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Remettre l’économie au centre : une vision renouvelée pour la CEDEAO (par Abdoulaye Ndiaye)

Auteur: Senewebnews

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Remettre l’économie au centre : une vision renouvelée pour la CEDEAO (par Abdoulaye Ndiaye)

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) traverse une période où les attentes sont à la fois pressantes et légitimes. Pressantes, parce que nos concitoyens vivent chaque jour la hausse des prix, l’incertitude quant à l’emploi et la difficulté d’accéder à des marchés plus vastes. Légitimes, parce que notre région dispose d’atouts considérables en démographie, en entrepreneuriat, en ressources et en capacité d’innovation, qui exigent avant tout de meilleures conditions de circulation, de production et d’investissement.

Avec le Sénégal à la tête de la Commission de la CEDEAO, une responsabilité particulière s’ouvre à notre pays : tenir ensemble la sécurité, la cohésion politique et le dynamisme économique de la région.

Constat et enjeux du moment

Nous devons d’abord reconnaître, avec prudence et lucidité, les défis qui pèsent sur l’espace ouest-africain. Les enjeux de sécurité demeurent graves, et les trajectoires politiques de plusieurs États ont créé des tensions qui affectent la confiance mutuelle et la capacité à agir ensemble. La relation avec certains partenaires de la région, y compris les États réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), requiert une approche respectueuse, ouverte et patiente. La stabilité et l’union supranationale ne se décrètent pas ; elles se construisent.

Mais il serait une erreur de croire que ces défis relèguent l’économie au second plan. Au contraire : dans la vie quotidienne, le premier test de l’intégration régionale reste économique. C’est le prix du riz et du carburant, le coût du transport, la possibilité de vendre au-delà de sa ville ou de son pays, l’accès à un emploi digne, l’espoir pour la jeunesse. Dans ce sens, le commerce est le serviteur de la politique interne et externe. Quand une frontière ralentit, le panier de la ménagère en paie le prix ; quand une route se dégrade, les entrepreneurs renoncent à investir.

Pourquoi, alors, remettre l’intégration économique au centre ? Parce qu’elle offre une réponse pragmatique et s’appuie sur des instruments que la CEDEAO a déjà su mettre en place, même imparfaitement. Le Schéma de Libéralisation des Echanges de la CEDEAO (SLEC), par exemple, a posé un principe clair : la libre circulation des produits « originaires » dans l’espace communautaire. L’enjeu, aujourd’hui, est d’en faire une réalité plus simple et plus accessible pour les opérateurs économiques, notamment les plus petits.

Remettre l’économie au centre, c’est d’abord réduire le coût de la vie : des chaînes d’approvisionnement régionales plus fluides limitent les ruptures de stock et diminuent les surcoûts de transport et de stockage. C’est ensuite créer des emplois et encourager la formalisation : un marché régional plus accessible fait grandir les entreprises locales, élargit les débouchés et incite à investir dans la qualité. C’est enfin renforcer l’attractivité pour l’investissement : la taille effective du marché compte. L’intégration, à l’image de l’effort de convergence autour du Tarif extérieur commun de la CEDEAO, réduit l’incertitude et rend des projets rentables qui ne le seraient pas sur un seul marché national.

Agenda économique de la CEDEAO: cinq priorités actionnables

1) Faciliter le commerce, réduire les frictions aux frontières

Les frictions aux frontières sont bien connues : les procédures longues, la multiplicité des contrôles, l’opacité et la variabilité d’un poste à l’autre. Une priorité réaliste consiste à standardiser des pratiques simples, en s’appuyant sur ce qui existe déjà dans l’architecture communautaire : rendre plus opérationnels les mécanismes du Schéma de libéralisation des échanges, clarifier les règles d’origine et réduire les zones grises qui ouvrent la porte aux interprétations divergentes. L’objectif n’est pas de « déréguler », mais de rendre la règle prévisible. Cela passe, très concrètement, par des procédures plus lisibles, une numérisation progressive et des mécanismes de recours rapides pour les opérateurs, afin que la fluidité ne dépende plus du lieu, du moment ou de l’interlocuteur.

