Les émeutes des 23 et 27 juin dernier, la recrudescence de la violence à Dakar avec plusieurs cas de meurtres, les saccages des lieux de culte sont autant de faits qui interpellent les forces de sécurité. Le commissaire central Harouna Sy s'est prêté à nos questions pour lever un coin du voile.
Quelles sont les attributions d'un commissaire central ?
L'appellation normale est Commissaire central, chef du service régional de sécurité publique. Il a une compétence sur toute l'étendue de la région, dans les zones de compétences de la police. Il a deux chapeaux. Celui de commissaire central qui supervise et coordonne l'ensemble des activités des services de police de sécurité publique de la région. C'est-à-dire, l'ensemble des 17 commissariats et postes de police de la région allant de Dakar à Bargny. Sans compter la Sûreté urbaine, la Compagnie de la circulation, le corps urbain, les sections et sous-sections. Il faut noter que la Sûreté urbaine est divisée en plusieurs démembrements. Il y a la 2e section qui s'occupe des mœurs et surveille les activités des bars, restaurants, hôtels. Il y a la section administrative, qui s'illustre dans les enquêtes administratives, pour satisfaire les demandeurs de la nationalité sénégalaise et autres enquêtes administratives liées aux associations... Il y a également la 4e section qui s'occupe des questions de transports, qui établit les licences de conducteurs de taxis et autres véhicules de transport public.
Le Sénégal a été secoué par des émeutes les 23 et 27 juin 2011. Comment la police les a gérées ?
Je voudrais avant tout lancer un appel aux organisateurs des manifestations, pour qu'à l'avenir, lorsqu'ils déroulent une manifestation de surcroît autorisée, qu'ils sachent d'abord que la police est là pour assurer leur protection, assurer la bonne tenue de leur manifestation. Je n'ai pas compris le comportement des manifestants le 23 juin devant l’Assemblée nationale. Ils ont fait preuve d'une violence inouïe contre les forces de l'ordre qui n'étaient là que pour que tout se passe bien. Les forces de l'ordre sont des gens armés, mais également des citoyens comme tout le monde, qui ont des droits et des devoirs. Je connais de grosse démocratie où les gens allaient utiliser leurs armes dans pareils cas. Toutes les conditions étaient réunies pour le faire, les armes à feu, nous les avions, mais nous ne les avons pas utilisées.
On a vu que les policiers étaient dépassés...
Nous avons bien préparé nos hommes dans l'optique d'une gestion intelligente de la manifestation. Ils ont été rassemblés la veille à partir de 4 heures du matin pour une séance de briefing très profond. Ils ont suivi à la lettre les consignes. Au finish, ils ont été héroïques, pour contenir l'ire des manifestants. Il y avait des milliers de personnes contre une centaine de policiers. Nous nous sommes sacrifiés, voilà le mot, et nous avons sauvé beaucoup de choses, au point qu'à un moment donné, nous étions au point de rupture, mais nous avons tenu bon. C'est le lieu pour moi de féliciter et rendre un vibrant hommage aussi bien à mes chefs qu'aux commandants qui étaient avec moi, avec une mention spéciale à l'endroit des éléments, les gardiens de la paix qui ont fait preuve d'une bravoure extraordinaire. Je sais qu'ils en ont payé de leur personne, parce qu'on n'a eu plusieurs blessés, 23 au total, malgré nos protections, dont le commandant du Gmi et moi-même.
Combien d'éléments avaient été réquisitionnés pour la gestion de ces émeutes ?
Les émeutes du 23 juin sont différentes de ceux du 27 juin, en ce sens qu'il s'agissait de voyous qui ont violé des femmes, brûlé des maisons et qui ont quasiment tout saccagé sur leur passage. Il y avait des foyers dans tout Dakar. Nous sommes intervenus à la limite de nos moyens pour contenir la situation et la République est restée intacte. J'en profite d'ailleurs pour rendre hommage à nos collègues gendarmes qui se sont battus à nos côtés, féliciter aussi nos collègues de l'Armée qui, même s'ils n'ont pas été sur le terrain, ont apporté un soutien moral.
On a l'impression qu'il n'y a pas un maillage sécuritaire suffisant de la police dans Dakar et sa banlieue...
