C'est Aimé Césaire qui devrait tout bonnement déchirer son fameux Discours sur le colonialisme . Hélas, il n'est plus de ce monde. Toutes les critiques particulièrement indignées des intellectuels panafricanistes devraient, elles aussi, être réduites au même sort. En effet, à quoi bon de se faire l'avocat d'oppressés qui font subitement volte-face pour témoigner toute leur reconnaissance à leur oppresseur ? A quoi bon de plaindre Les Damnés de la Terre si les victimes se complaisent dans leur cruel état ?
Dans le rôle des oppressés, les Sénégalais (et plus largement les Africains anciennement colonisés) dans celui de l'oppresseur, la France coloniale.
Il y a quelques semaines j'étais à Saint-Louis (du Sénégal bien sûr), ancienne capitale de l'Afrique Occidentale Française (AOF) à l'occasion d'un NdadjeTweetup* délocalisé. Nous étions logés à l'hôtel Le Rogniat. A peine nous reçûmes les clés de nos chambres respectives que je décidais de sortir faire un tour dans les environs immédiats de l'hôtel. C'est alors qu'une petite place attirât mon attention. Comment pouvais-je la rater ? Outre le côté vert de cet espace qui m'attirait, la place se trouve tout juste en face de l'hôtel, par-delà la route. J'avais longtemps entendu parler de la place Faidherbe, cette fois, j'y étais.
Mais tout de suite, c'est un monument qui retient mon attention. Dominant fièrement la place, il est érigé en hommage à Louis Faidherbe, Administrateur colonial, Gouverneur de l'AOF et artisan chevronné de l'expansion coloniale française en Afrique. Vous imaginez une statue d'Hitler à Paris ? Impensable ! La blague aurait pu s'arrêter là. Mais ce n'est pas tout. Soigneusement gravé dans le marbre, au pied du monument, on peut lire : "A SON GOUVERNEUR L. FAIDHERBE, LE SENEGAL RECONNAISSANT" (comme le prouve l'image en bas de page) !

C'est pire qu'une insulte. Car c'est nous-mêmes qui nous l'infligeons. N'espérez point faire mieux en vous crachant dessus.
Tout citoyen, patriote ou pas, conscient de ce qu'a été la colonisation pour le Sénégal et plus largement l'Afrique, ne peut se trouver que profondément blessé et insulté devant une telle aberration.
Il se pose dès lors un sérieux problème de cohérence et de position dans l'interprétation que nous faisons de notre histoire. La question, très sérieuse, étant de savoir si nous condamnons ou si au contraire nous cautionnons le colonialisme. Autrement posée, la question revient à savoir si la colonisation nous a été néfaste et préjudiciable, en somme foncièrement dommageable, ou si au contraire elle a été une assez bonne chose qui mérite que l'on s'en réjouisse.
Nul besoin de rappeler ici les tirailleurs sénégalais tombés à Thiaroye alors qu'ils venaient de participer courageusement à la libération de la France, parce qu'ils avaient osé réclamer leur paie.
Nul besoin de rappeler ici, aussi superbe que soit le pont saint-louisien qui porte scandaleusement le nom du même Faidherbe, que le but initial n'était pas de le laisser en héritage aux Sénégalais. Il en va de même des quelques rails posés ça et là. Car les indépendances n'étaient pas envisagées dans l'entreprise coloniale. Le colonisateur croyait disposer à jamais de ces nouveaux territoires dont les colonisés venaient d'être dépossédés.
Nul besoin de rappeler ici les milliers de morts du chantier du chemin de fer Dakar-Niger
Nul besoin non plus de rappeler ici la pire conséquence de la colonisation, à savoir le complexe d'infériorité dont sont frappés nombre d'Africains, réduits à ne plus pouvoir croire en eux-mêmes, et ce sur plusieurs générations encore.
Et la liste est impossible à rendre exhaustive.
Et bien, pour toutes ces tortures infligées, pour toutes ces vies volées, tout ce pillage de nos ressources naturelles savamment orchestré, pour cette trajectoire africaine avortée, tous ces viols commis sur la femme africaine (faites un détour sur google image pour voir "le viol de la négresse" du peintre Christiaen van Couwenbergh), etc., et bien pour tout cela, le Sénégal dit obséquieusement MERCI à la France !
Entre la condamnation unanime de l'entreprise coloniale comme de la colonisation elle-même et la persistance dans notre pays de signes historiques de gratitude et de reconnaissance témoignées à la France, il y a comme une appréhension floue de notre histoire.
Si nous devons nous servir de notre histoire telle une lanterne nécessaire à l'éclairage de notre présent et utile pour l'avenir, il serait crucial d'arrêter officiellement une position.
Cela interpelle les politiques, les intellectuels, les religieux tout comme le citoyen lambda.
Aussi longtemps que de telles plaies subsisteront sur notre sol, aussi longtemps que les monuments de ce genre demeureront, personne ne nous disputera la palme de la risée du monde.
Il y eut les torts et crimes injustes et impardonnables qu'autrui nous infligeât de force, et donc contre notre gré. Il y a maintenant, plus indignes et absolument aberrantes, ces plaies abjectes que nous entretenons affectueusement, nous-mêmes.
*NdadjeTweetup (souvent orthographié #NdadjeTweetup, est composé du wolof "ndadje" qui signifie rencontre, et de "tweet" qui rappelle le réseau social Twitter. Il s'agit de rencontres qui se tiennent tous les deux mois et où se retrouve la communauté des blogueurs du Sénégal autour de thématiques touchant les TIC.
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