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Débauche, concurrence déloyale, saisonnalité, érosion côtière… : Ces maux qui plombent le tourisme

Auteur: Alassane DIALLO

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Officiellement, la saison touristique s’est ouverte hier. Cette année, les autorités veulent rendre attrayante la destination Sénégal afin d’atteindre le chiffre de 1,5 million de touristes par an. Néanmoins, l’atteinte de cet objectif reste menacée par des maux qui ont pour noms : insécurité, concurrence déloyale, emplois précaires, saisonnalité, érosion côtière, entre autres.

(Correspondance) - A chaque ouverture de saison, les acteurs du tourisme de la Petite côte nourrissent beaucoup d’espoir et retrouvent le sourire après quelques mois de disette due à la basse saison. Du fait que ce secteur constitue l’activité phare du département de Mbour, quand le tourisme va, tout va ! «Nous demandons à l’Etat d’être plus conséquent en nous permettant de rendre le tourisme plus compétitif. Faut-il le rappeler, ce secteur constitue le second pilier de l’économie nationale en termes de rentrée de devises. A côté des fortes ambitions de porter le nombre de touristes à 1,5 million et le nombre de lits à 50 mille, certaines lois et mesures politiques laissent croire que l’Etat cherche à tuer le tourisme plutôt que de le promouvoir. Il y a soit des non-dits ou un manque criard de volonté politique», s’insurge Doudou Ndiaye Kopa, Directeur de l’Office national du tourisme de Mbour. La promotion de la destination Sénégal a montré ses limites dans sa conception et son exécution. «La France émet 60 à 65 % de notre clientèle. Cependant, le Sénégal ne fait aucun effort pour attirer les autres marchés émetteurs alors que notre pays dispose de nombreux atouts. Il faut des bureaux d’informations touristiques dans les ambassades, les consulats, mais aussi mettre à profit les artistes, les sportifs sénégalais», suggère M. Ndiaye.

Conséquences néfastes de la saisonnalité

«La saisonnalité a laissé beaucoup de traces. A partir du mois de mai, les tours opérateurs disent aux touristes de ne pas se rendre au Sénégal parce qu’il y a le paludisme et autres. Durant la basse saison, les acteurs se tournent les pouces», confie un acteur. La sécurité des touristes et le choix des investisseurs restent de réelles préoccupations du côté de la station balnéaire de Saly. «Ce qui s’est passé récemment à Lamentin Beach est lamentable. L’Etat est interpellé ; il doit revoir le contrat des étrangers qui investissent dans le secteur hôtelier. On ne devrait pas accepter qu’on nous envoie des maçons, des personnes de moralité douteuse qui ruinent notre secteur», souligne le directeur de l’Office national du tourisme de Mbour. Pour M. Ndiaye, l’Etat doit assainir le secteur touristique en revoyant les contrats des investisseurs. Et pour y arriver, il préconise de mettre à profit la police touristique. «La police touristique doit être fonctionnelle dès l’ouverture de la saison. Cette police doit avoir la liberté d’entrer dans les hôtels, les auberges, les résidences pour voir ce qui s’y passe. Pour la bonne marche de la destination Sénégal, cet assainissement est fondamental», estime M. Ndiaye.

«Il y a du n’importe quoi à Saly»

Dans le même sillage, il note un laxisme dans le choix des investisseurs dans le secteur hôtelier. «On ne doit pas accepter d’être un pays où l’argent sale est blanchi à tort et à travers. Ce tourisme est trop fragile. Il faut le surveiller comme du lait sur le feu», martèle «Kopa». La station balnéaire de Saly semble perdue de sa superbe à cause des pratiques peu orthodoxes qui s’y déroulent. Les acteurs invitent l’Etat à venir inspecter, de manière approfondie, ce qui se passe désormais à Saly. «Ces dernières années, je n’ai pas reconnu ce qui se passe à Saly. Il y a du n’importe quoi à Saly. La concurrence est déloyale. Le tourisme sexuel, mais aussi le mariage mixte où des filles de quinze ans sont données en mariage à des étrangers de 80 ans, y fait rage», indique M. Ndiaye.

