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ENTRETIEN / Serigne Abdoul Aziz Mbacké (Darou Tanzil) : « Touba est incontournable pour qui veut gouverner le Sénégal ! »

Auteur: SenewebNews

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Il préfère « guide religieux » à « marabout », un terme qu’il trouve péjoratif de nos jours. Serigne Abdoul Aziz Mbacké (darou Tanzil) ne mâche pas ses mots quand il s’agit de se faire le plaidoyer de l’islam confrérique au Sénégal, un pays où le syncrétisme religieux est bien plus qu’une réalité. Dans le monde, « l’islam connaît une fulgurante progression, et ça dérange ! », constate le guide religieux, persuadé que la cité religieuse de Touba, est « incontournable pour qui veut gouverner le Sénégal ». Dans cet entretien à Seneweb News, Serigne Abdoul Aziz Mbacké aborde la place de l’islam confrérique au Sénégal. Il tente d’expliquer  la ruée des politiques, artistes et célébrités vers Touba, la montée de l’islamisme au nord Mali, et les motivations du film blasphématoire sur l’islam. « Vive le Sénégal avec ses églises, ses mosquées, ses synagogues ! », clame à haute voix le petit-fils de Cheikh Ahmadou Bamba, très impliqué dans le monde agricole, mais critique aussi sur le déroulement de la dernière campagne arachidière au Sénégal.

Entretien.

Entre marabout et guide religieux, quelle est l’appellation qui vous convient ?

La connotation péjorative qui colle au concept « marabout » me pousse, en toute modestie à préférer « guide religieux » qui me semble plus dynamique, plus contraignant quand on sait qu’un guide doit bien connaître la voie, en maîtriser les méandres pour mener à bon port ceux dont il a la charge.

Quelques lignes pour décrire Serigne Abdoul Aziz Mbacké Darou Tanzil

Il est difficile de parler de soi ; je dirais simplement que Serigne Aziz est un chef religieux sénégalais descendant direct par son père et sa mère de Serigne Touba ; Serigne Aziz est aussi ce qu’il est convenu d’appeler un « intellectuel » puisqu’ayant fréquenté après ses études coraniques, l’école française. Mais Serigne Aziz est surtout un Sénégalais bon teint, fermement ancré dans ses valeurs cardinales qui fondent « l’homo senegalensis » et qui se bat depuis toujours pour que ses compatriotes vivent dans la dignité, la tolérance, l’ouverture et la démocratie. J’ai investi dans l’agro-business et dans d’autres domaines au Sénégal et à l’étranger

Fils de Serigne Moustapha Abdou Aziz Bara Mbacké, que vous a légué votre père ? D’où tenez-vous le nom « darou Tanzil »

Mon père m’a surtout légué ce qui constitue le « nec plus ultra » du mouridisme : la claire conscience que l’homme est d’abord sur terre pour adorer Le Seigneur ! Le nom « darou tanzil » a été donné par Serigne Saliou Mbacké au quartier de Touba qu’il a lui-même attribué à mon père en raison de l’excellence de leurs relations.

Vous êtes très impliqué dans le monde agricole, quel regard portez-vous sur la dernière campagne agricole au Sénégal ?

Le concept qui sied le plus pour qualifier cette campagne est sans doute « tâtonnement » ; sinon comment expliquer que dans certaines zones les semences et l’engrais ne soient pas en place plus de deux mois après les premières pluies ? Comment expliquer la piètre qualité des semences et surtout leur insuffisance ? Il est temps que ceux qui ont la prétention de nous diriger prennent conscience que l’agriculture occupe près de soixante dix pour cent de nos compatriotes et qu’à ce titre elle mérite plus de considération. Je rêve d’un Sénégal où le paysan ne sera plus considéré comme une sorte de « sénégaloïde » à qui on ne réserve qu’un rôle mineur dans la bataille pour le développement ! Comment a-t-on pu décider de la libéralisation de la filière arachidière sans aucune mesure d’accompagnement ? Le capital semencier en a énormément souffert ! Que dire en plus sur le fait que les capitaux ne soient pas mis en place au niveau des points de vente ?

Parlons de l’islam confrérique : comment évaluez-vous la pratique de la religion au Sénégal ?

Demandez aux colons qui ont réussi à implanter leur religion partout où ils sont passés à la notable exception du pays de Serigne Touba, de Seydi Elhadj Malick SY, de Cheikh Omar Foutiyou et de beaucoup d’autres qui ont réussi une véritable alchimie entre l’islam et notre sénégalité ! Et si on se décomplexait ? En quoi l’islam pratiqué sous d’autres cieux serait plus conforme à l’orthodoxie ? Les musulmans de ce pays ne sont ni meilleurs ni pires que leurs frères d’Arabie ou d’Asie ! Et pour le jugement « Dieu saura reconnaître les Siens » !

L’islam est devenu aujourd’hui la cible du monde occidental : sommes-nous dans le choc des civilisations annoncé par Samuel Huntington ?

Absolument! Huntington a parfaitement bien théorisé la situation ! Remarquons simplement que l’islam connaît une fulgurante progression, et ça dérange !

Une célèbre citation attribuée à Malraux fait du XXIème  siècle un siècle qui sera religieux ou ne sera pas. Partagez-vous cet avis ?

Comment ne pas partager cette assertion quand on constate le regain de spiritualité surtout chez les jeunes ? L’homme ne se nourrit pas uniquement que de pain ! Et il est heureux qu’on en convienne de plus en plus !

