Le Sénégal, hub stratégique de l’influence chinoise en Afrique de l’Ouest
En 2020, les flux d’investissements directs étrangers chinois vers le Sénégal ont atteint un pic d’environ 213,4 millions de dollars américains. Entre 2000 et 2022, les prêts chinois au Sénégal se sont élevés à 3,6 milliards de dollars américains. L’engagement de la Chine au Sénégal est principalement axé sur le commerce et la construction d’infrastructures.
La Chine est un partenaire commercial majeur du Sénégal. En 2023, les exportations du Sénégal vers la Chine ont atteint [223,79 millions de dollars américains] et les importations en provenance de Chine se sont élevées à 1,29 milliard de dollars américains.
Cependant même si le volume des échanges commerciaux entre le Sénégal et la Chine est en hausse, il révèle des déséquilibres liés aux déficits commerciaux et à la composition des échanges commerciaux.
La Chine vise à accroître sa présence et son influence dans les secteurs culturels, en Afrique de l’Ouest, et notamment au Sénégal. Ce partenaire stratégique soutient ses intérêts fondamentaux. Outre sa quête d’influence afin d’affaiblir la présence des partenaires traditionnels du Sénégal, la Chine cherche à renforcer son partenariat politique, diplomatique, économique et sécuritaire avec ce pays.
En étudiant la présence chinoise au Sénégal au cours de ces 15 dernières années, j'ai constaté qu’en marge de l’économie, d’autres secteurs moins visibles mais tout aussi importants dans la politique étrangère chinoise intéressent les relations de Pékin avec Dakar, revêtant parfois un caractère régional.
Le Parti communiste chinois (PCC) a établi des relations avec des partis politiques au Sénégal, qui ont contribué à étendre l’influence politique de la Chine au Sénégal par le biais des idéologies politiques et de la gouvernance. Plusieurs partis politiques d’orientation communiste, principalement le Parti de l’indépendance et du travail (PIT) et la Ligue démocratique (LD), sont actifs au Sénégal.
La Chine compte sur le vote des pays africains dans les forums internationaux. Sur le continent africain, Pékin trouve des partenaires pour promouvoir son discours en faveur d’un « ordre mondial plus démocratique .». Au Sénégal, le PCC a établi des relations avec le parti politique au pouvoir ainsi qu’avec les partis d’opposition. Le PCC contribue à la formation des membres des partis politiques.
Cette stratégie vise à permettre à la Chine de nouer des relations avec tous les dirigeants de l'ensemble des partis (au pouvoir et d'opposition) susceptibles d'arriver au pouvoir. La Chine étend ainsi son influence et sa gouvernance à tous les partis.
En mars 2023, le PCC a invité des partis politiques pour la plupart des pays en développement à une conférence afin de diffuser sa gouvernance politique et économique. Les membres des partis politiques sénégalais, du pouvoir comme de l’opposition, ont participé à cet événement.
Bien que l’arrivée de Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) au pouvoir soit récente, des rapprochements entre les officiels du parti et ceux du PCC ont déjà été observés. Ils se manifestent à travers de nombreuses visites et rencontres tenues à Dakar et à Pékin, témoignant de convergences politiques et d’ambitions partagées.
Les récentes visites du 2 au 4 septembre 2024 du président Bassirou Diomaye Faye d’abord et de son Premier ministre Ousmane Sonko ensuite du 21 au 27 juin 2025 sur invitation de Pékin montrent l’intérêt et le pragmatisme de la politique étrangère du Sénégal vis-à-vis de la Chine.
Le Sénégal est considéré comme une plaque tournante médiatique pour le reste de l’Afrique occidentale francophone. Avec l’implantation de Radio Chine Internationale (RCI) au Sénégal, Pékin vise à donner une image positive de sa présence dans le pays et dans la région de l’Afrique occidentale, en influençant les opinions publiques locales à travers la diffusion de messages ou représentations médiatiques favorables au PCC.
Cependant, par le passé, l’établissement de la RCI au Sénégal s’est heurté à des défis politiques et socio-culturels dans l’espace médiatique sénégalais, marqué par une forte présence des médias français et par les liens entre les médias d’État et le PCC. RCI relève du département de la propagande du comité central du PCC, qui contrôle les médias et les télécommunications, applique la censure et recourt à la répression pour répondre aux dissidents. Le département de la propagande de Pékin a mis en place des médias d’État à portée mondiale afin de mettre en valeur la culture et le modèle chinois.
