De l’état de département à l’état de région, Sédhiou reste une collectivité sinistrée en tout temps et en tout lieu. La faute incombe-t-elle aux autorités étatiques ou aux fils du terroir ? Ce que personne ne peut contester, c’est que les différents responsables politiques de la région n’ont jamais pu dépecer ensemble une mouche. Dès que l’un d’eux est promu à un poste de responsabilité, du coup, les autres s’érigent, pas en adversaires mais en ennemis.
Et malheureusement, ce sont ceux qui sont dans le même parti politique qui se jettent le plus souvent l’anathème.Au temps des libéraux, le Parti démocratique sénégalais (Pds) roulait avec six tendances dans la commune: la tendance de Lamine Dramé, encore président du Conseil régional ; celle du professeur Balla Moussa Daffé, maire à l’époque ; celle du professeur Amadou Tidiane Bâ, recteur de l’université de Ziguinchor puis ministre de la recherche scientifique en son temps ; celle de Bouli Tamba, ancien haut conseiller de la République et actuel second adjoint au maire, l’avant dernière était la tendance de Diola Diallo, agent à la Caisse de sécurité sociale et enfin celle de Moustapha Konté qui avait gagné une partie de la jeunesse. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’Alliance Pour la République (Apr) est aussi minée par des tendances jusque-là inconciliables malgré les appels à l’unité des uns et des autres.La tendance du professeur de philosophie, Kéba Dramé dit Lokotte, le tout premier républicain de la région, est agressée de tous bords par des alliés ou des ralliés. En tant que responsable régional, il ne peut réunir les cadres républicains autour d’une table.
Il y a aussi celle d’Abdoulaye Diop, président du Conseil sénégalais des chargeurs (Cosec) née après la chute du régime libéral et celle du responsable communal, Abdoualye Coly, qui cherche à recoller les morceaux mais sans succès. Au nord de la région, dans le département de Bounkiling, celles du député Amath Cissé, l’enfant de Ndiamacouta et de Mohamed Diaïté, les fils de Diaroumé n’arrivent toujours pas à se donner la main sur le terrain de la massification. Aucun des deux responsables ne veut jouer les seconds rôles. Bref, depuis l’avènement de la seconde alternance, ces responsables ne sont jamais assis sur la table de l’unité. Dans le Pakao des profondeurs, la tendance de Chérif Cissé, président de la convergence des cadres républicains peine à faire l’unanimité.Chacun des responsables cités se dit émissaire de Macky Sall et prêche pour sa propre chapelle. Voila la part de responsabilité des fils du terroir dans le feuilleton, Sédhiou se meurt. Alors, les différents gouvernements, qui se sont succédé, ont toujours profité de cette division des responsables locaux pour mieux régner.
Une division qui finalement se transmet de génération en génération. Les jeunes de ces différentes tendances vivent aussi leur désunion et ont du mal à revendiquer ensemble quelque chose pour la région. On s’en souvient, en 2011, une partie des jeunes exigeaient la construction du stade municipal et demandaient le boycott des navétanes.
Une autre franche ne se gênait pas à jouer dans un terrain nu. Il s’en est suivi une chaude confrontation qui a valu l’emprisonnement des frondeurs. L’Etat a aussi profité de cette division pour enterrer son projet de construction du stade régional sachant qu’il était soutenu par une partie des jeunes.Cette désunion est la conséquence de ce qu’on pourrait appeler un manque de considération. De 1960 à nos jours, l’actuelle région n’a eu que deux ministres en l’occurrence Balla Moussa Daffé sous Diouf et Wade.
Il a occupé le ministère de la Recherche scientifique et technique qu’Amadou Tidiane Ba a hérité toujours sous Wade. Un isolement des acteurs politiques de la région qui isole également son développement. Des voix se sont déjà élevées pour décrier le conseil interministériel décentralisé tenu à Kolda et à Ziguinchor sans que Sédhiou, en état d’urgence, passe en premier lieu. Et voilà que la seconde alternance installe son second gouvernement sans un fils de la région. Il est vrai qu’un ministre n’est pas un ministre d’une localité comme on aime le dire mais les programmes spéciaux Indépendance ont été défendus par des ministres de terroir. Thiès, Kolda et Fatick sont ainsi sortis de l’ornière. Sédhiou n’a pas de ministre, ses députés sont sourds, muets et aveugles. Qui va alors défendre la vieille dame mourante victime par ailleurs de son enfermement.La seconde face hideuse de la région, c’est l’enclavement. Quel que soit la proximité de la localité où l’on se rend, on ne peut s’assurer de son retour le même jour. Aux barrières naturelles que sont les fleuves du Soungrougrou qui sépare le département de Sédhiou de celui de Bounkiling et le fleuve Casamance qui sépare le département de Sédhiou de celui de Goudomp, s’ajoute l’état des routes.Jusqu’en 2002, date du bitumage de la route carrefour22/Kolda, il y a des quinquagénaires qui n’avaient jamais vu de goudron si ce n’est le tronçon de 45 kilomètres Sédhiou Médian Wandifa construit en 1986. Aujourd’hui, le parc automobile est à l’image des routes.
