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[ PHOTOS ] DAARA KHITMATOUL KHADIM RASSOUL DE KEUR MASSAR : Un havre pour gangsters repentis

Auteur: Ndèye Awa LO

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L’adage dit que «seuls les imbéciles ne changent pas». Des agresseurs de renom qui descendaient avec un butin de 300 mille francs par jour. Des disciples de Bacchus ou des adeptes du yamba qui ne pouvaient pas rester un jour sans tirer sur un joint: Ce sont eux que le petit-fils de Thierno Biram Mbacké de Darou Mousty, Serigne Aidara Mbacké, a réussi à mettre sur le droit chemin. Regroupés dans son daara sis à L’Unité 3 des Parcelles Assainies de Keur Massar, ces ex-gangsters sont devenus de fervents musulmans, voire des érudits en l'Islam puisqu'ils sont tous devenus jewrin et gèrent des écoles coraniques à travers le pays. Dans l'intimité des brigands repentis.

Son installation avait suscité beaucoup de polémiques en avril 2008. Trois ans après, le daara khitmatoul Khadim Rassoul (maison du fondateur du mouridisme) de l'Unité 3 des Parcelles Assainies de Keur Massar fait partie du décor de ce quartier. S'étendant sur 13.413 m2, ce bail que le président Wade a accordé au petit-fils de Thierno Birame Mbacké n'avait pas plus aux populations de la cité qui voulaient en faire un stade municipal et qui, étaient prêts en à découdre avec le marabout.

[ PHOTOS ] DAARA KHITMATOUL KHADIM RASSOUL DE KEUR MASSAR : Un havre pour gangsters repentis

Vendredi soir. Il est 22h 30. C'est la pénombre à l'entrée principale de Keur Massar où les véhicules peinent à circuler à cause des travaux inachevés. Une route presque impraticable mène à la station. Ici, il suffit juste de demander : «Keur baylalyi (la demeure des baye fall) », pour être conduit. «Prenez la gauche et filez tout droit; vous entendrez des zikrs juste à côté de chez Yékini», indique une dame, la trentaine révolue. À quelques jets de pierres du daara, le son des chants renseignent le visiteur. Une jeune femme, foulard attaché à la taille, les mains accrochées à l'oreille donne le ton. À ses côtés, ses camarades assurent les chœurs. Plus loin, des hommes forment un cercle et s'adonnent à leurs zikrs. Des tentes sont aménagées sous forme de dortoirs. Un puits est implanté derrière un bâtiment. On dirait un village puisque le décor renvoie à la campagne. Ce sont les hommes qui cuisinent. Et les restes des mets du coin sont aussi les bienvenues. «Venez vous régaler c'est du riz au poisson doublé de dakhine», nous lance-t-on. À l'intérieur, séjourne le patron des lieux. Drapé d'un ensemble Bazin trois pièces, Serigne Aïdara Mbacké, assis sur un matelas, palabre avec ses disciples. Ils sont une centaine de jeunes dont la plupart demeure des gangsters repentis. Il suffit de croiser le regard de certains pour se rendre compte qu'ils ont été de fervents disciples de Bacchus. Soit leur visage est balafré ou, ils ont les yeux détériorés par la fumée du chanvre. D'ailleurs, on a parfois la peine à adresser la parole à certains d'entre eux du fait de leur accoutrement. «C'est un baye fall, il ne vous fera pas mal», rassure l'accompagnateur du jour qui venait de nous présenter un rastaman muni d'un gourdin. 

Sans complexe, ces anciens bandits déroulent le film de leur vie. Sous le regard de celui qui leur a fait changer de chemin. Taille moyenne, notre guide Moussa Mbaye trouve du plaisir à nous expliquer son parcours. A l'entame de son propos, l'ex-célèbre disc-jockey de Guédiawaye remercie son marabout qu'il a rencontré à Saint ¬Louis en 1999. Il se souvient : «Je l'ai vu pour la première un soir de Ramadan. J’étais ivre-mort. mais, sa spiritualité m'a beaucoup marquée. Je passais mes nuits dans les boîtes de nuit et les bars.» À 35 ans, Mbaye qui fumait tous les jours du chanvre indien pour pouvoir vaquer à ses activités accepte de jeter un regard sur le rétroviseur. Voix nostalgique, il confie : «Depuis le jour où Moukaramou (surnom du marabout) m'a remis quelque chose, je ne supporte plus l'odeur de la cigarette. Alors que je ne pouvais rester un jour sans fumer du yamba. Je me suis marié à deux épouses et je suis père de 3 enfants.» 

