Face à la répression, la fronde numérique de la diaspora togolaise
Face au "silence et à la peur" générés par la répression des manifestations au Togo, des artistes et activistes de la diaspora mènent depuis l'étranger une fronde numérique, pour éviter que le mouvement de mécontentement réclamant le départ du président Faure Gnassingbé ne s'essouffle.
Ces derniers mois, la jeunesse togolaise a fait entendre sa colère dans les rues pour protester contre l'arrestation de voix critiques, la hausse du prix de l'électricité et surtout la nouvelle Constitution qui permet à Faure Gnassingbé, à la tête de l'Etat depuis 2005, de s'y maintenir sans limite de mandats.
Violemment réprimés, ces rares rassemblements interdits par les autorités répondaient déjà à des appels à la "désobéissance citoyenne" lancés sur TikTok et Facebook par le "M66", ou "Mouvement du 6 juin", date anniversaire du président et premier jour des mobilisations.
Ce mouvement né à l'étranger, lancé par quatre personnes, est désormais soutenu par une centaine d'influenceurs, blogueurs, ou encore musiciens de la diaspora togolaise.
Parmi eux, le chanteur aux centaines de milliers de followers Zaga Bambo dénonce sur ses réseaux la "manipulation de la jeunesse togolaise" par les dirigeants, déplore l'absence d'investissement dans l'éducation et relaie des prises de parole de "mamans fatiguées par la gouvernance" de Faure Gnassingbé.
Le but ? "Prendre la parole pour les autres, étant donné qu'au Togo, ce sont le silence et la peur qui règnent", explique à l'AFP Solim Kolani, chargée de communication de l'organisation.
La mobilisation sur place est en effet freinée par une forte répression du gouvernement, qui a fait au moins sept morts et des "dizaines" de blessés au mois de juin. De nombreuses arrestations continuent d'avoir lieu, comme récemment celles du célèbre rappeur Aamron - depuis remis en liberté sous contrôle judiciaire - ou de l'ex-ministre des Armées Marguerite Gnakadè, actuellement placée sous mandat de dépôt.
Le "M66", qui se définit comme une "organisation citoyenne" sans affiliation politique et "engagée en faveur de la démocratie, de la justice sociale et du progrès", en est encore à ses débuts.
Elle entend porter la voix du mouvement sur la scène internationale, grâce à des figures togolaises expatriées ou en exil, via une campagne énergique sur les réseaux sociaux.
Le groupe s'attelle aussi dans l'ombre à structurer la contestation, en créant des canaux de diffusion plus sûrs, afin que les Togolais puissent s'organiser sur le terrain.
Par le passé, "WhatsApp était la plateforme la plus prisée, mais depuis que le régime a utilisé" en 2017 et 2018 le logiciel espion israélien "Pegasus pour arrêter des gens, nous déconseillons son utilisation", explique Farida Bemba Nabourema, l'une des figures de la contestation qui se revendique sans chef.
Désormais, la diaspora communique avec le peuple togolais "à 80% via TikTok", estime-t-elle.
Prochaine étape: se préparer "à l'éventualité que le régime coupe complètement l'accès à l'Internet", ajoute Mme Nabourema. Comment ? En incitant "à utiliser Bitchat", une messagerie accessible par Bluetooth.
Cette mobilisation 2.0 rencontre un certain écho auprès d’une jeunesse majoritaire (60% des Togolais ont moins de 25 ans), alors que le taux de pauvreté atteint 43% et la part des emplois informels est écrasante. Fin août, près de 600 personnes se sont rassemblées à Paris suite à un appel du "M66", a constaté l’AFP.
Signe que ce mouvement aussi insaisissable que populaire inquiète le gouvernement togolais, celui-ci a annoncé le 9 juillet avoir émis des mandats d'arrêt internationaux à l'encontre de ses membres installés en France, au Canada et aux Etats-Unis.
Ils sont accusés notamment "d'appels à la haine, à l’insurrection et au meurtre", a affirmé à l'AFP le ministre togolais des Droits de l’Homme Pacôme Yawovi Adjourouvi, fustigeant une "tentative de fabrication d'une pseudo-crise" via les réseaux sociaux pour "déstabiliser le Togo".
Les dirigeants togolais contre-attaquent eux aussi sur le terrain numérique, explique Farida Bemba Nabourema, notamment en "créant une cellule spéciale" et "achetant des bots dans des pays arabes ou asiatiques". Elle-même voit régulièrement son compte Facebook inondé de messages de menace.
"Ils ont aussi énormément investi auprès d'influenceurs d'autres pays africains pour donner une autre image de Faure Gnassingbé sur la toile", ajoute-t-elle, comme selon elle avec l'ivoirienne "LESLY QUEEN 5ETOIL", suivie par plus de 250.000 personnes sur TikTok.
Dans des vidéos où elle se décrit comme "la fille de papa Faure", elle vante le "développement au Togo" et fait l'éloge de son dirigeant. Contactée par l'AFP, elle n'avait pas réagi à la date de publication de cet article.
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