Les médias servent la politique étrangère et la diplomatie publique de Pékin, avec des récits variant selon les ambitions géopolitiques. En Afrique, plusieurs acteurs médiatiques poursuivent des intérêts différents mais alignés sur la stratégie du PCC.
Cette présence de plusieurs acteurs dans l’expansion médiatique de la Chine en Afrique soulève des interrogations sur la liberté de la presse et l’indépendance éditoriale des médias chinois. Elle questionne également celle des médias sénégalais, qui collaborent avec eux à travers des partenariats de publication de contenus, de formations et de fourniture de matériels et d’équipements.
L’expansion des médias chinois contraste avec la présence plus ancienne et fortement établie des médias occidentaux en Afrique en général et au Sénégal en particulier. Cette prédominance occidentale s’explique notamment par les liens historiques entretenus avec des pays comme la France, les États-Unis et le Royaume-Uni.
Alors que les médias d’État chinois en Afrique cherchent à bien raconter l’histoire de la Chine, à transmettre sa voix et à interpréter ses caractéristiques, les médias occidentaux adoptent une approche différente. Ils analysent notamment les défis et les problèmes posés par la présence de la Chine sur le continent.
L’influence politique et économique de la Chine au Sénégal est accompagnée par une influence médiatique qui permet de diffuser les narratifs chinois afin de changer les perceptions des populations sénégalaises quant à la présence chinoise. L’influence médiatique contribue aussi à exporter des pratiques liées à l’autocensure, contraires à la liberté de la presse, et à la liberte d’expression entre autres.
Même si l’environnement médiatique au Sénégal est en partie libre, l’autocensure existe parmi les médias locaux sénégalais lorsqu’il s’agit de couvrir des sujets controversés qui concernent la Chine (droits de l’homme, Taïwan, Hong Kong, Xinjiang, Tibet, entre autres).
Lors de sa visite au Sénégal en 2023, Zhao Leji, le président du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale chinoise, a déclaré que la Chine appréciait le soutien actif de Dakar à une série d’initiatives et d’idées majeures proposées par Xi Jinping. Il a également remercié le Sénégal pour son “soutien inestimable”sur la question de Taïwan et les questions liées aux droits de l’homme et au Xinjiang province autonome des Ouïghours, confrontés à une sévère répression de Pékin.
En complément du travail des médias, la culture joue un rôle non-négligeable dans l’influence chinoise à l’étranger. Visible au Sénégal, cet engagement culturel de la Chine n’est pas une exception dans la région.
La Chine développe sa diplomatie publique au Sénégal en soutenant les artistes et la coopération culturelle. Elle offre aussi des espaces culturels comme le grand théâtre national, le musée des civilisations noires et l’arène nationale
En outre, Pékin promeut sa culture auprès des artistes et des acteurs culturels sénégalais en finançant intégralement leurs voyages dans des villes chinoises pour visiter des sites et des monuments culturels. Une fois de retour au Sénégal, ces derniers racontent et dépeignent la culture chinoise à travers l’art. Ces voyages contribuent ainsi à donner une image positive de la Chine.
Au-delà de son influence politique et économique, l’influence culturelle par le biais de l’expansion culturelle figure en bonne place dans l’agenda de Pékin pour le Sénégal. À cet égard, l’exposition « La Chine vue par les artistes africains » s’est tenue à Dakar en 2023.
L’influence de la Chine au Sénégal passe comme nous l'avons vu, par les acteurs du gouvernement central de Pékin qui exercent une influence politique, économique, diplomatique et culturelle, en s'appuyant notamment sur le rôle des médias d’État chinois qui diffusent le discours chinois en s’engageant dans l’environnement médiatique sénégalais par le biais de financements et de formations. Les entreprises de télécommunications chinoises sont également présentes dans le domaine de l’information, où elles construisent des infrastructures numériques et proposent des technologies permettant de contrôler l’information.
Le gouvernement sénégalais s’aligne sur le pragmatisme de la politique étrangère chinoise pour assurer sa souveraineté économique et diversifier ses partenariats. Il compte sur la Chine pour soutenir la transformation économique du pays à travers l’industrialisation, la digitalisation, les infrastructures et la coopération stratégique.
Le Sénégal voit son engagement avec la Chine comme pragmatique et axé sur le développement. Il comporte toutefois des risques liés à la dépendance économique et aux tensions avec d’autres partenaires.
Tout en cherchant à diversifier ses partenariats et accélérer sa transformation économique, le renforcement de la coopération du Sénégal avec la Chine peut présenter des inconvénients non négligeables, notamment le risque de substituer une dépendance à une autre.
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