L’érosion côtière, ce fléau rampant

Dans sa course folle, la mer est en train d’engloutir la zone touristique. L’hôtel Téranga de Saly constitue un symbole de ce fléau que constitue l’érosion côtière. En effet, ce centre hôtelier, qui servait de tanière aux lions du football en 2000, est menacé par l’avancée de la mer. Cette avancée de la mer est en train de dévorer progressivement les plages et cela a pour conséquence la confiscation du bien-être des clients qui raffolaient de «ces havres de paix». «Nous attendons du gouvernement de Macky Sall une prise immédiate des dispositions idoines dans l’intérêt des travailleurs du secteur afin de limiter les dégâts collatéraux que cela pourrait engendrer», soulignait Mamadou Diouf, secrétaire général national du syndicat de l’hôtellerie, Restauration, Cafés et Bars, dans une interview qu’il nous avait accordée. Les artistes, eux aussi, se plaignent du manque de vision et de l’accueil peu attrayant du village artisanal de Mbour. Trouvé dans son atelier de sculpteur, Ndiouma Ndong n’a pas la mine des grands jours. Pour cause, ce trésorier du village artisanal de Mbour, peine à écouler ses produits. En partie, il impute la responsabilité de cette mévente à la politique d’assainissement défectueux sur les lieux. «Le village artisanal est devenu un dépotoir d’ordures. A cela s’ajoute les eaux usées qui ceinturent les lieux en période d’hivernage. Dans ces conditions, il est difficile de voir la visite des touristes», se plaint Ndong.

Même s’il reconnaît que récemment la municipalité a mené des actions visant à enlever les ordures, il estime qu’il faut mettre à la disposition du village artisanal des poubelles et l’aider à être moderne. De nombreux Mbourois ne sentent pas les retombées du tourisme dans leur quotidien alors qu’ils subissent les méfaits. Les jeunes qui travaillent dans les centres hôteliers dénoncent la précarité de leur emploi et les nombreuses injustices qu’ils y subissent. «Nous sommes traités comme des moins que rien. Les responsables de ces hôtels sont pires que des Négriers. Nous n’avons aucun droit et ceux qui osent élever la voix sont renvoyés sans ménagement», confie une employée. Récemment 66 employés de la Société d'aménagement des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco) ont été licenciés par le nouveau directeur, Paul Faye. Ces derniers avaient menacé de perturber l’ouverture de la saison touristique si on ne les réintègre pas dans la boîte. La Direction de la Sapco les avait qualifiés de journaliers dont les contrats étaient arrivés à terme. Ces menaces, qui pèsent sur le tourisme, ont toujours fait l’objet de discussion entre les autorités et les acteurs. Mais les solutions tardent à venir au grand dam de ce secteur. «Il nous faut un tourisme d’échanges et non un tourisme de consommation. Pour cela, il faut qu’on intègre la personnalité culturelle de l’Afrique dans notre tourisme. Nous sommes un pays de rythme et de culture. C’est pourquoi on ne peut dissocier le tourisme de la culture. De 2000 à 2011 on a eu dix ministres du tourisme. Ce n’est pas sérieux. Il faut au minimum 5 ans pour qu’un ministre du tourisme puisse imprimer sa vision», indique M. Ndiaye, expert en tourisme.

Le tourisme solidaire comme solution

Le Sénégal a échoué dans son tourisme de masse du fait que la dimension humaine n’a pas été prise en compte, selon des acteurs. Il faut faire preuve d’innovation et exploiter d’autres créneaux.  Ces acteurs veulent que le tourisme solidaire, plus connu au Sénégal sous le nom de tourisme rural intégré, étale ses tentacules sur tout le littoral. Ce concept entend placer l’être humain au centre du tourisme ; ce que négligeait le tourisme de masse. «Avec le tourisme solidaire, nous voulons valoriser la découverte des traditions, l’organisation sociale. Ainsi, les populations locales deviennent donc les premiers acteurs des voyages. Les Mbourois sont les mieux placés pour transmettre leur histoire, leur culture, leur savoir-faire de façon directe et naturelle», a expliqué Doudou Ndiaye Kopa, par ailleurs directeur d’une Agence réceptive de voyages solidaires «Soleil et Sourire du Sénégal». Certains touristes qui ont déjà vécu l’expérience du tourisme solidaire louent les mérites de ce concept. «Avant, lorsque je venais au Sénégal, je logeais à l’hôtel. Mais goûtant l’expérience de vivre chez l’habitant, j’ai pu mesurer l’intérêt du tourisme solidaire. Cela m’a permis de vivre une expérience humaine enrichissante», soutient un touriste qui a vécu l’expérience.

M. Ndiaye renseigne que son Agence propose aussi des voyages humanitaires à côté des voyages solidaires. En ce qui concerne les voyages humanitaires, «une place centrale est faite à la participation des touristes à l’amélioration du bien-être des populations». De ce fait, il est fréquent de voir des touristes, notamment, dans les structures hospitalières de Mbour où ils mettent leur savoir-faire au service du développement local.  Toutefois, le tourisme solidaire peine à prendre son envol dans la Petite Côte. Il souffre d’un déficit de structuration et de considération de la part des autorités locales. Mais les acteurs semblent déterminer à faire la promotion de ce concept «pour que les populations locales bénéficient directement des ressources générées par cette activité dans le respect de l’environnement et des coutumes». L’écotourisme peut aussi être un créneau porteur pour notre pays qui veut relancer sa destination. Plus que des mesures de circonstance, le secteur touristique a besoin d’une vision partagée par les acteurs.

Auteur: Alassane DIALLO
Publié le: Mardi 16 Octobre 2012

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