Le Destin a voulu que la première opportunité m’offrant l’insigne honneur de prendre ma plume pour m’exprimer sur cette si importante célébration œcuménique chrétienne, qu’est la Toussaint, coïncidât avec les déplorables actes de profanations des cimetières de Saint-Lazare et de Bel-Air – condamnés par tous les segments de la société - , et ayant failli ternir l’image, quasi-idyllique, d’une coexistence interconfessionnelle multiséculaire sénégalaise, enviée à travers le monde.
Un grand chef coutumier, le Grand Serigne de Dakar, El hadji Bassirou Diagne Maréme Diop, s’indignant récemment desdits événements, rappelait à juste raison que nombre de nos proches parents reposaient dans ces cimetières, "consécutivement au brassage culturel et ethnique dont nos ancêtres avaient fait leur credo, pour mieux consolider les liens familiaux multiformes qui ont toujours caractérisé la société sénégalaise". Magnifiant ce brassage, le regretté grand maître de chorale catholique, Julien Jouga, ne pouvait être mieux inspiré en composant son morceau fétiche "Lambi wa Faas", où ses choristes, hommes et femmes catholiques, y encensent le Prophète de l’Islam, Seydina Mouhamed (psl), se font les chantres de l’unicité de Dieu, en psalmodiant Ses 99 attributs.
Avant la lettre, plus d’un demi-siècle auparavant, le Khalife Seydi Ababacar Sy, recevant en compagnie de ses homologues le Légat du Pape Pie XII, le Cardinal Verdier, à l’Hôtel de Ville de Dakar, le 05 février 1936, à l’occasion de l’inauguration (le 02 du même mois) de la Cathédrale du Souvenir africain de Dakar, eut l’heur d’imprimer une marque indélébile dans les rapports fraternels et profondément humains qui ont toujours caractérisé la coexistence entre chrétiens et musulmans dans notre pays. Lorsque l’émissaire du Pape fit irruption dans la Salle de délibération de la Mairie, il fut visiblement surpris par la diversité confessionnelle entourant le Maire, Alfred Goux. Ce fut au Khalife Seydi Ababacar Sy ibn Seydil Haj Malick, que revint l’honneur de souhaiter, au nom de ses pairs, la bienvenue à l’envoyé du Chef de l’Eglise catholique romaine. Entouré de tout ce que Dakar comptait de chefs religieux et coutumiers, le Khalife eut ces mots : "Je suis le représentant de la Tijania, de Dakar à Saint-Louis. Vous êtes ici l’hôte du gouvernement territorial, mais vous êtes également notre hôte. A ce titre, c’est avec joie que nous vous accueillons, aux cotés des autorités coloniales. J’en profite pour témoigner ici que ces autorités respectent l’Eglise autant qu’elles honorent nos Mosquées. Ce qui est rassurant". Et, se tournant vers les autorités coloniales, le Khalife ajouta : "Le Cardinal n’est pas plus votre hôte que le nôtre". (cf. Pv du 08 fèv.1936 – Direction des Affaires Politiques et administratives, de l’Administration coloniale - Archives nationales).
La clameur d’indignation, suscitée par les sacrilèges de sépulcres, s’estompant, nos sœurs et frères chrétiens célèbrent donc, dans la ferveur et dans la communion, ce jeudi 1er novembre 2012, cette fête œcuménique chrétienne de la Toussaint. Et, réconfortante coïncidence, elle se célèbre, comme à l’accoutumée, à une semaine seulement du 106e anniversaire du "retour à la Lumière", le 09 novembre 1906, d’une grande mystique chrétienne, dont les écrits auront profondément révolutionné le concept de "retraite spirituelle". Elle aura servi de viatique à de nombreuses âmes, dans leur exercice au recueillement, dans la solitude intérieure, et à se remplir de Dieu ; et permis à de nombreux fidèles d’expérimenter cette joie divine libératrice, qui aura aussi suscité de nombreuses vocations mystiques : la Bienheureuse Sœur Elisabeth de la Trinité, la Carmélite de Dijon. Nom de grâce, devenu tout un programme de vie religieuse.
Cette âme privilégiée, qui a connu ses premières touches mystiques dés l’âge de 19 ans, a tôt fait d’adopter comme axe central de sa vie spirituelle la "doctrine du silence", qui pris rapidement chez elle le sens d’une ascèse universelle, après son entrée dans la solitude du Carmel de Dijon. Les écrits de Sœur d'Élisabeth sont toujours appréciées au-delà des frontières du Christianisme, après avoir été fortement marqués par les textes de Saint Paul, qui sont au centre de sa spiritualité. Mais elle reçoit aussi une forte influence de la spiritualité du Carmel, imprégnée des écrits tant de Sainte Thérèse d'Avila, que ceux de Saint Jean de la Croix ("Cantique Spirituel" et "Vive Flamme d'Amour"), qui influenceront également son cheminement spirituel.