Dans la cour s'étendant à perte de vue, des clôtures faites à base de paille et des sacs remplis de sable sont installés. Quelques lampes torches y sont disposées. Par groupes, les talibés forment un cercle. Assis à côté d'une jeune femme, Aladji Malick Ndiaye savoure sa lune de miel. L’ancien soldat qui a abandonné la grande muette pour servir son marabout vient de se faire passer la bague au doigt. Son mariage date de quelques jours. Fils d'une ancienne autorité, Dji man de son surnom a épousé sa bien-aimée malgré le refus de la famille de celle-ci. Sourire aux lèvres, il ne s'empêche pas de donner une bise à sa chérie de temps à autre. Au cours de l'entretien, c'est Mme Ndiaye qui vient souvent à sa rescousse pour le rappeler à l'ordre. Histoire de ne pas voir son mari dérailler. «je suis avec Serigne Aidara depuis 2005. J'ai réussi le concours de la police, mais j'ai refusé de partir. Préférant rester avec lui. Dieu a fait qu'il m'a changé et m'a donné la femme de ma vie.» 

Ancien récupérateur d'ordures communément appelé «boudioumane », Fallou Ngom jure de ne plus voler grâce à son marabout qui le lui a interdit. Ce qui l'émeut. De même que Cheikh Ridial Lô qui était un cleptomane hors-pair. «Quand je pense à ce que cette créature a fait pour me guérir... Je ne pense plus cambrioler encore moins me droguer. Tout cela grâce à cette homme qui m’a montré la lumière. Mon dernier vol était une radiocassette que j'avais liquidée pour un joint. Je suis devenu fervent musulman avec 3 épouses.» 

MME NDIAYE, INFIRMIERE « C'est moi qui ai demandé la main de mon mari au marabout » 

Aux côtés de son chéri, Mme Ndiaye est aux petits soins. Collante, elle ne laisse pas son conjoint respirer. Joli minois, châle mal posé laissant apparaître ses longs cheveux, cette infirmière qui sert dans un grand hôpital de la place s'est liée pour le meilleur et le pire à un «poisseux baye fall» qui faisait rigoler ses collègues. Elle raconte : «Lors d'un magal de Da rou Mousty, son oreille lui faisait mal. Il est venu à l'infirmerie et m’y a trouvée. Je lui ai prescrite une seringue à 100 francs. Il m'a fait comprendre qu'il n'avait pas d'argent. Dans un premier temps, je me suis mise à me moquer de lui. Il m'a alors expliqué sa mission.» «Dans un second temps, poursuit la nouvelle mariée, j'ai commencé à a voir de la compassion pour lui. Je lui ai remis de l'argent. A son retour, je l'ai soigné. Avant de partir, il m'a laissé son contact. De retour à Dakar, je pensais à lui. Un jour, je lui ai téléphoné, il m'a dit que je hantais son sommeil. Le coup de foudre s'est installé.» Lorsque cette infirmière a fait part à ses parents de son rêve de convoler en secondes noces avec ce «chômeur à la merci d'un marabout», ils lui ont dit niet. En dépit de ce véto, la jeune femme demandera à Serigne Aïdara de lui accorder la main de son disciple. Ce qu'il fera en présence d'un imam. 

MOMAR FALL, FILS DE LA CHANTEUSE FATOU MBAYE DJALI « J’agressais et je rentrais avec 300 mille francs par jour » 

Agé de 33 ans, Momar Fall ne peut pas parler de Serigne Aïdara sans verser de chaudes larmes. Son guide a changé sa vie. Agresseur notoire, celui que les brigands de Guédiawaye avaient surnommé «Vito» est devenu un autre homme. Borom bar, c'est le sobriquet qu'on lui a trouvé au daara. Il demeure parmi les plus célèbres du fait de son humour. Fils de la chanteuse Fatou Mbaye Djali de Thiès, ne croit toujours pas à sa conversion, Pourtant, c'est par hasard qu'il a fait la rencontre de son sauveur. «Un jour explique Vito, vers 6h du mat; j'ai croisé des talibés devant un bar. Ivre mort ils me taquinaient. Comme ils étaient avec une fille que j'aimais, ils m'ont demandé de venir avec eux, demander sa main au guide. De manière spontanée, je les ai suivis.» 

[ PHOTOS ] DAARA KHITMATOUL KHADIM RASSOUL DE KEUR MASSAR : Un havre pour gangsters repentis

La rencontre a eu lieu le 24 décembre 2010. À son arrivée, Vito était éméché comme un Polonais. Dès qu'il a franchi le seuil de la chambre du marabout, il s'est endormi pour se réveiller le lendemain. «Comme les filles m'ont tendu un piège, j'étais obligé de trouver une solution. Lorsque je me suis réveillé, j'ai demandé où est-ce que j'étais. J'étais un invétéré agresseur Dieu m'avait donné un don en vol. J'étais connu pour cela à Guédiawaye.» 

Parlant de ses anciens exploits, Vito souligne : «Lors des foires, j'avais comme un pavillon, il m'arrivait de descendre avec 300 mille francs la journée. De manière intelligente, je trouais les poches des visiteurs. Je passais mes week-ends à Saly dans des hôtels huppés avec des belles de nuit. Et le tout avec l'argent de mes vols. Je détenais toutes les stratégies d'arnaque. J'ai volé pour la dernière fois, une moto que j'ai revendu à vil prix. Seulement; je ne violentais pas mes victimes.» 

