À Niary-Tally, quartier populeux de Dakar, les rues sont animées en cette matinée de fin d'année scolaire. Les enfants qui vivent pleinement les vacances jouent au foot dans les ruelles. Le bruit des moteurs des voitures et cars rapides qui passent et repassent accroît la chaleur ambiante. Des étals par-ci et par-là confèrent au lieu un air de marché et à la devanture de certaines maisons, des femmes vendent qui des légumes, qui des cacahuètes ou autres friandises. De petites activités qui renseignent sur le niveau de vie moyen dans cette zone. Mais ce qui est frappant dans ce décor de pauvreté, c’est qu’à tous les coins de rues, des groupes de jeunes, en général des garçons, sont installés, devisant sur des thèmes aussi divers que les derniers combats de lutte, les sanctions infligées à l’Us Ouakam par la Fédération de football, les sorties d’album de rap, la récente déclaration du Président Abdoulaye Wade sur son fils et sa succession, les manifestations du pouvoir et du M23 de samedi dernier, la victoire de Tidiane Faye de Lansar sur Pape Modou de l'écurie Sakku Xam Xam et les menaces qui pèsent sur le combat Elton/Tapha Tine que doit organiser samedi Luc Nicolaï.
Les parties de thé interminables, un refuge pour les jeunes sans travail
Ces petits regroupements de garçons d’un certain âge sont favorisés par le chômage qui touche une grande partie de la jeunesse. Mépris, manque de considération, parfois même exclusion de la famille : les jeunes chômeurs vivent un calvaire insoutenable, sans le moindre espoir de sortie. N'ayant pas d'arme pour affronter la société, parce que se sentant inutiles à eux-mêmes, leurs familles et leur société, ou perçus comme tels, leur vie se résume à des causeries de grand-place, autour du thé, comme c’est le cas à Niary-Tally.
Dans ce lot de jeunes désespérés, figure Jérémy Mansaly. Ses journées, il avoue les passer tout simplement à se tourner les pouces et à fréquenter la grand-place du quartier, pour discuter de tout et de rien avec ses amis. L'essentiel étant de tuer le temps. «J'étais étudiant en géographie à l’Université de Dakar. Mais j'ai ‘cartouché’ (ndlr : il a épuisé ses possibilités de se réinscrire à l’Université) il y a deux ans. J'ai alors décidé de tenter ma chance en passant plusieurs concours, comme celui d'entrée à la Police et aussi à la Fastef. Mais rien n'a marché», explique-t-il avec frustration.
Jugeant sa situation très difficile, il confie : «j'ai laissé mes parents à Ziguinchor espérant réussir à Dakar. Je vivais dans une famille d'accueil, mais elle a déménagé pour retourner à Ziguinchor. J'ai été ainsi obligé de louer une chambre que je partage avec des amis». Pour ce jeune homme d’une vingtaine d’années, le fardeau de l’oisiveté est doublement lourd à porter. Le statut de chômeur ne favorisant guère le respect et la considération. «Quand j'étais avec cette famille, c'était des problèmes tous les jours. Et ce n'était que des coups bas tous les jours et des regards de mépris en permanence», dit-il. D’un autre côté, il est obligé de se débrouiller avec «de petits business pour payer le loyer et la nourriture. Chaque matin, au réveil, on se retrouve dans un coin du quartier et l’on passe la journée à boire du ‘café-Touba’ ou du thé». Son seul rêve, «c’est de trouver un boulot décent». Tête baissée, il souffle : «Quand je pense à mes parents qui attendent que je les soutienne, je suis triste et honteux. Il arrive d’ailleurs des jours où je ne trouve même pas de quoi acheter une tasse de café à 50 francs. Ce sont mes amis avec qui je partage cette grand-place qui m'aident alors».
Le regard pesant et méprisant de l’entourage
Cette situation qui est un véritable drame social n'épargne pas son copain Cheikh Guèye. «Je vis la même chose. Dans cette vie, quand on n’a rien, on n'est pas considéré», lance-t-il avant de tenter d’expliquer les humiliations auxquelles peut les exposer le chômage. «Un jour, ma copine m'avait demandé de lui acheter un pantalon jeans. Quand je lui ai dit que je n'avais pas d'argent, elle m'a aussitôt largué. Sans compter ce que je vis à la maison, qui n’est pas loin de l’enfer», dit-il. «Les gens te regardent avec mépris, insinuant que si tu ne travailles pas, c’est parce que tu es un fainéant» fustige-t-il. Pourtant Cheikh Guèye a bien «un métier», comme il le clame, car ayant «suivi une formation». Sa spécialité, c’est le câblage en informatique. «Je travaillais dans une entreprise de la place, mais il y a eu une compression du personnel et je me suis retrouvé au chômage. Depuis lors, c’est la galère», résume-t-il.
Plus amer, Babacar Dème regrette «le manque de considération et de respect» qu’il essuie chaque jour parce que ne faisant rien, n’étant pas d’un grand apport à la maison. «Mon jeune frère a une meilleure situation financière que la mienne, de ce fait, dans la famille, c'est lui qui décide de tout. Moi, je n'ai pas droit à la parole». Caricature ? Non, confie ce jeune au chômage depuis de longues années et qui dit se sentir «inutile». «Quand j'ai des besoins auxquelles je ne peux pas subvenir, quand je vois mes sœurs qui ont besoin d’aide sans que je puisse rien faire, je suis triste», lâche-t-il.
Pour s'extirper du tunnel infernal du chômage, les jeunes qui végètent dans la galère à longueur de journée n'attendent qu'une seule chose des autorités étatiques : la création effective d'emplois pour les jeunes et non de sempiternelles promesses. Il faut que le gouvernement créé des emplois pour les jeunes pour que change la vie qui se résume à ses amis «autour du thé à discuter de sport». Mais de plus en plus, malgré les promesses des autorités, l’espoir de s’en sortir s’amenuise : «J'ai beau chercher du boulot, mais rien n'arrive». Un sort que Babacar Dème partage avec des milliers de jeunes Sénégalais.
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