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Sénégal. Un pays qui ne déteste pas les femmes ?

Auteur: Ndèye Fatou KANE

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Sénégal. Un pays qui ne déteste pas les femmes ?

Les violences sexistes et sexuelles se banalisent-elles au pays de la Teranga ? En effaçant le mot « Femme » du ministère qui lui était consacré, en laissant ses députés insulter des citoyennes à la télévision, le gouvernement actuel envoie un signal négatif et fait plus que douter de « l’amour » que leur porterait le pays.

Lors du symposium-hommage à la chercheuse en sociologie et féministe sénégalaise Fatou Sow1, organisé en mai à Dakar par la Fondation de l’innovation pour la démocratie, avec comme titre « La démocratie au féminin », la professeure Fatou Sow a prononcé une leçon inaugurale magistrale intitulée « Sexe, genre et démocratie : des leçons pour les Africaines ? ». Il s’agissait d’historiciser les luttes féministes africaines sous le double prisme du sexe et du genre. Une partie de cette leçon a aussi porté sur le corps des femmes africaines : « Pourquoi tant de violence à l’égard des femmes

À qui appartient le corps des femmes ? »

Cette interrogation, chargée de tout son poids politique, renvoie au contexte de violences envers les femmes au Sénégal. En effet, depuis janvier 2024, 196 cas de viols et de meurtres de femmes ont été commis. Le 31 mai, des organisations féminines et féministes ont organisé un sit-in2 pour dénoncer ces violences et exiger une prise en considération de la problématique par les pouvoirs publics. Ces violences, qui, dans la plupart des cas, aboutissent à des meurtres, ont poussé plusieurs centaines de femmes, toutes de noir vêtues, à se réunir et à protester. Un mémorandum, envoyé à la fin du rassemblement, a consigné toutes les exigences, dont l’une des plus urgentes demeure la révision du Code de la famille3 ainsi que l’application d’une loi spécifique contre les féminicides.

Outre les voix – somme toute bien audibles – des féministes, il est urgent aujourd’hui de se saisir de façon ciblée et efficiente du problème de société que constituent les féminicides au Sénégal. Même si les féministes militent contre ce phénomène avec tous les moyens dont elles disposent, ces violences envers les femmes ne devraient pas être une préoccupation uniquement… féministe, mais de la société dans son entièreté.

Des « cœurs » plutôt qu’une indignation profonde

Dans la une de son édition du 7 août4, le quotidien L’Observateur relatait une affaire de cambriolage ayant entraîné un viol. Lors du casse de la villa de l’architecte béninoise Lydia Assani, les malfrats, en plus de dérober le coffre-fort, ont violé sa fille âgée de 28 ans. Ce énième viol, en plus de susciter colère et indignation, notamment sur les réseaux sociaux, vitrine de nos existences, nous fait nous poser la question suivante : ce pays qu’est le Sénégal aime-t-il les femmes ? L’un des lieux communs les plus tenaces dans la psyché collective sénégalaise, c’est l’amour (charnel, filial, sororal, et même religieux) porté aux femmes.

D’un point de vue exogène, on s’accorde à dire que les femmes sénégalaises sont aimées. Ce qui crée une certaine contradiction entre le « tone policing5 », ou « police du ton », et la manière absolument taboue dont on veut discuter de la problématique des violences sexuelles.

Que l’on soit féministe ou non, à chaque fois que le sujet des féminicides ou un autre type de violence (physique ou psychique) est abordé, l’amour est brandi pour censurer les propos et atténuer l’indignation. Mais le problème demeure et la violence s’accroît. En atteste la série de vidéos faite par l’actrice Halima Gadji, où elle dénonce clairement les abus sexuels dont elle a été victime. Mettant ces accusations sur le compte de la dépression dont elle souffre depuis quelques années, la plupart des personnes ayant assisté en ligne à ses confidences ont détourné le regard et préféré envoyer des « cœurs » plutôt qu’une indignation profonde. Voilà le Sénégal d’aujourd’hui…

Les femmes considérées comme des subalternes

Le Sénégal, ce pays où une femme est tuée parce que le repas n’a pas été préparé, ce pays où une femme ne peut pas avorter de manière médicalisée en cas de viol ou d’inceste malgré la ratification du Protocole de Maputo6 (qui garantit le droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction des femmes), ce pays où, quand on s’insurge contre le faible pourcentage de femmes dans les instances de décision, on nous appose l’argument de « la compétence »... Ce pays n’aime pas les femmes.