Des cercueils roulants dans des tombeaux ouverts. Malheureusement, cela ne semble plus gêner à cause des dangers, de l’habitude. La boucle du Boudhié Sédhiou/Marsassoum/Djirédji/Sédhiou reste aujourd’hui, le principal mur de lamentation des populations de la région. L’axe Sandiniéry Tanaff est la plaie béante du Pakao ; l’axe Sédhiou/Médiana Wandifa, la principale issue de Sédhiou rend cancéreux ; les différentes routes, qui segmentent le Kabada, partie nord de la région frontalière à la Gambie, ne s’empruntent pas par hasard. Mais celle qui écœure le plus, c’est la nationale VI ou route du sud reliant Kolda à Ziguinchor via Tanaff et Samine. Elle a tué pendant des années l’économie de cette partie sud de la région d’aucuns avaient baptisé le grenier du Sénégal. Enfin, nous notons que l’axe Sandiniéry/Diopcounda dans un état lamentable, isole aujourd’hui le Pakao et la cité religieuse de Karantaba du reste de la région. L’Etat est spectateur dans cette misère des populations qui se creuse d’année en année.Sédhiou souffre en troisième position de ses infrastructures. La santé est moribonde avec des postes de santé érigés en centre de santé, des centres de santé sans logistique roulante avec des plateaux techniques au rabais. L’éducation souffre de ses nombreux abris provisoires en passe de devenir des abris définitifs.
Les anciens collèges communaux de Tanaff, de Samine, de Goudomp, de Diattacounda, de Simbandi balante dans le département de Goudomp et ceux de Dianah Malary et de Marsassoum de Sédhiou, de Djirédji dans le département de Sédhiou, aujourd’hui érigés en lycées, font honte au système. Dans le département de Bounkiling, se sont les collèges de Bonna, de Bounkiling et Médina Wandifa ravagé par un incendie et de Daicounda qui attirent par leur triste sort. Plus de 24 salles en palissade de tiges de bambous ornent tristement certains de ces établissements, rendant infernales les études, surtout en période de chaleur et écourtant les années scolaires. Les collèges de Ndiama Pakao, de Simbandi Brassou, de Badiaré, de Bouno, de Kolibantang, de Diareng, de Sandiniéry, de Thiar, de Safane, de Nguindir de Bambali, de Francounda, etc. sont loin de faire la fierté des soldats du système. Qui en a une fois fait son cheval de bataille ? Pas les politiques en tout cas. Qui a une fois exigé leur construction ?
Même les syndicats d’enseignants n’en font pas une priorité. Les élèves, leurs parents, les enseignants, personne n’a jamais posé comme première doléance l’amélioration des conditions de travail par la construction des salles de classe en dur. Sédhiou est responsable. Je n’appelle pas à l’insurrection mais on n’a jamais rien réglé les bras croisés. La jeunesse malsaine de Thiès à fait de la région une localité qui brille de tous les feux.Autres infrastructures manquantes, ce sont celles qui abritent les services régionaux. Sédhiou a été érigée en collectivité régionale sans mesure d’accompagnement. Cela a toujours opposé Moustapha Konté à Balla Moussa Daffé.
L’un exigeait la construction d’infrastructures avant la région tandis que le second soutenait la région d’abord les infrastructures après. L’idée du second a triomphé. Il s’en est suivi une forte demande en logement sociaux et en bureaux. Pour une facture annuelle de plus de cent millions de francs, le gouvernement a conventionné la totalité des bâtiments disponibles à des prix défiant toute concurrence. Très vite les prix du loyer ont flambé. Les ressources ne s’étant pas augmentées, la pauvreté s’est accentuée et tout le monde vit la précarité et l’insécurité. Sédhiou est responsable.Pourtant, Sédhiou est une vitrine ou devrait l’être. Les noms de ses fils ont porté haut notre Sénégal.
Dans le domaine de la culture, l’union culturelle, artistique et sportive (Ucas) est la première voie du pays à franchir les frontières. Dans le domaine de la lutte, Balla Guaye 2 et Lac de Guiers ont fait la fierté de tout en peuple ; au niveau du football, Papis Demba Cissé et Sadio Mané ont élevé haut les couleurs de la nation. En politique, les cadres ne se comptent pas au bout des doigts : Dembo Coly, Ibou Diallo, Assane Seck, Balla Moussa Daffé, Amadou Tidiane Bâ pour ne citer que ceux-là. Des cadres qui ont toujours rêvé de briser les tabous pour sortir Sédhiou de son marasme économique et social. Mais la vitrine se masque et résiste au développement, à la modernité. Quel miracle alors pour faire décoller le vieil avion cloué au sol depuis bien des décennies et dont l’amère odeur de la rouille infeste l’air ?
Paul Faye correspondant de Seneweb à Sédhiou
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