Mais c’est avec Saint-Paul qu’elle parvint au centre de sa spiritualité, avec la notion de "Louange de Gloire". Elle a écrit que c’était son rêve : "C'est dans Saint Paul que j'ai lu cela et mon Époux (Dieu) m'a fait entendre que c'était là ma vocation, dès l'exil". Aussi, commença-t-elle progressivement à signer ses lettres par "Laudem gloriae" (Louange de Gloire), en affirmant que ce sera son nom dans le Ciel ; que c’était sa vocation suprême, qu’elle comptait vivre intensément, mais au-dedans, "dans le ciel de (son) âme".
Jeune fille, elle avait aimé avec passion les formules spirituelles et les oraisons des grands mystiques chrétiens, qui avaient inspiré sa vocation. Mais, comme le souligne un de ces éminents biographes, fr. Michel-Marie Philipon, " elle les dépassa bien vite, pour s’établir au-dessus de toute formulation humaine, dans la nudité de la foi". Ascèse du silence, identification au Christ, imitation de la vie dévotionnelle de la Vierge de l’Incarnation, telle fut la grande pensée doctrinale qui conduisit rapidement, sans miracle, sans mortifications extraordinaires, cette âme constante et fidèle, jusqu’aux plus hauts sommets de l’Union divine.
Pour Sainte Élisabeth, afin de pouvoir vivre avec Dieu, une ascèse du silence est nécessaire. En effet, enseigne-t-elle, "tous les bruits extérieurs ou intérieurs (l'imagination, la sensibilité ou l'intellectualisme) sont autant d'obstacles à la présence de Dieu (…) Si mes désirs, mes craintes, mes joies, mes douleurs, si tous les mouvements provenant de ces quatre puissances ne sont pas parfaitement ordonnés à Dieu, je ne serai pas solitaire : il y aura du bruit en moi". Le silence a donc pour vocation, pour Sainte Élisabeth, d'être avec Dieu. "Ce n'est pas une séparation matérielle des choses extérieures, mais une solitude de l'esprit, un dégagement de tout ce qui n'est pas Dieu".
Son entrée au Carmel, offrit à son âme de contemplative l’opportunité de librement s’épanouir, dans une atmosphère de silence et de recueillement, et de concrétiser le credo de toute sa vie intérieure : "S’ensevelir au plus profond de son âme pour y trouver Dieu" ; et transformer sa vie en lui donnant le sens de sa prédestination spirituelle finale : être une Louange de Gloire. Aussi, dans des oraisons, quasi-ininterrompues durant sa courte vie (26 ans), elle vivait déjà comme au Ciel, c’est-à-dire "de Dieu Seul".
Le dominicain Michel-Marie Philipon, qui a fait sa thèse de théologie sur la conception de l' "habitation divine" de Sœur Élisabeth, aura beaucoup contribué à propager les écrits de cette bienheureuse, lesquels auront permis de rendre moins hermétiques, et donc plus accessibles, nombre d’enseignements de précurseurs, comme le confirme l'analyse de l’évêque d’Agen, Mgr Charles-Paul Sagot, qui affirme que "le plus remarquable dans la vie de sœur Élisabeth, c'est l'exacte conformité de ses vues, de ses attraits, de sa vie intérieure, de ses paroles, avec les principes les plus sûrs de la théologie mystique". La publication de sa biographie, par Michel-Marie Philipon, qui est "un regard d’un théologien sur une âme et une doctrine". Tirée à des dizaines de millions d’exemplaires, à travers une quinzaine d’éditions en français et des traductions en neuf langues, cette œuvre a contribué assurément à vulgariser l’expérience de la présence divine de Sœur Elisabeth, dans l’oraison ; tout en permettant, même aux croyants d’autres confessions religieuses de s’imprégner des mystères d’une âme gracieuse à la prédestination exceptionnelle, de vivre avec bonheur une approche enrichissante et universelle de la délivrance souveraine des âmes qui s’oublient, triomphantes de leur nature inférieure, et dont tout l’office consiste à aimer et à demeurer inébranlables dans la vision transcendantale de l’Unicité de Dieu.
Il nous reste à souhaiter à toute la Communauté Chrétienne, particulièrement à nos proches parents catholiques (biologique ou par alliance), une excellente célébration de la Toussaint, de ce jeudi 1er novembre 2012 ; occasion pour l’Eglise catholique de rendre hommage à tous les Saints, connus et inconnus, mais également de commémorer la mémoire de tous les fidèles défunts.
Mame Mactar GUEYE
Secrétaire général du RDS
mamemactar@yahoo.fr
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