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Mànkoo, Wattù, Benno, Joyyanti, Yessal… : Pourquoi le wolof a la cote

Auteur: Youssoupha MINE

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Pourquoi les partis, coalitions et mouvements politiques engagés dans ces législatives choisissent des noms wolofs ? Amour de la langue de Kocc ? Souci d'être au plus près du peuple ? Simple marketing politique, voire de la pure démagogie ? Seneweb a mené l'enquête.

Sur les 47 listes présentées pour les législatives de ce dimanche, 28 ont donné des appellations wolofs à leurs coalitions, partis et mouvements. On peut citer, entre autres, Mànkoo Taxawu Senegaal, Mànkoo Yeesal Senegaal, Mànkoo Wattù Senegaal, Leeral, Senegaal ca Kanam, Suxali Senegaal, Joyyanti, Saxal liggeey, Wattù Senegaal, Benno Bokk Yaakaar. Le procédé est une tendance forte du champ politique ces dernières années, mais il est vieux de plus de 40 ans.

Mamadou Diop Decroix signale que, pour avoir créé "And jëf xarebi" en 1973, lui et ses compagnons de lutte figurent parmi les pionniers de cette forme de consommer local. Il bombe le torse : "Si on cherchait ceux qui ont été à l'origine de ça, nous en ferions partie. Si nous ne sommes pas les précurseurs, nous sommes parmi eux. Nous sommes toujours dans cette logique d'utilisation de nos langues nationales pour nommer nos partis politiques et nos coalitions."

"Depuis Senghor…"

Decroix estime que cette "irruption des langues nationales dans le paysage politique" peut se comprendre. Il explique : "Depuis Senghor, agrégé de grammaire française, en passant par Lamine Gueye, et tout le monde jusqu'à présent, quand on s'adresse aux populations pendant les campagnes électorales, on le fait dans leur langues maternelles. Donc, ce n'est pas surprenant dans ces conditions que les coalitions essayent de trouver des noms assez percutants dans les langues nationales, en particulier dans le wolof. Maintenant si Mànkoo et Taxawu reviennent souvent ? C'est parce que, surtout pour l'opposition, c'est la notion d'unité qui imprègne tout ça. Au niveau du pouvoir on dit Benno."

Mayoro Faye du Pds, membre de la Commission communication de la "Coalition gagnante Wattù Senegaal" ne dit pas autre chose. "Ce sont des cris de guerre que les coalitions utilisent et qui sont facilement identifiables et qui permettent, quand même, à toute coalition de se sentir imprégnées des réalités socioculturelles de notre pays", décrypte-t-il.

Me El Hadj Diouf, leader de la coalition Leraal, a une autre explication. "Nous nous adressons à un électorat qui est composé d'une majorité d'analphabètes. Alors, créer une coalition, lui donner un nom français me semble inadapté, tranche-t-il. A travers Leraal, notre coalition, nous voulons montrer qu'on veut la transparence. Leraal c'est la transparence."

Pour le député Thierno Bokoum, du parti Rewmi, le plus "important ce n'est pas la langue du mot choisi, mais la signification". Il dit : "Nous avons choisi 'Rewmi' qui fait référence au pays. Concernant notre coalition, Mànkoo Taxawu Senegaal, 'Mànkoo' est un nom qui renvoie à une nécessité de se mettre ensemble. 'Taxawu', c'est être au chevet du Sénégal. Donc, 'Mànkoo Taxawu', c'est se mettre ensemble pour être au chevet du Sénégal. Parce que le Sénégal est malade."

Moussa Diakhaté, porte-parole du parti Bokk Gis Gis de Pape Diop, membre de la coalition Wattù enfonce le clou sur la situation du Sénégal en décortiquant le nom de la liste dont la tête de liste nationale est l'ancien Président Abdoulaye Wade. Il théorise : "Wattù, c'est celui qui surveille. Avant Wattù, on aurait dû faire du Wallu (secourir). Wattù parce que nous sentons des dérives et constatons des manquements."

Décalage

Poète, homme de lettres et écrivain, Dr Massamba Guèye est d'avis que "la 'wolofisation' des noms des coalitions obéit à un seul but : toucher les électeurs. Parce qu'on sait que le wolof est, au Sénégal, la langue la plus parlée, la plus accessible".

