L’ancien maire de Ziguinchor et ministre du temps des Socialistes au pouvoir s’est confié hier, au journal Le Quotidien, relativement au dossier casamançais. Du Mouvement des forces démocratiques pour la Casamance (Mfdc), à l’argent souvent décaissé du Palais en passant par l’implication de l’organisation italienne Sant’Egidio, Robert Sagna a brisé le silence, presque sans détour. Révélations…
Plus d’une fois, Robert Sagna a refusé de parler du conflit casamançais. Plus d’une fois, il a réfuté le sobriquet de «Monsieur Casamance» de l’ombre, pour éviter l’étiquette d’un porteur de valises pour les rebelles. Mais cette fois-ci, l’ancien ministre socialiste et ancien maire de Ziguinchor a décidé de briser le silence. Il a décidé de parler du conflit en Casamance ou du moins de ce qu’il en sait…
Le Quotidien qui l’a saisi, pour en avoir le cœur net, sur une affaire de 7 millions de francs mensuels qu’il recevrait du Palais pour les rebelles lui a, semble-t-il, donné l’occasion de faire le point sur le processus de paix en Casamance et du rôle qu’il est en train de jouer avec le Groupe de réflexion éponyme (Grpc), riche d’une trentaine de membres, non rémunérés et dont l’engagement pour la paix en Casamance est un sacerdoce. C’est justement à une heure d’une réunion avec ce groupe de réflexion qu’il a reçu hier soir, Le Quotidien, dans ses quartiers de Dakar.
D’emblée, il a fait remarquer que son implication pour la paix remonte d’il y a bien des années, avant l’avènement de Macky Sall au pouvoir. «Quand Macky Sall m’a sollicité, pour l’aider à ramener la paix en Casamance, j’ai naturellement accepté sa demande», a-t-il expliqué. Maintenant, avec le Grpc, il dit chercher encore les solutions à soumettre in fine aux belligérants. Et à propos de ce groupe de réflexion, dont une partie s’active en Casamance et l’autre partie à Dakar, il précise qu’il y a des cadres du pays et pas des moindres. «Je peux vous citer d’anciens ministres et directeurs, bref de hautes personnalités», rassure-t-il. Parfois, les deux parties du Grpc se retrouvent en plénière, pour discuter ensemble des avancées, mais également des goulots d’étranglement, afin de définir des positions à adopter.
«Les raisons de l’accalmie notée ces dernières années»
Pour Robert Sagna, il ne fait aucun doute que l’accalmie observée ces trois dernières années est tributaire des «avancées significatives» enregistrées sur le terrain. «Nous sommes en contact avec les différents chefs de guerre et nous nous évertuons à leur donner des gages pour établir ces relations de confiance, parce que ce n’est qu’à partir de cette confiance mutuelle, qu’on peut arriver à nous entendre sur des principes», indique l’ancien maire de Ziguinchor. Selon lui d’ailleurs, c’est parce qu’ils parviennent à aider les rebelles, en finançant leurs activités, qu’ils obtiennent d’eux cette paix, même si elle est très précaire...
Robert Sagna dit qu’aussi bien dans le maquis qu’en Europe, ils essaient de rapprocher le maximum de positions. C’est même pour les besoins d’un voyage en Europe, pour rencontrer la diaspora, que le chef de l’Etat leur a donné la somme de 7 millions de francs Cfa, pour couvrir les dépenses liées aux billets d’avion, aux frais d’hôtel ou encore à la location d’une salle de conférence. Il arrivait également, par le passé, rappelle M. Sagna, qu’ils sollicitent Macky Sall, devant des situations urgentes, pour financer par exemple des séminaires pour les combattants, dans le sens d’harmoniser leurs positions avant de rencontrer l’Etat autour d’une table de négociations.
«Pourquoi nous avons reçu 7 millions de Macky Sall…»
Seulement, précise Robert Sagna, les difficultés d’approcher les factions rebelles sont réelles, pour la bonne et simple raison que Salif Sadio n’arrive toujours pas à faire la paix avec les trois autres chefs de guerre que sont Compasse Diatta, César Atoute Badiate et un certain Lamarana. Ils sont aujourd’hui quatre chefs rebelles qui veulent marquer leur territoire et qui veulent persuader leurs interlocuteurs de leur position incontournable dans la recherche de la paix en Casamance. Chacun voulant manifester sa position de force, leur rapprochement devient problématique, regrette encore Robert Sagna, également chef d’un parti politique.