En réaction au film blasphématoire L’innocence des musulmans, vous avez appelé les musulmans au calme. Justement, comment comprenez-vous certaines réactions excessives ? Est-ce à la hauteur du préjudice causé à l’islam ?

Pensez-vous sérieusement que ce navet puisse nuire à l’islam ? Pensez-vous que des gens qui n’ont que l’injure et la haine comme argutie peuvent endiguer la dérangeante progression de l’islam ? Bien que je comprenne les réactions de certains de mes coreligionnaires je ne puis m’empêcher de condamner avec la plus grande fermeté les églises incendiées et le lâche lynchage de l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye. J’aurais préféré que mes frères en islam opposent un mépris à ces incendiaires qui ont commis un tel brûlot et se rappellent que « être contesté c’est être constaté» !

Un film « outrancier, malvenu, mensonger, injurieux et volontairement partisan », comme vous le relatez dans une contribution publiée sur Seneweb

Je maintiens et confirme!

Revenons au Sénégal : comment percevez-vous les relations d’interdépendance entre les pouvoirs temporel et spirituel ?

Comme le nez au milieu du visage c’est une réalité ! Veillons simplement à ce que chacun reste dans son rôle !

Que regard portez-vous sur la ruée des politiques vers Touba ? Au regard du nombre d’artistes, hommes politiques et autres célébrités qui se réclament du mouridisme, est-il devenu politiquement correct, au Sénégal, de déclarer sa « mouridité » ?

Ne serait-ce pas plutôt dû au fait que la « philosophie existentielle » proposée par Serigne Touba remporte de plus en plus l’adhésion des Sénégalais ? Et puis à quelle aune apprécier la « mouridité » de quelqu’un ? En tout cas la réalité politique la plus élémentaire commande ceci : Touba est incontournable pour qui veut gouverner le Sénégal !

Le terme marabout-politicien est de plus en plus employé pour désigner ces chefs religieux qui s’engagent en politique. Est-ce incompatible ?

Je ne sais pas si vous avez fait la remarque mais une terrible connotation péjorative entache ces deux mots ! Alors comme je veux rester poli vous me permettrez de dire simplement qu’en ce qui me concerne je pense que ces deux casquettes sont carrément incompatibles ! Comme le dit l’adage : « à chacun son métier et les vaches seront bien gardées » ! !

Nous vivons dans uns société en pleine mutation : quelle est la place et le rôle d’un chef religieux devant ce qui est perçu comme la dépravation des mœurs ?

Rappeler sans cesse à ses ouailles que le message de Dieu est intemporel ! Tout mettre en œuvre pour les inciter à se conformer aux prescriptions divines que Seydina Mohamed (SAW) nous a transmises ; ne surtout pas oublier la terrible responsabilité qui est la nôtre et pour laquelle nous rendrons compte au  Seigneur.

Et la montée de l’islamisme au Nord Mali ?

Je vous renvoie à mes propos un peu plus haut ! Le problème de ces intégristes qui ont annexé une partie du territoire malien relève d’une compréhension étriquée de l’islam. Voilà des gens qui, se réveillant un beau matin se sont sentis investis d’une mission de rédemption de leurs frères musulmans maliens qu’ils assimilent presque à des infidèles ! Et c’est ce modèle-là que certains pseudo-islamistes sénégalais voudraient instaurer chez nous ! Je réaffirme que la compréhension de l’islam que les Sénégalais pratiquent est la bonne : chez nous, la tolérance est une réalité vécue tous les jours. Chaque Sénégalais est libre de pratiquer la religion de son choix. Comme je l’ai dit tantôt, dans une même famille sénégalaise on peut trouver des musulmans, des catholiques, des animistes et des athées. Quelle belle preuve de tolérance, de respect de l’autre ! Et à qui devons-nous cette belle entente sinon à la conception de l’islam que Cheikh Oumar Foutiyou Tall, Elhadj Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba, Baye Niasse, Seydina limamou Laye et bien d’autres nous ont léguée ! A l’épreuve de la modernité on se rend compte que cet islam là force le respect et l’admiration ! Et certains illuminés voudraient que le Sénégal connaisse le syndrome malien … Cela relève de l’utopie !

Je demande solennellement à ces intégristes qui véhiculent une image désastreuse de l’islam d’arrêter de se regarder le nombril et de considérer que tous les musulmans qui ne partagent pas leur conception anachronique sont des infidèles. Qui leur a attribué la prétention de nous juger, de distribuer des diplômes de bon ou mauvais musulman ? Nous sommes musulmans, laïques et démocratiques ! Et il n’existe aucun paradoxe entre ces concepts. Nous demandons le retour de l’ordre républicain au Mali qui a administré à l’Afrique de grandes leçons de démocratie. Vive le Sénégal avec ses églises, ses mosquées, ses synagogues ! Vive le Sénégal où on mange le mouton de la tabaski avec nos frères chrétiens pour les remercier d’avoir partagé avec nous le succulent « ngalakh » de Pâques ! Et que ces crétins d’intégristes qui n’ont pas encore compris avec Luhan que la terre est désormais un « village planétaire » aillent se faire voir ailleurs !

Le Sénégal va célébrer l’Aïd el Kabir vers la fin du mois, après une Korité fêtée dans la division. La division pour combien de temps encore  et comment y remédier ?

Je suis sûr que par une franche concertation les musulmans sénégalais parviendront à surmonter ces problèmes d’interprétation de certains textes !  Tel est en tout cas mon souhait !

(Propos recueillis par Momar Mbaye)

Auteur: SenewebNews
Publié le: Mardi 16 Octobre 2012

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