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CRISE POLITIQUE EN FRANCE : QUELLES LECONS POUR L’AFRIQUE FRANCOPHONE ? (Par François Mame Samba NDIAYE)

Auteur: François Mame Samba NDIAYE

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CRISE POLITIQUE EN FRANCE : QUELLES LECONS POUR L’AFRIQUE FRANCOPHONE ? (Par François Mame Samba NDIAYE)

La scène politique française connaît depuis plusieurs mois un bouleversement inédit. Réélu en 2022 mais privé d’une majorité stable à l’Assemblée nationale en 2024, le chef de l’État se trouve confronté à une crise institutionnelle majeure. Entre blocage politique, menace de dissolution, tensions sociales et incertitudes économiques, la France, longtemps perçue comme une vitrine démocratique et un modèle institutionnel éprouvé, semble aujourd’hui s’effondrer sous le poids de ses propres déséquilibres.

Ce tremblement politique, au-delà de ses répercussions internes, interroge bien au-delà des frontières hexagonales. Car la France n’est pas seulement un acteur central de l’Europe : elle demeure aussi, toutes proportions gardées, pour une grande partie de l’Afrique francophone, un référent historique, institutionnel et symbolique. Le malaise politique qu’elle traverse agit ainsi comme un miroir révélateur des fragilités partagées et des limites d’un modèle souvent reproduit sans adaptation suffisante aux réalités locales.

Dès lors, quelles leçons les pays africains peuvent-ils en tirer pour repenser la solidité de leurs institutions, la responsabilité politique de leurs dirigeants et la vitalité de leur démocratie ?

I. Le miroir français : leçons et vulnérabilités des constitutions africaines francophones

Les constitutions de nombreux pays africains francophones — Sénégal, Côte d’Ivoire, Niger, Togo, Burkina Faso, Cameroun, pour n’en citer que quelques-uns — s’inspirent largement de la Constitution française de 1958. On y retrouve la même architecture : un président puissant, un gouvernement nommé par l’exécutif, et un parlement souvent cantonné à un rôle de validation plutôt que de contrôle effectif.

Cependant, contrairement à la France où la société civile, la presse et certaines institutions jouent un rôle de contrepoids, cet équilibre demeure souvent théorique en Afrique. La concentration du pouvoir exécutif, la faiblesse des partis politiques, l’absence d’une culture parlementaire solide et la fragilité de l’indépendance des institutions judiciaires rendent nos démocraties particulièrement vulnérables à la personnalisation du pouvoir.

Cette vulnérabilité se traduit par des tensions récurrentes autour des mandats présidentiels, des révisions constitutionnelles opportunistes et des crises politiques périodiques. La situation en France, marquée par un président confronté à un parlement éclaté, nous rappelle que même un modèle réputé stable peut vaciller. Pour l’Afrique francophone, cela constitue un avertissement : copier un modèle constitutionnel ne suffit pas ; il faut également investir dans des contrepoids institutionnels, une société civile active et une culture politique solide, afin de prévenir la dérive autoritaire et de garantir la stabilité démocratique.

II. Le cas du Sénégal : un modèle en observation

Le Sénégal, longtemps considéré comme une exception démocratique en Afrique de l’Ouest, demeure un laboratoire politique attentivement observé dans la sous-région. Son histoire constitutionnelle, ponctuée d’ajustements et de réformes successives, traduit une recherche constante d’équilibre entre efficacité du pouvoir exécutif et respect des principes démocratiques. Les débats récents autour du rôle du Président et du Premier ministre illustrent bien cette dynamique.

Sous Macky Sall, la suppression puis la restauration du poste de Premier ministre avaient mis en lumière les tensions inhérentes à un régime semi-présidentiel hérité du modèle français. La suppression en 2019 visait à “rationaliser l’action gouvernementale”, mais elle avait aussi renforcé la concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l’État.

Le retour du poste de Premier ministre en 2022, confirmé et consolidé sous le tandem Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko, marque un rééquilibrage significatif du pouvoir exécutif.

Le récent réaménagement gouvernemental confère au Premier ministre une autonomie plus affirmée dans la conduite de la politique nationale, dans la coordination de l’action gouvernementale et dans le dialogue avec les forces sociales. Cette évolution, si elle se poursuit dans la pratique, pourrait atténuer la personnalisation du pouvoir, longtemps perçue comme un trait structurel du système politique sénégalais.

