Depuis un mois une affaire de dénigrement de personnes supposées anthropophages défraie la chronique dans tous les lieux de convergence de la commune. Tout est parti d’une jeune fille dont la santé préoccupe sa maman. Celle-ci après maintes va-et- vient dans les services sanitaires sans succès de guérison de l’adolescente, s’est finalement confiée à un guérisseur, qui lui avoue que sa fille est une sorcière, la preuve lui dit-il, « si elle boit le breuvage (qu’il garde par devers lui), la fille parlera de ses activités occultes».
Le guérisseur de soutenir toujours devant la dame, « ta fille n’est en rien responsable de ses actes parce qu’elle est victime de femmes anthropophages qui lui ont transmis du savoir afin que ta fille exécute leurs missions nocturnes.» Horrifiée par ces propos, la maman de la jeune fille qui a voulu en savoir davantage, demanda à sa fille de consommer le breuvage. Cette dernière exécute… et puis des paroles sortent de sa bouche. «Je suis l’avion qui sert de transport pour telle et telle autre personne », « tel et tel autre sont malades. C’est nous, qui lui avons fait ceci et cela », « nous sommes les responsables de tel accident de la circulation etc. ». Les faits sont têtus.
Honteuse et ahurie devant de tels propos, la maman en détresse pleura de chaudes larmes, retourna chez elle et se barricada depuis. Mais le guérisseur ne s’en limitera pas là. Il amène la jeune fille dans une radio communautaire de la place (comme témoin) pour attirer l’attention de la population de toute la capitale du Fogny sur les nouvelles pratiques sorcières qui consistent à utiliser les enfants d’autrui pour des missions lugubres, et déclare détenir une liste de personnes malades du fait de la sorcellerie et une liste de personnes citées comme commanditaires, responsables.
Enfin il s’excuse auprès des auditeurs parce qu’il y a beaucoup de malades qui attendent chez lui. Les personnes accusées sont ainsi trainées nues comme ver de terre dans les rues de la commune de Bignona aux yeux de leurs descendants, parents et alliés sans moyen de défense. « Cela pose fondamentalement la problématique de la rupture des institutions de la république à savoir le non droit (universel) de porter atteinte à la dignité humaine et les principes de sacralité qui en fondent les textes », a laissé entendre Daouda Niang, un natif de Bignona. Et de se rappeler même que «l’armée du Sénégal a commis les mêmes exactions en 1989 sur des individus supposés rebelles dans les allées du marché public.
Plus jamais ça
Aujourd’hui la justice populaire se substitue aux juridictions républicaines et plombe les possibilités d’application des dispositions internationales relatives aux droits humains dont le Sénégal est signataire. « Ce qui se passe à Bignona sur le traitement des présumés sorciers est indigne d’un comportement pour le siècle que nous vivons. Nulle institution de droit, confessionnelle ou politique ne doit tolérer pareille humiliation », dira Boubacar Badji enseignant à Bignona. Qui soutient que « la crise des institutions est un vécu quotidien en Casamance, particulièrement à Bignona, depuis les événements de 1981. En effet, la loi de la délinquance de pouvoir (spirituel ou politique à col blanc) se multiplie face à une population désarmée et stoïque. » A en croire ces populations, la sorcellerie est un phénomène de société existant dans tous les points du globe. « Pour peu qu’on soit d’accord que ce qui n’existe pas n’a pas de nom, le mot sorcier existe dans toutes les langues. L’anthropophagie est condamnable à tout point de vue, certes, cependant il urge que l’Etat joue pleinement son rôle régalien de régulateur et de garant des fondamentaux de la république, de peur que le tissu social ne vole en éclat à Bignona, et plonge le département dans une situation d’ingouvernabilité », se défend Michel Diatta, la quarantaine d’année. Pour l’éviter, « Bignona dispose de cadres de concertation de quartiers que les administrateurs pourraient utiliser afin de développer une étroite collaboration avec les populations dans le respect des lois et règlements en vigueur dans ce pays … hélas », ont soutenu les Bignonois.
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