«Ce sont 80 % du maquis qui travaillent avec nous»
Tout dernièrement, Le Quotidien rendait compte d’une rencontre tenue à Bissau et qui a débouché sur un traité de paix entre César Atoute Badiate et Ibrahima Compasse Diatta. Ces deux chefs rebelles acceptent désormais d’aller ensemble en négociation avec l’Etat, tout comme le nommé Lamarana, qui tient aussi un puissant camp de rebelles à Diakaye, dans le département de Bignona. Le plus difficile, qui consiste à réunir Compass Diatta et César Atoute Badiate, a été fait, mais il reste le cas Salif Sadio qui n’a plus confiance aux autres chefs rebelles, qui avaient tenté une fois de le liquider, au moment où il avait ses quartiers à la frontière bissau-guinéenne. Maintenant qu’il s’est retranché vers la Gambie avec ses hommes, il paraît difficile de le rallier à la cause des autres chefs.
L’autre problème, relève Robert Sagna, est que l’organisation italienne Sant’Egidio, reconnue pour ses missions internationales de médiation, ne parle qu’avec Salif Sadio, ignorant de fait les autres chefs rebelles. Ce qui n’est pas du goût du Grpc et des autres intervenants dans le conflit, qui auraient souhaité que tout le monde soit mis au même pied. De l’avis de Robert Sagna, Sant’Egidio gagnerait à parler avec tous les chefs rebelles, d’autant plus que les trois autres représentent à eux seuls 80% des combattants sur le terrain et ils travaillent sans relâche avec le Grpc. M. Sagna est sans équivoque : «Le travail en solo de Sant’Egidio ne nous facilite pas la tâche, alors qu’il est impératif d’harmoniser toutes nos positions pour avoir une vision commune.»
«Le travail en solo de Sant’Egidio ne nous facilite pas la tâche»
Aujourd’hui, l’idée du Grpc et des autres intervenants dans le conflit, en partenariat avec César Atoute Badiate, Ibrahima Compasse Diatta et Lamarana, est d’organiser des assises inter-Mfdc en Gambie. Les acteurs attendent le feu vert de l’homme fort de Banjul, avant de choisir la date exacte de la tenue de cette rencontre cruciale, relativement à l’état d’avancement du processus de paix. Seulement, précise Robert Sagna, le Grpc ne ménage aucun effort pour impliquer activement Salif Sadio dans ces assises, pour espérer avoir une position commune des chefs rebelles, devant l’Etat du Sénégal.
De toute façon, rappelle encore M. Sagna, quelqu’un comme César Atoute Badiate est déjà disposé à cultiver la paix et a même désigné ses représentants devant l’Etat, que sont le Cardinal Théodore Adrien Sarr et l’Imam Ratib de Bignona du nom de Fansou Bodian. Ce serait souhaitable, dit M. Sagna, que les autres en fassent de même, mais ce ne serait qu’au cours des assises que les chefs rebelles pourraient arriver à ce genre de résolution.
On projette d’organiser des assises inter-Mfdc»
Même s’il lui est arrivé de faire des confidences en off à propos des maquisards et à leurs capacités de nuisance, malgré l’apparence trompeuse d’un dépôt des armes, il n’en demeure pas moins que Robert Sagna a fait des révélations qui font peur. Comme par exemple le fait que le maquis recrute encore des jeunes, qui sont aujourd’hui prêts à mourir pour la cause de leur chef de guerre. Ce recrutement à outrance fait peur à l’homme d’où l’urgence pour lui justement, de hâter le pas dans le sens de trouver la paix en Casamance. Pour ce qui les concerne, indique-t-il, ils parviennent avec l’appui financier de la Fondation Friedrich Ebert, à réunir les combattants et à les organiser, en même temps d’ailleurs que les populations, qui manifestent de plus en plus leur désir de retrouver la paix, dans cette partie du pays.
«Le maquis recrute encore chez les jeunes»
A propos de leur planning de voyage à l’étranger pour sensibiliser la diaspora, relativement au besoin de paix en Casamance, Robert Sagna annonce des périples aux Etats-Unis et ailleurs dans les jours à venir, histoire de faire passer le plaidoyer. C’est justement le moment choisi, pour répondre aux questions sur l’influence des Sénégalais originaires de la Casamance, basés en Europe et qui tireraient les ficelles, pour l’amplification du conflit à l’image de Krumah Sané. Mais pour Robert Sagna, Krumah Sané ainsi que le nommé Akapéna ou encore un certain Tamba, basé lui en Suisse n’ont pas intérêt à ce que le conflit se termine pour la bonne raison, qu’ils pensent plus à leur statut de «réfugiés» qu’à autre chose. «S’il n’y a plus de conflit, qu’est-ce qu’ils deviennent ces gens ? Ils tiennent à ce statut, c’est pourquoi ils n’ont pas intérêt à ce que le conflit s’arrête. Mais je vous dis que leurs influences sur les combattants sont très relatives. D’ailleurs quelqu’un comme Salif Sadio par exemple, ne veut même pas entendre parler de Krumah Sané», précise l’ancien maire de Ziguinchor.
Commentaires (0)
Participer à la Discussion