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ALIOUNE FALL, SPECIALISTE DES QUESTIONS POLITIQUES ET MILITAIRES : « En dix ans, ce sont des centaines de millions de l’argent du contribuable sénégalais qui ont fait mouvement vers le maquis»

Auteur: Barka Isma BA

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La sortie de Me Wade à Ziguinchor avouant avoir nourri, pendant des années, des rebelles du mouvement irrédentiste, est «une bourde» aux yeux du journaliste- consultant Alioune Fall qui l’enfonce même. ««En dix ans, ce sont des centaines de millions de l’argent du contribuable sénégalais qui ont fait mouvement vers le maquis», a révélé ce spécialiste des questions politiques et militaires. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, M. Fall, détails à l’appui, fait des révélations fracassantes sur les méfaits de l’argent qui a été attribué à certaines franges du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc).

Quel commentaire faites-vous de la déclaration de Me Wade selon laquelle il a nourri des rebelles du Mfdc pendant des années ?Dans le fond, on peut concéder la bonne foi à Wade, quand il dit ça. Parce que c’est de notoriété publique que, depuis des années, de l’argent public est remis à des intermédiaires qui sont censés le remettre aux forces rebelles. Ça, c’est connu. Donc, quand le président dit qu’il a nourri les rebelles, ce n’est pas une invention de sa part. Nous savons que, non seulement de l’argent a été décaissé, et massivement, en direction de la rébellion, mais aussi que certaines factions de la rébellion ont effectivement reçu de ces fonds-là. Et ces factions se sont retrouvées d’ailleurs, à un moment donné, à s’engager dans un partenariat avec l’État motivé par ces subsides qu’elles recevaient de la part de ce dernier. Ces mêmes factions sont même apparues, parfois, en position d’auxiliaires vis-à-vis de l’État. Comme lorsqu’il s’est agi de neutraliser Salif Sadio par la force. On a vu des factions rebelles armées se coaliser, prendre les armes, pour faire le travail de l’État à la place de l’État. C’est-à-dire faire la guerre à Salif Sadio. D’abord, au Sud, sur la frontière Bissau-guinéenne, et ensuite plus tard, au Nord, sur la frontière gambienne. Et nous savons que les groupes armés du Mfdc, qui ont monté ces opérations contre Salif Sadio, agissaient pour le compte de l’État. Donc, ces groupes-là ont bénéficié de moyens de l’État. Si on considère le fond du discours du président, il y a, quand même, au moins une part de vérité. Mais, je pense que cette déclaration pose un problème d’opportunité. En ce sens qu’il est question de pratiques que l’on pourrait qualifier de noires, pour ne pas dire occultes, qu’aucun État digne de ce nom n’assume publiquement. Sur des questions de sécurité et de défense, les États ont parfoisrecours à des pratiques à la limite de la légalité qui heurtent parfois la morale, mais on ne l’assume pas.Comment expliquez-vous alors que le président sortant ait fait une telle déclaration en pleine campagne électorale?Je mets ça sur le compte d’un cocktail de facteurs. D’abord, il y a le style classique de Wade assez atypique, anticonformiste. Wade qui nage toujours à contre-courant du bon sens républicain. Nous sommes habitués à le voir prendre le contre-pied de tout ce qui constitue les valeurs de référence de la gestion d’un État. Ça c’est d’un. Mais, au-delà de ça, je pense que, dans le contexte précis, quand il a parlé, moi, les deux mots qui me sont venus à la tête, ce sont dérive et délire. J’ai entendu Wade, depuis le début de la campagne du deuxième tour, tenir des déclarationsqui, pour moi, relèvent des délires d’un individu qui est en faillite. Il faut l’accepter. Parce qu’à son âge, on ne peut pas continuer à faire tabou de cette question-là. Au-delà des délires, il y a des dérives qui sont, peut-être, liées à l’angoisse d’un leader décadent. Je pense que les perspectives qui se dessinent pour lui dans le court terme ne sont pas du tout rassurantes. Et je pense que tout ça le plonge dans des angoisses existentielles en rapport avec l’avenir. Et ce sont ces angoisses-là qui le poussent parfois à délirer et à dériver dans son discours, à raconter n’importe quoi. Parce que ça, ce sont des choses qui ne se disent pas.Ne pensez-vous pas que l’attribution de sommes d’argent à des rebelles a même fait empirer la situation ?C’est vrai que, pour le cas précis du Sénégal, ces financements de l’État en direction de la rébellion ont eu un effet contraire de l’effet escompté. Parce que ce sont des moyens qui ont été alloués dans le but d’apaiser le champ où sévit la rébellion. Or, moi, je peux vous citer des cas d’exécution de citoyens sénégalais, parfois assumant également des fonctions d’autorité étatique en rapport direct