Cependant, ce renforcement du rôle du Premier ministre n’efface pas les défis : il suppose une cohabitation politique harmonieuse entre deux figures de forte légitimité — le Président et le chef du gouvernement —, ainsi qu’une clarification durable des périmètres de responsabilité. L’histoire politique du Sénégal montre que l’équilibre institutionnel reste fragile s’il ne s’appuie pas sur une culture politique partagée du respect mutuel des compétences.

En cela, le Sénégal offre un cas d’école : une démocratie expérimentale, en quête de maturité institutionnelle, où les textes évoluent au rythme de la société politique. Le nouveau binôme au pouvoir incarne peut-être, l’amorce d’un modèle africain plus collégial, moins présidentialiste, et potentiellement plus résilient face aux crises d’autorité.

III. Enseignements et leçons d’anticipation pour l’Afrique francophone

La crise institutionnelle que traverse aujourd’hui la France met en lumière la fragilité des équilibres entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif dans les régimes semi-présidentiels. Cette situation doit servir d’avertissement et de source de réflexion pour les dirigeants, juristes et constitutionnalistes africains. Elle montre qu’aucune démocratie, aussi ancienne soit-elle, n’est à l’abri des blocages politiques lorsque les institutions manquent de clarté, de solidité ou de capacité d’adaptation. Trois enseignements majeurs se dégagent pour l’Afrique francophone :

Clarifier la responsabilité politique et la cohérence institutionnelle :

L’un des enseignements les plus évidents est la nécessité de mieux articuler les rapports entre l’exécutif et le législatif. Un président élu au suffrage universel direct mais dépourvu de majorité parlementaire se retrouve dans une situation d’impuissance politique : il conserve le prestige du pouvoir sans en avoir les moyens d’action. C’est le paradoxe du « monarque sans bras ». Pour éviter ce déséquilibre, les constitutions africaines doivent prévoir des mécanismes clairs de cohabitation, de partage du pouvoir ou de dissolution parlementaire mesurée, afin d’assurer une gouvernabilité effective sans dérive autoritaire.

Renforcer la crédibilité et la solidité des institutions de contrôle

Le cas du Sénégal, souvent cité comme modèle de stabilité, rappelle que la solidité d’une démocratie ne repose pas uniquement sur l’existence formelle d’institutions, mais sur la confiance qu’elles inspirent. Le Conseil constitutionnel sénégalais, par exemple, joue un rôle central, mais sa légitimité dépend du sentiment d’impartialité qu’il suscite. En France, la crise actuelle n’a pas dégénéré, car la force des institutions réside dans leur enracinement historique et dans la confiance du peuple. Les États africains doivent, eux aussi, investir dans cette légitimité institutionnelle, par la transparence des nominations, la culture du contre-pouvoir et la protection de l’indépendance des organes constitutionnels.

Instaurer une véritable culture d’anticipation politique : Les crises africaines naissent souvent de l’improvisation : dissolutions brutales, révisions constitutionnelles opportunistes ou successions mal préparées. Cette impréparation fragilise l’État et alimente l’instabilité. Il urge d’inscrire dans les textes fondamentaux des dispositifs précis pour gérer les situations de blocage ou de vacance du pouvoir : procédures encadrées de transition, conditions de destitution du chef de l’État, ou encore modalités de cohabitation en cas de majorité parlementaire opposée. En effet, anticiper, c’est prévenir la crise avant qu’elle ne se transforme en rupture institutionnelle.

IV. De l’imitation à l’invention : pour un modèle africain authentique de gouvernance

La crise politique française, loin d’être un simple épisode européen, offre à l’Afrique francophone une occasion inédite de s’interroger sur la pertinence de ses propres institutions. Pendant des décennies, nos constitutions ont été conçues comme des répliques de modèles occidentaux, traduites dans nos contextes sans en intégrer les fondements sociopolitiques et culturels. Ce mimétisme institutionnel a produit des textes respectables sur le plan juridique, mais souvent déconnectés des réalités vécues par nos peuples. Il est temps de passer d’une logique d’imitation à une démarche d’invention, en bâtissant des institutions enracinées dans nos pratiques démocratiques, nos cultures politiques et nos besoins de développement. Concrètement, cette transformation passe par :

une gouvernance territoriale plus ancrée et participative : l’avenir de la démocratie africaine passe par le renforcement du pouvoir local. Les collectivités territoriales doivent cesser d’être de simples relais de l’État central pour devenir de véritables acteurs de la décision publique. Accroître leur autonomie financière, administrative et politique, c’est rapprocher la gouvernance du citoyen et permettre une meilleure prise en compte des spécificités locales. Une démocratie qui ne se vit qu’à la capitale reste fragile ; une démocratie qui s’enracine dans les territoires devient durable.

