Mamadou Cissokho était dimanche à «Point de vue», émission qu’anime avec bonheur Omar Gningue à la Rts. Le président du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr), la première plateforme paysanne du Sénégal, a saisi l’occasion pour interroger la politique agricole du Sénégal de 1960 à nos jours. Et soulever les questions essentielles qui interpellent en premier lieu le président de la république Macky Sall, en charge de définir la politique agricole du Sénégal. Elles ont nom : partenariat Etat / Organisations de producteurs, inexistence de politique agricole, Loi d’orientation agro - sylvo - pastorale (Loasp), réforme foncière, souveraineté alimentaire, rôle et responsabilité des acteurs du développement pour « faire avancer le pays ».
L’imam des paysans sénégalais, indécrottable chantre de la concertation, jette un regard lucide sur 50 ans de malaise paysan. Au début était la circulaire 32 du président Mamadou Dia mettant en place les coopératives agricoles qui ont favorisé l’émergence d’organisations de producteurs autonomes et crédibles ; les terribles années de sécheresse, le désert qui avance impitoyablement, la crise du pétrole et l’Ajustement structurel mère de la Nouvelle politique agricole (NPA) de sinistre mémoire ; la fin de la diète imposée par les institutions de Bretton Woods, l’émergence du Cncr en 1993, les premières rencontres Banque mondiale, Etat du Sénégal et OP en 1994 qui donneront naissance au Programme de soutien à l’agriculture et aux organisations de producteurs (Psaop) ; l’éclaircie de la fin des années 90, marquée par l’audience solennelle accordée par le président Abdou Diouf aux producteurs en 1997. Des mesures fortes furent lors prises : taux d’intérêt de 12,5% à 7, 5 %, phosphatage de fonds, détaxe du matériel, moratoire de cinq ans pour le paiement de la dette paysanne. Mais le plus important dans cette période fut sans conteste l’instauration de concertations régulières Etat-Op. Le président de la république recevait le Cncr une fois l’an, en audience solennelle, le Premier ministre une fois par trimestre et le ministre de l’Agriculture une fois par semaine. Evidemment les résultats ont suivi, 1997 pouvant même être considéré comme l’An I de la relance de l’agriculture sénégalaise. Par la grâce de la sacro-sainte concertation que commandent la bonne gouvernance agricole et le bon sens paysan. Ce printemps du partenariat Eta /Op durera jusqu’en 2002, le Cncr, l’Etat et divers acteurs de la société civile travaillant durant cette période, la main dans la main, à l’élaboration de la Loi d’Orientation agro - sylvo - pastorale. Elle sera votée et promulguée en 2004. Restée sans décrets d’application, elle sera mise sous le boisseau. La Loasp ne rencontrait pas la Vision du président Wade, déclinée en Programmes spéciaux, Plan Reva et autres Goana. La vision d’une agriculture à base de capitaux intensifs, globalement tournée vers les exportations. C’était la porte ouverte à l’accaparement des terres, au primat de l’agro-business sur l’agriculture familiale que défend Mamadou Cissokho. Le temps du fermier moderne et des agropoles était venu. Le temps du projet éthanol. Exit le paysan pauvre s’échinant sur un lopin de terre qui ne lui appartient pas.
Ces diverses approches ne pouvaient venir à bout du malaise paysan. Elles se menaient sans concertation avec les producteurs - comme si les décideurs savaient mieux qu’eux ce qui était bon pour eux. Dans cette affaire, l’Etat ignore manifestement son rôle et ses responsabilités. Et il n’est pas seul, explique Cissokho. Hier comme aujourd’hui …
Mamadou Cissokho ne se berce pas d’illusion : il n’y jamais eu de politique agricole, rien que des Programmes. Le régime de la seconde alternance inquiète à raison l’imam des paysans sénégalais. Mamadou Cissokho et le siens ne savent pas où va le président Sall. «Centre agro-business», ils connaissent pas. Pour ce qui est de l’arachide, il invite à la prudence et à l’anticipation. L’arachide vendue à 250 francs le kilogramme ne doit pas faire oublier l’équation de la relance de la filière et les fluctuations du marché
Mamadou Cissokho souhaite que le président Sall dise ce qu’il va faire de la Loasp, comment il voit la réforme foncière, la souveraineté alimentaire. Il ne veut pas qu’on ressasse les lignes consacrées à l’agriculture dans «Yonnu Yokkute», maîtrise de l’eau, sécurisation foncière et autres mécanisation.
Mamadou Cissokho invite le chef de l’Etat à ouvrir le dialogue avec les Op. Le début du commencement, le préalable. Il veut y croire, malgré les agissements des fonctionnaires du président qui ne veulent pas du Cncr. En vérité, les producteurs sénégalais ont raison de s’inquiéter : la politique du président Sall en direction du monde rural n’est pas celle qu’ils souhaitent.
Les tracteurs, les centres agro-business, la commission de réforme foncière dont on ne sait rien, les fermes modernes avec leurs jeunes citadins diplômés et chômeurs, fortement appuyés par l’Etat, les programmes spéciaux, le président Wade est revisité. Le président Sall qui boucle la première année de son «quinquennat agricole» ne daigne pas recevoir les OP et le Cncr. Le Palais de la république serait-il interdit aux paysans ? Le Premier ministre, conférez sa Déclaration de politique générale, est très favorable à la cession de terres aux privés qui veulent investir au Sénégal.
Les producteurs ne veulent pas qu’on accapare les terres qui les font vivre et doivent faire vivre leurs enfants et petits enfants. Eux s’inscrivent dans la durée. Ils veulent des droits réels sur les terres qu’ils exploitent. Ils veulent que les jeunes ruraux soient soutenus, simple question d’équité. Ces paysans se battent pour la souveraineté alimentaire. Produire ce qu’ils mangent et manger ce qu’ils produisent, pour gagner « la bataille du ventre », la plus importante de toutes.
Pour conclure, le constat est le suivant : l’imam des paysans sénégalais ne parle pas la même langue que le président de la république du Sénégal. L’échec par conséquent est annoncé.
Souleymane Ndiaye
Lesenegalais.net
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