En juin 2023, à la suite au verdict du procès de Adji Sarr contre Ousmane Sonko, nous, membres du Réseau des féministes du Sénégal, avions écrit une tribune nous indignant de ce verdict arbitraire, car l’accusation de « viol » avait été requalifiée en « corruption de la jeunesse ». Car il nous a semblé inconcevable qu’au moment où le Sénégal se glorifie de l’exception démocratique qui a émaillé sa trajectoire politique, installant chaque régime de façon pacifique, les femmes soient toujours à la traîne, traitées comme des subalternes, leur corps servant à assouvir les pulsions masculines, leurs préoccupations jamais prises en compte.

Aujourd’hui, une misogynie d’État, portée aussi bien par les hommes que par les quelques femmes qui travaillent avec eux, s’est installée à la tête du Sénégal. Car il est utile de noter que les maigres acquis en matière de droits des femmes que le Sénégal a eus – grâce à l’action conjointe des associations féminines et féministes – sont en train de voler en éclats, en raison de l’inaction des autorités face aux violences perpétrées sur les femmes, de la montée en puissance du masculinisme sur toutes les plateformes médiatiques mais aussi à cause de la banalisation des violences sexistes et sexuelles, dont le traitement médiatique est plus que problématique.

À la télévision, Adji Sarr est traitée de « prostituée »

Pour rappel, en janvier 2020, la loi 2020-057, portant aux rangs de crimes le viol et la pédophilie, a été promulguée, fruits de plusieurs années de plaidoyer de nombreuses activistes, chercheuses et personnalités officielles. En 2023, le procès opposant Adji Sarr à Ousmane Sonko avait été l’occasion de l’appliquer, mais que nenni. En août, les affaires de viols continuent de faire les gros titres de la presse, sans aucune autre réaction que des indignations de façade. À titre d’exemple, toutes les fois où l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko est mentionnée, comme ce fut le cas en juillet entre le chroniqueur Badara Gadiaga et le député de la majorité Amadou Bâ sur le plateau de Télé Futurs Médias8, la jeune femme est traitée de « prostituée ». L’échange houleux qui a suivi dans l’émission, et surtout l’épilogue judiciaire, à savoir l’arrestation de l’animateur (toujours en détention provisoire), sont une fois de plus la preuve de la violence institutionnelle contre les femmes.

Les féministes sénégalaises, avec toute la charge qu’elles portent sur leurs épaules, sont quasi les seules qui réagissent et pointent du doigt le climat de banalisation des violences sexistes et sexuelles dans lequel est plongé le Sénégal. Cette quasi-communauté légale fait un travail de veille qui aurait normalement dû être celui du ministère de la Famille et des Solidarités, qui, rappelons-le, s’appelait auparavant ministère de la Femme, de la Famille et du Genre. Cette disparition des mentions « Femme » et « Genre », au profit de la « Famille », a inauguré l’effacement systémique des femmes sénégalaises de l’espace public. Cette décision, largement partagée par les soutiens du régime en place, a installé des lendemains plus qu’incertains pour les droits des femmes au Sénégal. En les effaçant des sphères de décision, en les violant et en les tuant dans la plus grande impunité, seuls demeurent les savoirs féministes disruptifs pour contrecarrer cette violence.

