Les “petites sœurs” de la capitale : survivre entre débrouille et vulnérabilité
À Conakry, elles sont des centaines, parfois invisibles dans la foule des marchés. De jeunes filles âgées de 10 à 17 ans, que tout le monde appelle affectueusement les “petites sœurs”. On les croise sous le soleil brûlant, un plateau sur la tête, un bébé dans le dos ou un seau de beignets à la main.
Elles sourient, marchandent, crient pour attirer les clients. Mais derrière ces visages courageux se cachent des histoires de survie, souvent marquées par la pauvreté, l’abandon et la vulnérabilité.
Vendre pour exister
Dans le grand marché de Madina, Aissatou, 13 ans, déambule entre les allées poussiéreuses.
« Je vends des cacahuètes depuis 6 heures du matin. Ma mère est malade, et mon père ne vit plus avec nous. L’argent que je gagne sert à acheter le riz du soir. »
À son âge, elle devrait être à l’école. Mais comme beaucoup d’autres, elle a quitté les bancs très tôt.
Selon le ministère de l’Action sociale, des milliers de filles à Conakry exercent une activité économique informelle, souvent dès l’enfance. Elles vendent de l’eau, des gâteaux, du savon ou des fruits, pour aider leurs familles.
« Ces filles sont exposées à de nombreux risques : harcèlement, violences sexuelles, accidents de la route ou exploitation économique », alerte Fatoumata Camara, travailleuse sociale au sein de l’ONG Enfance et Dignité.
Entre débrouille et danger
Les “petites sœurs” travaillent sans protection, souvent dans des environnements hostiles.
À Kaporo ou Matoto, certaines dorment même dans les marchés ou sous des abris précaires. D’autres vivent avec des tantes ou des “patronnes” qui les exploitent sous couvert de les nourrir.
« On me donne 10 000 GNF par jour, mais si je perds un sachet d’eau, on me frappe », raconte Mariam, 12 ans, les yeux pleins de larmes.
Le soir, ces fillettes rentrent épuisées, parfois après avoir parcouru des kilomètres. Et beaucoup d’entre elles subissent le harcèlement d’hommes adultes, profitant de leur fragilité.
« C’est un problème de société que nous banalisons. Ces enfants sont livrés à eux-mêmes, sans éducation ni protection. C’est une bombe sociale silencieuse », prévient le sociologue Ibrahima Sory Bah.
Un encadrement insuffisant
La loi guinéenne interdit formellement le travail des enfants de moins de 16 ans, sauf dans un cadre familial léger et non dangereux.
Mais dans les faits, les contrôles sont rares et les familles, souvent démunies, préfèrent envoyer leurs filles “aider à la maison” ou “se rendre utiles” dans les marchés.
« La pauvreté reste la cause principale. Les parents n’ont pas les moyens d’assurer la scolarité, alors ils choisissent la survie », explique Hadja Aminata Baldé, responsable d’un centre d’accueil pour enfants en difficulté.
Des espoirs malgré tout
Certaines ONG tentent de changer la donne. Des structures comme Sabou Guinée, SOS Village d’Enfants ou Plan International mènent des programmes de réinsertion scolaire et de formation pour ces jeunes filles.
Elles apprennent un métier — couture, coiffure, cuisine — et retrouvent parfois le chemin de la dignité.
« Je veux devenir couturière pour aider mes petites sœurs à ne plus vendre dans la rue », dit Fanta, 16 ans, sourire timide mais regard plein d’espoir.
Ces “petites sœurs” de la capitale sont les visages courageux d’une Guinée qui se bat dans le silence.
Leur quotidien interpelle, leur résilience inspire, mais leur avenir dépend d’une seule chose : la capacité de la société à les protéger et à leur redonner une place à l’école… plutôt qu’au marché.
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