est modeste et où le karité est concentré dans le nord, compensait son déficit en s'approvisionnant auprès de ces deux pays voisins.
Le karité, arbre emblématique des savanes africaines, pousse à l’état sauvage. Ses fruits renferment une amande que les femmes ramassent, puis vendent brute ou transforment en beurre, essentiel pour les soins corporels et l’industrie agroalimentaire.
"Depuis qu'ils ont suspendu leurs exportations, on a difficilement accès aux amandes, en plus cette année la production ivoirienne n'a pas été assez rentable", dit d'un air dépité Souleymane Sangaré, acheteur au marché de Korhogo et vice-président du réseau ivoirien de karité.
Finies donc les montagnes d'amandes dans ses deux entrepôts, où ne trainent que quelques sacs cette année.
"En temps normal, j'ai entre 3.500 et 4.000 tonnes d'amandes par campagne. Cette année je n'ai même pas pu avoir 500 tonnes deux mois après le début de la campagne", de mi-août à octobre, soupire-t-il.
Forte demande internationale
En janvier, la Côte d'Ivoire a à son tour suspendu les exportations de ses amandes pour faciliter l'approvisionnement de son industrie.
"On ne peut pas critiquer d'autres pays qui ont fait la même chose", lance Mamadou Berté, directeur général du Conseil coton anacarde karité.
Korogho abrite la première industrie ivoirienne moderne de transformation du karité en beurre.
"J’ai signé un contrat pour fournir des amandes à cette unité, mais je peine à le respecter faute d’en trouver suffisamment", confie Souleymane Sangaré.
Outre le Mali, le Burkina et la Côte d’Ivoire, le Togo et le Nigeria ont également interrompu leurs exportations d’amandes brutes. Le Ghana, de son côté, prévoit une interdiction progressive de ses exportations en 2026.
Ces décisions combinées à la forte demande internationale, stimulée par l’utilisation du beurre de karité comme alternative moins coûteuse au beurre de cacao, ont contribué à tendre le marché ouest-africain, explique la société de conseil N'Kalô, dans son bulletin agricole.
Résultat: des prix en hausse et des volumes échangés "très faibles".
En Côte d'Ivoire, le prix minimum bord champ, fixé à 250 FCFA/kg (0,38 euro), a grimpé jusqu’à 350 FCFA (0,53 euro), tandis que les prix en magasin usine, établis à 305 FCFA/kg (0,46 euro), varient entre 385 et 400 FCFA/kg (entre 0,58 et 0,60 euro), analysait fin novembre N'kalô.
"Marché lent"
Au moins 152.000 femmes vivent du karité dans les zones de production, selon le ministère ivoirien de l'Agriculture.
À la coopérative Chigata, à Natio-Kobadara, près de Korhogo, des dizaines de femmes s’affairent à fabriquer du beurre sous un soleil écrasant.
Dans la cour, des sacs d’amandes sont entreposés, tandis que des moulins grésillent en continu, crachant des pâtes de karité compactes, couleur chocolat.
"L'année dernière, on a vendu le kilo du beurre de karité entre 4.000 et 4.500 francs CFA (entre 6 et 6,9 euros), c'est du jamais vu depuis qu'on est nées", dit Noulourou Assiata Soro, secrétaire générale de cette coopérative qui rassemble "plus de 120 femmes".
Elle déplore toutefois un manque de débouchés pour ses produits.
Mais, "quand c'est cher, le marché est lent", constate Tenin Silue, 49 ans, vendeuse de beurre de karité au marché de Korhogo depuis dix ans.
Le sac d’amandes de 150 kilos, que la coopérative achetait à 60.000 francs CFA (92 euros), lui est désormais cédé à 70.000 (107 euros), ajoute Mme Soro.
Cette tendance haussière des prix devrait se poursuivre dans les semaines et mois à venir, marquant la fin de la campagne sur le marché ouest-africain du karité où l’offre d’amandes reste limitée, selon le bulletin agricole de N'kalô.
En avril, le gouvernement ivoirien a placé la filière karité sous la régulation du Conseil coton anacarde, qui entend identifier les acteurs, les problèmes liés à la commercialisation et disposer de statistiques fiables sur la production, selon son directeur.
Commentaires (0)
Participer à la Discussion