D'ailleurs, à cause de son mode de vie, Vito avait été abandonné par sa femme. Ils se sont retrouvés au daara où on les a remariés. 

CHEIKH OMAR MBAYE, JEWRIN AU DAARA DE THIES «Je ne pouvais pas rester un jour sans fumer du yamba » 

[ PHOTOS ] DAARA KHITMATOUL KHADIM RASSOUL DE KEUR MASSAR : Un havre pour gangsters repentis

Avec sa barbe et sa mine majestueuse, on ne peut imaginer que Cheikh Omar Mbaye, rebaptisé Seydina Omar, fut un bandit de grand chemin. Ancien rabatteur de car rapide, cet homme ne pouvait pas rester des heures sans fumer du chanvre indien. D'ailleurs, lorsqu'il était sur la paille, il fallait qu'on lui attache la tête pour éviter qu'il pique une crise. Racontant son histoire, Al Faruq (surnom de Seydina Omar compagnon du Prophète Mouhamed « Psl» voulant dire celui qui sait faire la différence entre le bien et le mal) soutient : «Mon histoire avec le marabout est divine. Mon grand frère Moussa Mbaye nous a présentés. Il me mettait ses cassettes pour essayer en vain de me convaincre de revenir à la raison. Jusqu'au jour où j'ai cédé. Il m'a ainsi guéri de la drogue.» 

PLUS LOIN AVEC...SERIGNE AIDARA MBACKE « Je les ai tous trouvés ivres » 

Serigne Aïdara Mbacké n'est décidément, pas un marabout comme les autres. Dans cet entretien, il explique comment il fait pour «recycler» de grands bandits qui aujourd'hui composent son daara. 

Walf Grand-Place : Pouvez-vous nous expliquer comment avez-vous fait pour changer la vie de ces anciens bandits ? 

Serigne Aïdara Mbacké : je suis fils de l'ex-député libéral Serigne Dame Faty Mbacké de Darou Mouhty. je suis né en 1976. Lorsque mon papa est décédé en 1993, j'ai décidé de créer un daara pour perpétuer son legs. J'avais commencé par Ngoumba Nguépul. J'avais déjà appris le Coran à l'école de Serigne Mourtala Mbacké. Après ma formation, j'ai opté à participer au changement de comportements des marginaux. A ce jour, j’ai plusieurs daaras à Ngoumba Nguéoul, Keur Massar, Guédiawaye, Thiès, Keur Mbaye Fall, Sam Guédiawaye... Je précise que mon père m'a confié des secrets en soufisme. Ici, c'est un internat. D'ailleurs, ils surveillent le quartier. Parce qu'ils ont récemment appréhendé un agresseur. 

[ PHOTOS ] DAARA KHITMATOUL KHADIM RASSOUL DE KEUR MASSAR : Un havre pour gangsters repentis

On rencontre ici d'anciens agresseurs, drogués... 

On retrouve des drogués, alcooliques et agresseurs. Mais par la grâce de Dieu, ils se sont tous reconvertis. Moussa Mbaye était un Dj alcoolique. Maintenant, il ne fume plus. Borom Bax avait été abandonné par sa femme à cause de sa conduite. Les exemples sont nombreux. 

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés quant il s'agit d'un malade ivre ? 

À chacun son système de guérison. Il peut arriver qu'on dise des sourates pour donner à boire à certains. Par exemple, Moussa Kalamou a été celui qui m'a le plus fatigué. C'était dans les filaos de Guédiawaye. Il m’a versé du sable et craché dessus. Il m'a trouvé dans les filaos de Guédiawaye où il m’arrive de m’installer pour recenser des brigands. Moussa m'a trouvé sur place et m'a demandé de l'eau à boire. Comme il était soul, je lui ai dit qu'un alcoolique ne pouvait utiliser mon eau. Il m a rabroué en rétorquant : «Je ne te cause pas, je parle avec celui qui se trouve à tes côtés». Il a insisté, je lui offert à boire. Il a commencé à me dire : «Je suis un missionnaire, grand bandit sans cicatrice… ». J'ai tenté de le faire revenir à la raison. Il a pleuré et s'est endormi. Quelques heures après, il s'est réveillé. Je l'ai emmené chez moi. Il était devenu un autre. 

Ils sont ma famille. Les noms de Dieu sont plus forts que tout. Ils sont unis, ne se battent même pas alors qu'ils sont tous d'anciens détenus. Vous avez vu Amdy Keïta qu'on appel Rou (âme). Il souffrait de problèmes de reins. Mais, Dieu merci, il est devenu manœuvre dans des chantiers. 

Auteur: Ndèye Awa LO
Publié le: Lundi 14 Novembre 2011

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