Le maillage sécuritaire, il est bon. Il y a 17 commissariats et postes de police à Dakar, sans compter l'apport du Groupement mobile d'intervention (Gmi) qui est notre soutien essentiel, aussi bien en matière de maintien de l'ordre que pour la sécurité publique. Chaque commissariat est doté au minimum de deux véhicules, encore que certains, comme Rufisque, Guédiawaye, commissariat central, n'en ont plus. Prenez toutes les grandes villes d'Afrique qui ont la dimension de Dakar, je ne crois pas que ce soit le cas et la population peut en juger.
Et pour être honnête avec vous, je veux plus que ce que j'ai présentement. Mais pour analyser, il faut comparer, il faut des références. Par rapport aux pays environnants ou les grandes capitales de l’Afrique de l'Ouest, Dakar est une ville sûre. Même si je reconnais que l'on peut mieux faire. Nous travaillons dans ce sens. Vous constaterez que nous avons de moins en moins de meurtre. Maintenant, il y a des cas qui virent au drame, sans que la meilleure des polices du monde ne puisse faire quoi que ce soit. C'est le cas par exemple de dispute soudaine entre antagonistes. Vous courtisez ma nièce, je n'approuve pas, il y a bagarre, l'un est poignardé, il meurt, on n'y peut absolument rien. Mais trouver les citoyens dans leur lieu de travail, leur maison, sur la voie publique, s'attaquer à leur intégrité physique..., vous voyez que cela a nettement reculé.
Mais, on voit que des lieux de culte sont attaqués...
(Il observe un long silence et lance sur un ton plus posé). Je regrette ces attaques. Nous avons des fondamentaux dans cette République. C'est, entre autres, la liberté de culte, la liberté de presse, la liberté d'expression. Si vous vous attaquez à une de ces libertés, vous allez entraîner le pays dans une situation impossible et qui va payer ? Je demande aux individus de faire très attention, parce qu'il s'agit là d'une corde sensible. Il faut à tout prix éviter les expériences fâcheuses vécues par certains peuples qui ont commis cette erreur.
Tant que ces églises respectent la loi, il faut les laisser exprimer leur foi. Si vous êtes musulman et que vous ne voulez pas fréquenter leurs églises, personne ne peut vous y contraindre. Ce qui fait que je ne comprends pas encore cette tendance de la violence que les jeunes sont en train d'emprunter.
A la suite de ces actes, nous sommes intervenus. Nous avons mis en place un dispositif qui nous a permis d'arrêter et faire punir tontes les personnes impliquées dans ces faits. Beaucoup parmi les personnes qui ont été incriminées dans les récents faits de vols, viols, saccages ont été arrêtées et elles dorment actuellement à la prison centrale de Rebeuss. Nous poursuivons nos enquêtes.
Lors des émeutes des 23 et 27 juin, il se dit que la police était à court de lacrymogènes ?
On ne peut pas se permettre d'être à court de lacrymogènes. Comment d'ailleurs une République peut se permettre de connaître une rupture de lacrymogènes ? Ce serait trop léger. Savez-vous que s'il n'y a plus de lacrymogènes, c’est l’usage des armes ?
Justement, selon certaines indiscrétions, la police a fait usage de balles réelles pour contenir les manifestants.
Ce n'est pas vrai. Tout au contraire. Qu'il s'agisse des ténors de l'opposition, des acteurs de la société civile ou du pouvoir, à commencer par le président de la République et mes supérieurs hiérarchiques, mes chefs, tous ont magnifié l’action de la police. Je n'ai jamais entendu parler d'un seul coup de feu tiré par la police, encore qu'on pouvait le faire. Je vous dis que toutes les conditions permettant de faire usage des armes à feu étaient réunies.
Quand est-ce que la police peut faire usage d'armes à feu ?
Il s'agit d'une vieille loi, mais de façon ramassée, la loi souligne qu'il faudrait qu'on soit en position de légitime défense. À ce niveau, vous avez vu le grand nombre de manifestants armés, la détermination et la nature de la violence qu’on nous a fait subir. Ensuite, nous étions à un certain moment dans une situation telle que nous n'étions presque plus en mesure de défendre les installations et les points qu'on nous a confiés. La loi dit aussi que lorsque l'on vous confie la garde de personnes et que vous n'êtes en mesure de les assurer que par l'usage des armes, on vous autorise à en user. Mais cette situation, nous ne l'avons pas connue fort heureusement. Et sachez que nous étions à un point où toutes les dispositions prévues par la loi pour faire usage des armes étaient réunies.
SOURCE : L’OBS Abdoulaye DIÉDHIOU
Auteur: Lobservateur via Xibar
Publié le: Mardi 12 Juillet 2011
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