2) Sécuriser et moderniser les corridors logistiques régionaux

La compétitivité se joue sur les routes, dans les ports, aux points de passage et dans l’organisation du transport. Pour éviter la dispersion, il faut assumer une logique de corridors prioritaires, avec une coordination opérationnelle sur l’entretien, la sûreté, les aires de repos, la gestion du dernier kilomètre et la transparence des redevances. Dans cet esprit, le corridor Abidjan–Lagos, première phase du corridor côtier Dakar–Lagos, illustre le type de projet structurant que la région identifie comme un levier d’intégration, à condition d’en maîtriser l’exécution, la gouvernance et l’impact sur les chaînes logistiques.

3) Harmoniser de manière ciblée normes, douanes et règles d’origine

L’harmonisation des règles de commerce par phase est possible. Il s’agit de choisir des secteurs à fort potentiel régional , tels quel’agroalimentaire, les matériaux, la santé et les services financiers digitaux (fintechs), et d’aligner progressivement les exigences de qualité, les documents douaniers et les règles d’origine. Là aussi, la CEDEAO dispose d’instruments qu’il faut consolider : le Tarif extérieur commun, au-delà de sa dimension tarifaire, a incité les administrations à converger vers une nomenclature et des catégories communes, ce qui favorise la cohérence des pratiques. L’enjeu est de permettre aux produits ouest-africains de circuler comme des produits « du même marché », tout en protégeant le consommateur et la santé publique.

4) Soutenir les PME exportatrices et le commerce intra-régional

La plupart des entreprises capables d’exporter dans la région sont des PME ; elles manquent souvent de financements adaptés, d’informations de marché et de solutions logistiques. Ici, l’intégration doit apporter un soutien tangible aux PME. Cela suppose des dispositifs régionaux d’accompagnement (formation, certification, intelligence économique) et des instruments de partage des risques qui encouragent les banques à financer le cycle d’exportation. À cet égard, des mécanismes déjà mis en place au niveau communautaire montrent qu’une solution régionale peut simplifier la vie des opérateurs : le système de la Carte Brune d’assurance de la CEDEAO, par exemple, a été conçu pour sécuriser les déplacements transfrontaliers des véhicules en garantissant une couverture et une indemnisation dans les pays visités. Dans sa continuité, il faut multiplier les outils pratiques qui réduisent les coûts de transaction.

5) Encourager la mobilité professionnelle et la reconnaissance de qualifications

Renforcer la mobilité professionnelle peut également se faire par étapes. Nous avons intérêt à bâtir, à l’échelle ouest-africaine, un dispositif de type “Erasmus” : un cadre qui encourage la mobilité pour l’éducation, l’apprentissage et la formation professionnelle, en lien direct avec les besoins du marché du travail. Dans le même esprit, une reconnaissance plus commune des qualifications peut se faire en commençant par les métiers où l’encadrement est le plus strict, comme ceux qui reposent sur des licences professionnelles (avocat, architecte, ingénieur, professions de santé, etc.). Harmoniser les référentiels, établir des registres professionnels et définir des procédures de reconnaissance mutuelle, assorties de garanties de qualité, permettrait de sécuriser la mobilité et de rendre la région plus attractive pour les talents, y compris ceux de sa large diaspora.

Une CEDEAO qui protège et qui délivre

Notre région doit continuer à traiter la sécurité avec sérieux, à préserver la souveraineté des États et à maintenir des canaux de dialogue, y compris avec les pays de l’AES. Mais, avec la porte qui s’ouvre pour le Sénégal au sein de la CEDEAO, nous avons l’occasion de remettre l’économie au centre, par une responsabilité intergénérationnelle.

Une CEDEAO de paix, oui. Mais surtout une CEDEAO qui réduit les frictions, ouvre des marchés, soutient les entreprises et facilite la mobilité des compétences. C’est ainsi que notre intégration devient, pour les citoyens, une réalité vécue.

Abdoulaye Ndiaye professeur d’économie à la New York University Stern School of Business

Auteur: Senewebnews
Publié le: Mercredi 17 Décembre 2025

Commentaires (1)

  • image
    Anonyme il y a 4 heures
    Faire de la CEDEAO, de l'intégration, de la paix, de l'unité régionale, y compris les États de l'AES, de la sécurité pour tous, une réalité vécue est une ambition patente, vivante et pertinente. Bravo et merci pour cette belle perception et vision rédemptrice

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