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Et si Aliou Sall était innocent de ce dont on l’accuse ? (Par Mamadou Oumar NDIAYE)

Auteur: Mamadou Oumar NDIAYE (Le Témoin)

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Au lendemain de la seconde Alternance, les nouvelles autorités, vêtues de probité candide et de lin blanc, discours rédempteur aux lèvres, avaient entrepris une opération mains propres destinée à traquer les biens supposés mal acquis sous le régime du président Abdoulaye Wade. Le bon peuple, de très larges secteurs de l’opinion ainsi que la quasi-totalité de la presse nationale avaient applaudi cette gigantesque entreprise de nettoiement des écuries d’Augias de l’ancien régime. C’est tout juste si  ces gens ne criaient pas « au poteau ! » et « à mort ces pourris ! ».

En particulier, tout le monde réclamait l’arrestation de Karim Wade, présenté comme le symbole de la malgouvernance du régime de son père, et dont on considérait par conséquent qu’il devait expier ses crimes économiques et payer pour tous les « voleurs » de la première Alternance. Des chiffres invraisemblables avaient été avancés alors et présentés comme représentant le montant du butin qu’il aurait détourné. Des  centaines — voire des milliers ! — de milliards que l’on se jurait de rapatrier au Sénégal afin d’en faire profiter le bon peuple.

L’arrestation de Karim Wade devenait donc un impératif national, une œuvre de salubrité publique. Chevalier Bayard sans peur et sans reproche, le président Macky Sall, poussé en cela par une ministre de la Justice, Mme Aminata dite Mimi Touré, aux allures de Jeanne la Pucelle d’Orléans, se jurait de faire rendre gorge à tous les ripoux.

A l’époque, ramant presque seul à contre-courant, je n’avais eu de cesse d’écrire pour dire que l’arrestation de Karim Wade serait une grossière erreur. D’abord parce que Abdoulaye Wade, pour tout ce qu’il avait fait pour ce pays, ne méritait pas de voir son fils envoyé en prison. Ensuite, parce qu’il n’était pas évident que Karim ait détourné tous les milliards qu’il était accusé d’avoir pris. Qu’il serait bien injuste de l’emprisonner lui-seul alors que des dizaines de coquins et de flibustiers s’étaient enrichis à milliards sous le régime de son père sans avoir été inquiétés par le nouveau pouvoir. Pour cause, la plupart d’entre eux avaient tourné casaque et transhumé dès le 25 mars 2012 au soir !

Plus fondamentalement, je n’ai eu de cesse de dire que si on devait jeter en prison tous les hommes politiques de ce pays qui se sont enrichis au contact du pouvoir, il n’en resterait presque personne en liberté. En effet, au Sénégal comme partout ailleurs sur le continent, et même dans le monde, le plus sûr moyen de s’enrichir c’est d’exercer des fonctions étatiques. De Senghor à Macky Sall en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, la plupart des milliardaires qui se sont créés ont exercé des fonctions étatiques. Par conséquent, d’aucuns seraient malvenus d’embastiller d’autres au nom d’une prétendue lutte contre la corruption. Non seulement j’ai mis en garde contre une arrestation de Karim Wade, mais encore je n’ai eu de cesse de dénoncer son emprisonnement comme étant injuste et de réclamer sa libération tout au long des plus de trois ans qu’a duré son emprisonnement.

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

Tout ce rappel pour dire que, n’ayant pas participé à la curée anti-Karim, je suis parfaitement à l’aise, aujourd’hui, pour refuser de prendre part à une autre curée, pour ne pas dire l’hallali contre Aliou Sall. Pas plus que l’ex-ministre « du Ciel et de la Terre » n’a mérité ce qui lui est arrivé, le frère de l’actuel président de la République est victime d’un bien mauvais procès, à mon avis. Car au fond, que lui reproche-t-on ? De travailler pour le compte d’une société pétrolière qui a eu la main heureuse — pour ne pas dire le nez creux — en découvrant du gaz en quantité  si prodigieuse qu’elle dépasse les  imaginations les plus folles. Cette société, Pétrotim limited, a créé, pour satisfaire une exigence du Code des pétroles du Sénégal, une boîte aux lettres locale à l’enseigne de « Pétrotim Sénégal » dont Aliou Sall a été nommé directeur général en même temps qu’il en était le mandataire.

Comme « Jeune Afrique » l’a raconté, il a connu Frank Timis, l’homme de confiance du milliardaire chinois Wong Joon Kwang, par le biais de l’architecte Pierre Goudiaby Atépa. Aliou était à l’époque conseiller économique de l’ambassade du Sénégal en Chine. Le Chinois avait déjà acquis ses blocs  de recherche sous Wade  même si, pour cause d’Alternance, c’est finalement sous Macky Sall que le décret d’attribution a été signé. Cherchant quelqu’un pour diriger son bureau de Dakar, c’est tout naturellement que Goudiaby lui a demandé de prendre Aliou Sall. Dieu faisant bien les choses, deux années plus tard, Pétrotim découvre du gaz au Sénégal. La quantité dépassant ses espérances et n’ayant pas les moyens technologiques d’exploiter une si grande quantité, on  conseille à Timis de céderdes parts à la compagnie américaine Kosmos Energy.