des mandats présidentiels réellement limités et non négociables : la limitation du mandat présidentiel est souvent proclamée mais rarement respectée. Elle ne doit plus être perçue comme une contrainte, mais comme une garantie de vitalité politique et de renouvellement démocratique. Les clauses de limitation devraient être verrouillées de manière à rendre toute révision opportuniste impossible. L’Afrique ne manque pas de leaders ; elle manque de transitions apaisées. De la capacité de nos dirigeants à se soumettre à la règle plutôt qu’à la contourner, dépendra la crédibilité de nos États.

des institutions constitutionnelles indépendantes et ouvertes sur la société : la consolidation démocratique exige des cours constitutionnelles et des conseils supérieurs de la magistrature affranchis de toute influence politique. Leur légitimité ne viendra pas seulement de leur texte fondateur, mais de la transparence de leurs nominations, de la diversité de leurs membres et de leur capacité à rendre des décisions motivées et accessibles au public. L’ouverture à la société civile, au monde universitaire et aux corps professionnels du droit permettrait d’ancrer ces institutions dans la confiance citoyenne, condition essentielle de leur autorité morale.

un parlement assumant pleinement le rôle qui doit être le sien : un Parlement fort ne se mesure pas à la solennité de ses sessions, mais à l’efficacité de son contrôle sur l’action gouvernementale. Les députés et sénateurs doivent redevenir les véritables porte-voix du peuple, et non des prolongements du pouvoir exécutif. Cela suppose un meilleur encadrement du financement des partis, une formation continue des élus et une transparence accrue des procédures législatives. Une démocratie sans contre-pouvoir effectif se condamne à la dérive présidentielle.

En somme, il s’agit pour l’Afrique francophone d’assumer pleinement son autonomie constitutionnelle : passer de la Constitution copiée à la Constitution vécue. C’est en réinventant nos institutions à partir de notre propre expérience historique, de nos valeurs communautaires et de notre vision du développement que nous pourrons donner un contenu concret à la souveraineté politique tant proclamée depuis les indépendances.

François Mame Samba NDIAYE, Juriste, Consultant, Expert en médiation arbitrage et conciliation

Auteur: François Mame Samba NDIAYE
Publié le: Samedi 11 Octobre 2025

Commentaires (7)

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    zal il y a 10 heures

    La France en crise, elle va juste partir en Guerre pour orienter le débat ailleurs, et les pays d'Afrique sont une parfaite cible pour faire la guerre. Nagneco kham nac, té fagarou

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    Passant il y a 9 heures

    Voilà ce qui arrive quand on a pas la majorité Macron est passé de justesse en 2022 comme Macky Sall d’ailleurs ils n’avaient pas la majorité tous les deux après c’est une instabilité politique en plus Macron a dissout et perd les législatives.
    La gauche arrivée première il leur a volé la victoire aujourd’hui il a rendu la France le pays des droits de l’homme ingouvernable.
    La seule solution censurer Lecornu soit il nomme un ministre de gauche pour une politique de gauche ( la reforme des retraites) demandé par 80 % des français où il démissionne on ne joue pas avec les choix du peuple.
    S’il dissout ça sera pareil personne n’aura la majorité à l’assemblée nationale ce mec un vrai catastrophe pour la France !

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    Bebert il y a 9 heures

    Niquez vos guenons et massez vos gourous, chonko; eyadema,biya,eas and co...........

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    Soleilman il y a 9 heures

    Enlève " François " de ton nom avant de parler.

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    Malcolm il y a 7 heures

    Parle des africains à Château Rouge !!! Les blancs vont trouver des solutions à leurs problèmes.
    Les africains sont toujours dans la victimisation.

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    Mo il y a 6 heures

    Si tu cherches un post de responsabilite ou la notoriety , il va faloir enlevez votre françois de votre nom et cesser de nous appeler * l'Afrique francophone *

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    Et le pse on en parle il y a 2 heures

    En fait la situation politique en France n'est plus qu'un refus de cohabitation de la part du président Macron. Minoritaire au parlement on découvre la présidence faible avec des lois soumis au vote vouées toutes à l'échec. Conclusion un premier ministre toujours mal à l'aise place Bauveaux.

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