Tant que l’on ne créera pas au Sénégal un cadre sociopolitique et légal pour prendre en considération cette cause d’intérêt national que constituent les violences faites aux femmes, tant que l’on continuera d’étouffer les voix discordantes qui s’élèvent pour protester, tant que l’on ne sortira pas de l’effet spectateur pour enfin diffuser les responsabilités, les féminicides continueront d’être une réalité dans ce pays. Et que l’on ne vienne pas nous parler d’amour et de bienveillance, car comment croire sinon que ce pays ne déteste pas les femmes ?

Auteur: Ndèye Fatou KANE
Publié le: Mardi 09 Septembre 2025

Commentaires (6)

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    Senegalais il y a 1 jour

    Les se fichent du féminisme,cette idéologie importée avec son indignation sélective.
    Au Sénégal,on ne s indigne pas selon que la victime ou le bourreau est une femme.
    On s en fiche de cette opposition homme-femme venue d occident et portée par des pétasses oisives qui ne lorgnent que des Droits des Avantages ,l argent et la facilité.

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    L'homme fort il y a 1 jour

    Delire et hysterie d'une menopausée en. lal d'afection, un bon mari avec un solide kourou baye Fall la fera rentree dans les rangs

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    Ndeye genre Kane il y a 1 jour

    "s’appelait auparavant ministère de la Femme, de la Famille et du Genre. Cette disparition des mentions « Femme » et « Genre », au profit de la « Famille », a inauguré l’effacement systémique des femmes sénégalaises de l’espace public." A cette époque les Hommes criaient aussi à leur éffacement systémique de l'espace public et reclamaient leur droit. Les chevres ont fait pareil , les moutons , les vaches , les poulets bref...
    Nous evoluons dans des FAMILLES Madame genre Kane. Ceux qui veulent etre "genré" les portes de "Genreland "sont grandement ouvertes attention à vos dérriéres un conseil et surtout pas de cerceuil pour etre enterrés içi aprés. « Le Diable est pour vous un ennemi. Prenez-le donc pour ennemi. Il ne fait qu’appeler ses partisans pour qu’ils soient des gens de la Fournaise » (Coran 35/6).

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    porozet il y a 1 jour

    Guenons................derrière un balai

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    Ndar-Ndar il y a 1 jour

    Ma très chère, Personne n’est plus féministe que moi qui du matin au soir porte en bandoulière le combat des femmes. J’ai connu l’arène politique mais après avoir observé les défis auxquels mes sœurs sont confrontées, souvent toisées et marginalisées, j’ai choisi d’y mettre un terme pour mieux défendre leurs intérêts et rester objective dans ce noble combat. Il est évident qu’aucune nation ne peut se développer en laissant une partie importante de sa population exclue des politiques et des programmes. Il y a quelques années une question brûlante de notre combat a été teintée de politique et j’ai préféré ne pas m’y prononcer faute de visibilité suffisante et je pense que c’est le cas de toutes les féministes. Je reconnais cependant que les femmes doivent être valorisées au niveau décisionnel. Méritantes, compétentes et diplômées, elles brillent dans tous les secteurs et doivent être promues. L’Etat a aussi le devoir de veiller à la sécurité de sa population, en particulier des femmes qui deviennent le maillon faible sous le poids des violences alors qu’elles constituent la majorité électorale.
    Cependant, arborer une casquette politique pour se poser en défenseure des femmes risque de brouiller nos objectifs et de biaiser notre lutte. Notre combat n’appartient à aucun parti et il transcende les clivages. Certes vous avez raison, les violences sexistes et sexuelles ne doivent pas être banalisées pour mille et une raisons. Mais ma sœur je vous conseille de faire comme moi et de rester en dehors de la scène partisane afin de garder une voix claire, ferme et indépendante. La voix d’une féministe convaincue ne défend que les femmes et leur droit légitime à l’égalité, à la sécurité et au respect.
    Respectueusement ma sœur de combat

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    Homme il y a 1 jour

    Madame dites-nous ou dans son texte elle a était partisane ? Elle n'a fait que rappeler des faits connu de tous et donner son avis , chose que vous avez fait tout au long de votre long texte , et en la jugeant à la fin.
    Ziarrr

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