«Ayooo néné, néné sama néné »... Le refrain est fredonné par une maman débrouillarde pour bercer son enfant qui n’a pas la possibilité de dormir tranquillement dans le lit douillet à la maison. Toute frêle et âgée d'à peine quelques mois, la petite Anna est de ces bébés qui finissent par s’habituer aux multiples secousses et aux bruits des véhicules hors âge qu’empruntent tous les matins leurs mamans. Des mamans vendeuses de poissons, contraintes de se lever aux premières lueurs de l’aube pour chercher de quoi nourrir leurs familles. Sur le dos de sa mère, penchée sur un taxi clando presque centenaire qui les conduit au marché aux poissons, la voilà qui joue avec ses petits doigts, en chantonnant et en somnolant de temps à autre. Sans se soucier du fait que des enfants de son âge gardent encore le berceau à cette heure. Elle n’a pas cette «baraka».
Sa maman, Soukeyna, bana-bana (vendeuse), mère d’une famille nombreuse, démunie et sans soutien, se soucie peu de son apparence. Elle est habillée d’un boubou en wax déchiré à certains endroits. Un boubou usé, qui lui sert de tenue de travail, sur lequel l’enfant repose sa tête, innocemment.
Dans le véhicule embaumé par l’odeur forte de poissons, elle et d’autres femmes sont entassées comme des sardines. Elles se disputent la place avec leurs bassines remplies de sardinelles, dorades, entre autres, qu’elles comptent vendre. L’odeur fade de poisson et le sang qui dégouline sur la banquette ne les gênent guère. Elles discutent et rigolent ensemble, aérées qu’elles sont par la fraicheur matinale. Habituées à faire ensemble le trajet, ayant toutes les mêmes motivations, le même champ d’activité et partageant le même lieu d’approvisionnement, les voilà qui se taquinent avec des rires aux éclats en cette heure où les noctambules commencent à peine à roupiller.
Les premiers rayons du soleil n’ont pas encore fait leur apparition. Une bonne chose pour elles. Elles qui font une course contre la montre pour intercepter les ménagères avant que ce celles-ci n’aillent s’approvisionner ailleurs. Aussi, pour ne pas accuser de retard, elles invitent le conducteur à appuyer sur l’accélérateur. Les minutes passent. La guimbarde qui leur sert de véhicule, très poussif, grignote les mètres de l’asphalte, avec une allure de tortue. Un véhicule qui n’est bon que pour la casse. Pas besoin d’être un spécialiste pour savoir qu’aucun agent du ministère des Transport n’ose lui délivrer une visite technique. Le chauffeur a sa propre technique pour passer entre les mailles des forces de sécurité.
Les braves dames, certaines comme Soukeyna avec un bébé sur le dos, semblent s’être habituées à ce rythme. Du matin au soir, du lundi au samedi, elles empruntent le même trajet, répètent les mêmes mouvements comme des automates, avec le même plaisir. Sans accorder la moindre attention aux qu’en dira-t-on, elles sont heureuses de rentrer chez elles avec de quoi nourrir leurs progénitures.
Quid de leurs motivations ? Elles ont pratiquement la même histoire. Si elles ne sont pas veuves, elles sont divorcées, mariés à des retraités ou hommes malades. Ce qui fait d’elles d’office les maîtresses de maison, au propre comme au figuré. Pour bouillir la marmite, il leur faut à la fois nouer le pagne et...porter le pantalon. L’avenir de leurs enfants en dépend. La survie de leurs maris, parfois.
A la question de savoir pourquoi elle fait ce boulot, Soukeyna rétorquera, sourire au coin de la lèvre, qu’elle est dans un mariage polygame et que ses enfants ne comptent que sur elle pour se nourrir. « J’ai une coépouse. Mon époux est aujourd’hui à la retraite. Mes enfants sont encore mineurs. Je sais que si je ne me bats pas, tout comme ma coépouse, il se pourrait qu’on n’ait pas de quoi manger à l’heure du repas », dit-elle. Soukeyna et sa coépouse font ainsi tourner la maison. Elle est une vendeuse de poissons, sa coépouse une marchande de légumes. Elles désertent toutes les deux la maison conjugale à l’aube.
Et pourtant, au moment où elles cherchent la dépense quotidienne, les autres taches ménagères (la cuisine, la lessive…) les attendent. Une situation qu’elles gèrent avec philosophie, au quotidien, sans une once de complainte, uniquement pour le bien-être de leurs familles.
Ces braves femmes, on les croise dans tous les coins de rue, sans leur donner le respect qui sied. Et pourtant, elles sont des gladiatrices qui...luttent tous les jours contre le redoutable ennemi qu'est la pauvreté, à défaut le vaincre.
Auteur: SenewebNews
Publié le: Vendredi 07 Novembre 2014
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