Alors que le Mali a accueilli le 19 juillet 2025 un forum panafricain majeur sur les réparations liées à la colonisation, l’écho de cette rencontre résonne avec force au Sénégal, pays marqué lui aussi par une histoire coloniale douloureuse, notamment par des événements tragiques comme le massacre de Thiaroye en 1944.
Ce forum, organisé par Youri Communication et Africable Télévision, sous le thème « Crimes coloniaux : l’heure des compensations a sonné », s’inscrit dans la dynamique continentale lancée par l’Union africaine, qui a désigné 2025 comme « l’année des réparations ». À Bamako, juristes, économistes, députés et intellectuels ont plaidé pour des mesures concrètes face aux séquelles historiques du colonialisme : restitution de biens culturels, indemnisations financières, réparations symboliques, mais surtout reconnaissance officielle des crimes commis.
Le Sénégal aussi concerné
Pour le Sénégal, l’enjeu est loin d’être abstrait. Le pays reste profondément marqué par l’affaire de Thiaroye, où plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais démobilisés furent tués par l’armée française après avoir revendiqué leur solde. Cet épisode, longtemps occulté ou minimisé, incarne la violence systémique du colonialisme et suscite aujourd’hui une demande croissante de vérité, de reconnaissance et de réparation.
À Dakar aussi, la question des réparations s’invite dans le débat public. Des historiens, militants panafricains, et descendants des tirailleurs sénégalais réclament que la France reconnaisse pleinement ses responsabilités, au-delà des gestes symboliques. La mémoire de Thiaroye n’est pas simplement une page sombre : elle est un point de départ pour exiger justice et réparation, au même titre que les autres crimes coloniaux dénoncés à Bamako.
Leçons du Forum de Bamako
Lors du forum malien, plusieurs experts ont livré des interventions particulièrement pertinentes pour l’Afrique de l’Ouest. L’économiste Fousseynou Ouattara a exhibé des données accablantes sur le pillage massif de l’or africain durant la colonisation : « plus de 4 800 tonnes d’or dans les coffres français, dont deux tiers viendraient d’Afrique, et plus de 2 000 tonnes conservées au Royaume-Uni ».
« Ils ne les ont pas payées, ils les ont roulées », a-t-il martelé, appelant à la restitution immédiate des ressources spoliées et à la création d’un comité panafricain d’évaluation des pertes.
De son côté, Mohamed Ousmane Ag Mohamedoun Haïdara, spécialiste des relations internationales, a souligné que les réparations ne sont possibles que dans le cadre d’une souveraineté politique réelle. Il a insisté sur la nécessité pour les pays africains de poser des conditions claires aux anciennes puissances coloniales, notamment la reconnaissance officielle des crimes comme préalable à toute négociation.
Une dynamique régionale à amplifier
Youssouf Z. Coulibaly, expert malien en droit public, a proposé une feuille de route précise pour encadrer les revendications africaines : collaboration interétatique, création d’un comité juridique panafricain, recours aux textes internationaux et révision du droit international pour inclure les crimes coloniaux comme crimes imprescriptibles.
Par ailleurs, des experts comme Modibo Sako et Assana Seye ont souligné la nécessité de renforcer les institutions judiciaires africaines, notamment la Cour africaine des droits de l’homme, afin qu’elles puissent instruire des affaires de réparation liées aux crimes coloniaux. Ils ont également pointé l’échec de la Cour pénale internationale, jugée inefficace et partiale.
Le temps du réveil panafricain
Dans ce contexte, il est temps pour le Sénégal de s’impliquer pleinement dans cette lutte pour la justice postcoloniale. L'initiative panafricaine lancée à Bamako pourrait être reprise dans d'autres capitales du continent, et Dakar a toutes les raisons d'être l'une d'entre elles.
Que ce soit pour honorer la mémoire des tirailleurs de Thiaroye, pour revendiquer les biens culturels volés, ou pour exiger réparation économique, le Sénégal est concerné au premier chef. Les travaux du forum de Bamako ne sont pas une affaire malienne : ils sont un signal fort pour toute l’Afrique, et notamment pour les nations qui, comme le Sénégal, n’ont pas oublié leur passé ni renoncé à leur dignité.
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