Quand vous lirez ce texte, M. le président, les parlementaires de notre pays, réunis en congrès, seront sur le point d’entériner un projet de loi constitutionnelle que vous leur avez soumis et qui fait l’objet d’un rejet unanime. Des membres éminents de votre majorité, l’opposition dans sa globalité, la société civile toute entière, la presse, les chancelleries extérieurs en poste dans notre pays… s’opposent sans nuance à cette réforme constitutionnelle qui change les règles du jeu à quelques mois de l’échéance électorale cruciale de février 2012. A l’avocat que vous fûtes dans une autre vie, je rappelle l’adage latin « tu patere legem quam fecisti » pour vous inviter à respecter la Constitution que vous avez vous-même fait voter.
Monsieur le président de la République, vous êtes le protecteur de la Loi fondamentale et le gardien des institutions. Et avez juré devant Dieu et devant le peuple sénégalais de les respecter. Ces charpentes tiennent l’Etat, garant de notre sécurité collective et de l’intérêt général. Rien, absolument rien, ni votre goût du pouvoir ni vos calculs électoralistes, ne vous autorise à déconstruire les piliers de notre République. A entendre Montesquieu, « la République est fondée sur la vertu, et la monarchie sur la peur ». L’esprit républicain vous recommande aujourd’hui de la hauteur, de l’élégance, de la transcendance… A l’image de Nelson Mandela, dont vous enviez la place dans l’Histoire, vous avez le devoir d’organiser votre départ du pouvoir dans des conditions qui consolident la stabilité et la démocratie dans notre pays. Vous n’êtes certes pas Léopold Sédar Senghor, le premier président du Sénégal auquel vous aimiez vous mesurer au point de l’affronter à une élection. Vous n’êtes pas non plus Abdou Diouf, le successeur de Senghor à la tête de l’Etat. Vous n’avez toutefois pas le droit de faire moins qu’eux. Si Diouf avait écouté les sondages, il aurait supprimé le second tour de l’élection présidentielle de 2000 et aurait remporté la mise avec 42% des suffrages, loin devant vous qui en aviez engrangé 31% au premier tour.
Monsieur le président de la République, la vitrine démocratique dont vous avez hérité craquèle. Le Sénégal est une vieille démocratie que personne, pas même vous, ne doit brutaliser. Je ne vous apprends rien, les crises nées de processus électoraux contestés ont semé un peu partout en Afrique troubles, chaos économique, guerres, génocides… Titulaire temporaire du pouvoir, vous contrôlez les instruments de répression de l’Etat, détenteurs du monopole de la violence légitime. Aucune loi ne vous autorise à en user contre ceux qui contestent et contesteront votre projet de re-formatage de nos institutions selon des calculs de stratégie politicienne.
Monsieur le président de la République, aucun dirigeant ne connait ce qui est bon pour son peuple mieux que celui-ci. Aucun dirigeant ne doit prétendre pouvoir faire le bonheur de son peuple contre l’avis de celui-ci. Si vous êtes sûr que votre projet va dans le sens de l’intérêt général, pourquoi le soumettez-vous à un congrès aux ordres ? Vous le savez, pour être juriste : une réforme comme celle-ci, qui remanie profondément nos institutions, requiert l’assentiment du seul dépositaire de la souveraineté, le peuple.
Retirez ce projet de loi constitutionnelle, M. le président !
Commentaires (0)
Participer à la Discussion