Il fut un ambassadeur bavard, très bavard pour le régime Wade. Jean-Christophe Ruffin, au bout de trois années à la tête de la chancellerie, a fini par « céder » devant les pressions de Dakar qui rechignait à garder en poste un diplomate français très regardant sur la situation critique d’un pays hôte.
« Au Sénégal, le président Wade a obtenu le départ de l'ambassadeur Rufin », écrit le journal Le Monde le 11 juin 2010. Précisant que « le président sénégalais Abdoulaye Wade, 84 ans, vivement agacé par la liberté de ton de M. Rufin, est intervenu avec succès auprès de l'Elysée pour choisir son successeur », Nicolas Normand installé à Dakar grâce à l’influence de Robert Bourgi, conseiller Afrique de l’ex-président Sarkozy. Robert Bourgi, conseiller aussi de Karim Wade, le « fils et dauphin présumé du chef de l’Etat sénégalais », soulignaient nos confrères en 2010.
L’arrivée de Nicolas Normand intervient donc dans un contexte de crise entre un président et un diplomate qui déconseillait à son pays, un bailleur, de ne pas « donner à un toxicomane sa dose ». Le toxicomane, c’était le Sénégal, ou plutôt Abdoulaye Wade que Ruffin s’était gardé de citer.
Quoique les télégrammes parvenus à l’Elysée, à l’époque, étaient très édifiants sur la gestion d’un président invité à « réformer profondément son système politique ». Ici, les termes usités et sciemment choisis, ont tout leur sens. De même, lorsque l’ambassadeur dans une métaphore, assimile le régime Wade à une personne qui use et abuse de stupéfiants. Car continuer à accorder une aide financière à un pays « ami » sans lui tenir un langage de vérité, revenait à « fournir à un toxicomane la dose qu'il demande, mais qui le conduit un peu plus sûrement vers sa fin », avait alors mis en garde, Ruffin.
La fin ? On y est déjà. Wade qui avait obtenu la tête du diplomate, a quitté le pouvoir en 2012. Son fils Karim placé sous mandat de dépôt. Un Karim mis en cause par l’enquête sur l’enrichissement illicite, qui l’a sommé, après mise en demeure, de justifier ses avoirs estimés à près d’un million d’euros, soit 694 milliards de francs Cfa.
Même s’il n’est plus en poste, Jean-Christophe Ruffin semble encore porter dans son cœur le Sénégal, qui l’aura sans doute marqué. Au lendemain du placement en garde à vue de Karim Wade, le médecin et diplomate révèle dans un entretien à Rfi, que «l’Anoci avait brassé beaucoup d’argent de façon mystérieuse». Suffisant pour conforter la commission d’instruction de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), qui a décidé du placement, sous mandat de dépôt, de Karim Wade, qui alors tout-puissant président du Conseil de surveillance de l’Anoci, s’était soustrait du contrôle de l’Assemblée nationale présidée par l’actuel président de la République, Macky Sall qui tenait à faire la lumière sur les accusations portées contre Wade-fils par le journaliste Abdou Latif Coulibaly, dans son ouvrage Contes et mécomptes de l’Anoci.
« Cette simple requête, relève Ruffin, était apparu au père, au président Wade, à l’époque, comme un crime de lèse-majesté. Le président Wade avait alors changé la constitution, pour changer la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale, et, au fond, déposer Macky Sall ».
« L’une des raisons des difficultés que j’ai pu avoir avec la famille Wade, c’est que, précisément, il y avait déjà à ce moment-là des manœuvres pour éviter que Karim Wade ne soit interrogé pour rendre des comptes », a rappelé Jean-Christophe Ruffin, le diplomate qui confie aujourd’hui « ne pas être surpris » de la tournure des évènements, les poursuites engagées contre Karim Wade, le fils d’Abdoulaye Wade.
« A l’époque, il y avait surtout son activité à l’ANOCI (Agence nationale pour l'Organisation de la conférence islamique). Il avait brassé beaucoup d’argent de façon un tout petit peu mystérieuse », confie l'ambassadeur. Combien ? Ruffin n’en révélera pas le montant, ce n’est pas son rôle. Il laissera le soin, à la justice sénégalaise, de faire toute la lumière sur ce qui est considéré comme un affairisme d’Etat, des scandales financiers qu’Abdoulaye Wade, en tant que chef de l’Etat, ne saurait ignorer, parce que disposant de tous les renseignements.
Un président Wade qui après avoir placé son fils au cœur du système, a par la suite cherché, contre vents et marées, à imposer mais sans succès, un troisième mandat à la tête de l’Etat. Sans doute pour absoudre les crimes du fils. En somme, les crimes de tout un régime.
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