En 2014, ce sont les grandes manœuvres. Au niveau international, Timis corporation rachète Pétrotim Limited. Et au niveau national, Timis corporation, détenteur des permis des deux blocs pétroliers Saint-Louis offshore profond et Cayar offshore profond, cède 60 % de ses parts à Kosmos Energy qui s’engage en contrepartie à investir 200 milliards de francs dans l’exploration. En même temps, elle supportera 60 % des dépenses à consentir dans le futur, Frank Timis supportant 30 %. Petrosen n’ayant pas les moyens, les deux compagnies vont financer les dépenses à sa place, et se rembourseront lorsque la production commencera. Aliou Sall dans tout cela ?

Lorsque Kosmos a racheté Petrotim, et appliquant la législation américaine sur les personnes politiquement exposées, elle n’a pas souhaité travailler avec lui. Il se serait donc retrouvé en chômage si Frank Timis ne lui avait pas proposé un contrat pour s’occuper de ses affaires africaines en dehors du Sénégal. Au fond, le reproche que l’on fait à Aliou Sall, c’est d’être le frère… de son frère de président. Lequel, après son accession au pouvoir, lui a proposé à trois reprises des postes avant de se rétracter : ambassadeur à Paris, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Apix. Lorsque Aliou est venu lui dire qu’il avait trouvé un contrat dans le privé, il lui avait répondu : « tu ne sais pas quelle épine tu m’enlèves du pied ! Ça m’aurait gêné de te nommer par décret… »

De même, politiquement, c’est connu, lorsqu’Aliou s’est lancé à la conquête de la mairie de Guédiawaye ainsi qu’à celle de la présidence de l’AMS, il a mis son frère devant le fait accompli. C’est comme la fable du vieillard, son fils et l’âne. Si le président Macky Sall avait nommé son frère par décret, on aurait crié au népotisme. S’il avait essayé de l’imposer politiquement, on aurait hurlé au favoritisme voire à une OPA de la famille Sall sur l’APR. Et maintenant qu’Aliou Sall travaille dans une société pétrolière, on dénonce un « délit d’initié » et on menace de le traduire devant les tribunaux !

Le problème de celui que « Jeune Afrique » a surnommé « Monsieur Frère », c’est d’avoir travaillé pour une  compagnie qui a eu la chance de découvrir du gaz. Les recherches de Pétrotim auraient été infructueuses,  nul n’y aurait trouvé à redire. Du gaz ayant été découvert, on s’écrie, horrifié : « Mais c’est bien sûr ! C’est un délit d’initié. Macky ayant travaillé à Pétrosen savait que du gaz et du pétrole allaient être découverts. Il a donc positionné son frère en amont ». Sauf que,  tout le monde sait que c’est sous Wade que Timis a acquis ses blocs.

Et puis, pensez-vous que si, de science certaine, avant l’accession du président Macky Sall au pouvoir, on savait que du pétrole et du gaz en si grande quantité auraient été découverts, les majors, qui ne prennent pas de risques dans les pays sans antécédents pétroliers comme le Sénégal, auraient laissé des « juniors », somme toute, comme Pétrotim et Kosmos, mettre la main sur les blocs Saint-Louis offshore profond et Cayar offshore profond ? Plutôt que de ferrailler actuellement pour éjecter ces dernières qui ont touché le jackpot, elles se seraient assurément précipitées pour acheter à prix d’or ces blocs. Et Wade n’aurait certainement pas pu les leur refuser. La vérité, c’est que si Petrotim a pu acheter ces blocs, c’est parce que personne — et certainement pas Macky Sall — ne croyait à la possibilité de découvrir du pétrole et du gaz au Sénégal.

Enfonçant le clou, nos chevaliers blancs nous disent qu’Aliou Sall, au lieu d’être un simple actionnaire de Petrotim Sénégal, en serait un actionnaire. Sans pouvoir en administrer la preuve ! Car, celle-ci est une société anonyme unipersonnelle qui n’a qu’un seul actionnaire et c’est une personne morale : Pétrotim Limited !

Quant à Frank Timis, on nous dit qu’il ne serait rien d’autre qu’un « aventurier ». Fort bien ! Mais un aventurier qui va changer la destinée du Sénégal en ce que le gaz que sa compagnie a découvert va, sans exagérer, propulser le Sénégal au niveau de richesse de l’Arabie saoudite ou des Emirats Arabes Unis. Car les gens ne peuvent même pas imaginer l’ampleur des réserves découvertes au large de nos côtes. Tout cela, grâce à Frank Timis et, surtout, au Chinois Wong Jung Kwang.

Singulier destin que celui de ce Frank Timis qui, enfant en Roumanie, a vu son père abattu par balles sous ses propres yeux et a fui à pied jusqu’en Italie où il a effectué de petits boulots avant de gagner l’Australie où il travaillait comme ouvrier dans les mines, chargé de creuser les tranchées. C’est là qu’il a pris son destin en main et s’est lancé dans l’exploration minière. Cet « aventurier » dont on semble se gausser a mis en valeur le fer sierra-léonais et y a construit un chemin de fer de 200 kilomètres. En quelques années, il a doublé le Pib de ce petit pays anglophone. Il a été sollicité par les chefs d’Etat de Côte d’Ivoire, du Niger et du Burkina pour construire la « boucle du Niger », un chemin de fer reliant ces trois pays avant d’être éjecté au profit de Vincent Bolloré. Alors, cet homme, un aventurier ?

Vivement alors qu’on ait seulement cinq « aventuriers » de ce type dans notre pays !

Auteur: Mamadou Oumar NDIAYE (Le Témoin)
Publié le: Jeudi 06 Octobre 2016

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