Malheureusement, déplore-t-il, les parts, coalitions et mouvements qui choisissent des noms en langues nationales, ne vont pas au bout de leur logique : "Les acteurs politiques choisissent le français pour faire leur manifeste et leur déclaration, et quand il s'agit maintenant de toucher l'électeur, ils vont vers la langue wolof. Quand ils communiquent, le long de l'année, ils parlent dans 90% des cas en français et lorsqu'il s'agit de campagne, leurs coalitions portent des noms wolofs. Et ils cherchent chacun à parler aux paysans, à parler à ceux qui sont au fin fond du pays."

Pour atteindre leurs cibles, les partis, coalitions et mouvements n'hésitent pas à se rapprocher au plus près des populations. "Ils cherchent donc, un mot que les wolofs utilisent dans les associations, dans les regroupements mais surtout dans le mouvement navétane. C'est exactement les mêmes noms que ceux des équipes de navétanes- Mànkoo, Mbolo, And…- et les mêmes concepts.  Maintenant, au-delà de l'amour de la langue wolof, je pense qu'il y a vraiment une fonction utilitaire de ces noms-là qui cherchent à toucher et à parler au peuple."

Il donne l'exemple de la coalition d'Abdoul Mbaye et Cie : "'Joyyanti' veut dire redresser. Mais, c'est un mot qu'on ne trouve particulièrement que dans les villages, là où il y a des palissades. Cela peut vouloir aussi dire que l'économie du pays n'est pas bien et qu'ils viennent seulement pour redresser. Donc, Joyyanti, c'est l'action qu'on va faire. Maintenant tout ce qui est Mànkoo, And, Bolo, c'est l'intention de regroupement. Donc, il y a des noms qui expliquent l'intention de se regrouper. Il y a des noms qui expriment l'action qu'on va faire."

Membre de Joyyanti, Iba Niang acquiesce : "Le terme n'est pas galvaudé, il est synonyme de 'jubanti', qui veut dire 'redressement'."

Historien chargé de cours à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Pr Lamane Mbaye se réjouit de cette tendance. "L'usage de mots wolof comme noms de coalitions est une excellence chose, s'enflamme-t-il. C'est quand même un retour à des valeurs authentiques comme par exemple le ''boolo'', le ''leeral''. C'est un retour vers le Sénégal des profondeurs. Parce que, tant qu'on avait des noms collés à la linguistique française, cela ne mobilisait pas. Mais le fait de prendre des mots vraiment wolof cela permet quand même de fédérer."

Marketing politique

Le sociologue Djiby Diakhaté est moins emballé. Il soupçonne de la démagogie dans le choix du wolof pour nommer les coalitions, partis et mouvements politiques. Il détaille : "Ces organisations politiques utilisent des noms locaux qui, des fois, renvoient à des valeurs connues dans nos communautés. Ce sont les valeurs de solidarité, de partage, d'accompagnement. Ce sont ''Mànkoo'', ''Taxawu''. On les utilise plus dans le cadre d'un marketing politique que véritablement dans une volonté réelle de prise en charge des préoccupations des populations."

Pour étayer son propos, démontrer que les préoccupations des populations ne sont pas la priorité des leaders des entités politiques en question, Djiby Diakhaté martèle : "Si c'était le cas, on n'aurait pas 47 listes, premièrement. Deuxièmement, on n'aurait pas assisté à l'éclatement de grandes coalitions sur la base de tactiques politiques. Troisièmement, si c'était vraiment le cas, les noms des coalitions ou des organisations, partiraient des populations elles-mêmes et non pas des leaders qui ont créé ces organisations. Cela veut dire donc qu'il n'y a pas d'encrage communautaire réel."

D'autant que, souligne le sociologue, "les populations sont de plus en plus disposées à déchiffrer ces types de marketing politiques. Et elles attendent vraiment, non pas que l'on prenne en charge leurs préoccupations, mais qu'on participe avec elles, à la définition des tâches, des outils, des ressources et des acteurs".

Autre bémol : l'orthographe des noms. "Il  y en a qui ne font pas l'effort pour écrire correctement le nom de ces coalitions et c'est là où j'ai un problème, s'étrangle Pr Massamba Mbaye. Parce que quelqu'un qui est susceptible de donner un nom wolof à sa coalition, s'il ne fait pas l'effort de l'écrire correctement pour moi, il ne me touche pas directement."

Auteur: Youssoupha MINE
Publié le: Samedi 29 Juillet 2017

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