avec ces financements-là. Vous vous rappelez, en 2006, l’assassinat du sous-préfet de Diouloulou, Gorgui Mbengue ? Mais, il est établi que les jeunes combattants qui l’ont tué étaient sortis dans un mouvement d’humeur, justement parce que leur financement mensuel tardait à arriver. Ça, c’est de la responsabilité directe de tous ceux qui sont impliqués dans ces mouvements de fonds en direction du maquis. J’aurais pu également citer d’autres exemples de personnalités qui ont été exécutées en Casamance, parce que ce sont des gens qui étaient soupçonnés par des franges radicales de la rébellion d’avoir pris de l’argent de l’État du Sénégal et d’avoir déclaré qu’ils ont remis ça à des chefs rebelles qui ont refusé la compromission. Ils prenaient de l’argent, au nom de ces chefs de guerre rebelles radicaux, qu’ils mettaient dans leurs poches. Et c’est en guise de représailles que ces chefs de guerre rebelles radicaux, qui n’étaient pas dans ces compromis-là, ont monté des expéditions punitives et les ont fait exécuter. On en connaît. Mais, on en parle pas par pudeur. Cette politique-là a eu l’effet contraire de l’effet escompté, sans parler du renforcement de la puissance de feu de la rébellion. En dix ans, ce sont des centaines de millions de l’argent du contribuable sénégalais qui ont fait mouvement vers le maquis. Et on est certain qu’une partie de cet argent a contribué dans l’acquisition d’armements de la part des rebelles. Et la conséquence, on le voit. C’est un bilan à la fois macabre et humiliant pour la nation sénégalaise. On ne reste pas une semaine, sans qu’on nous dise qu’on a tué de nos soldats. Il y a eu maldonne dans l’attribution de ces fonds-là. Ces fonds auraient mieux servis, si on les avait utilisés pour renforcer les capacités d’intervention de l’armée.Est-ce à dire que la sortie du candidat des «Fal 2012» va plomber davantage le processus de paix en Casamance ?Ça, c’est clair. Parce que, d’abord, les franges de la rébellion qui ont accepté cet argent ne sont pas, aujourd’hui, déterminantes dans les événements qui sont en cours. Ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de la violence. Par contre, les autres franges, qui ont refusé de se compromettre avec l’État du Sénégal, éprouvent toujours le besoin de démontrer que les corrompus ne peuvent pas déterminer le cours des choses en Casamance. Plus cet argent est mis en exergue, plus ils sentent le besoin de s’exprimer. Malheureusement, c’est toujours avec le feu et le sang. Si le président Wade va jusqu’en Casamance pour dire qu’il a nourri la rébellion, pendant des années, à la limite c’est un discours de provocation en direction des franges radicales de la rébellion. Ça, c’est clair. C’est une maladresse, une bourde. Je comprends, évidemment, l’état d’esprit de Wade dans le contexte actuel. Mais, je pense que, faire feu de tout bois, peut nous amener, malheureusement, à faire feu d’un bois qui vous incendie votre maison.Que prônez-vous, au vu de la situation actuelle ?Moi, je pense que, de toute façon, Wade est disqualifié pour résoudre la question casamançaise. C’est ma conviction. La première fois, lors du premier tour de la présidentielle, j’ai frémi, quand je l’ai entendu à Ziguinchor, puis à Bignona, dire que les Ivoiriens ont trouvé un concept ddr, lorsqu’il s’est agi de faire la paix en Côte-d’ivoire. Mais, j’ai dit que le président, non seulement il se fourvoie radicalement, mais il révèle également une inculture inacceptable en matière de résolution de conflits. Parce que le concept ddr n’est pas spécifique au cas ivoirien. Ddr siginifie désarmement démobilisation réinsertion. C’est une approche qui a fait ses preuves et qui est privilégiée par les spécialistes de résolution de conflits. C’est un concept standardisé, jusqu’au niveau des Nations-unies. Maintenant, penser que ddr désigne de manière spécifique un accord entre clans belligérants en Côte-d’ivoire, c’est d’abord faire preuve d’une inculture extraordinaire en matière de résolution des conflits, mais c’est également de la part du président, révéler, en vérité, le manque d’intérêt qui caractérise sa posture vis-à-vis du dossier casamançais. Si après 12 ans de gestion de ce pays, il vient nous sortir une telle hérésie en Casamance, moi, je vous dis qu’il est disqualifié pour la résolution du conflit casamançais. J’espère simplement que le gouvernement, qui sera issu du scrutin du 25 mars prochain, prendra la pleine mesure des enjeux réels en cours en Casamance et adoptera une position conséquente sur la question. Parce que, moi, je considère la résolution de ce dossier comme la priorité des priorités de la nation sénégalaise dans la situation actuelle. 

Auteur: Barka Isma BA
Publié le: Mercredi 14 Mars 2012

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