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Féminicides : « Luy Jot Jot Na », le cri d’alarme après 18 femmes tuées en 2025

Auteur: Moustapha Toumbou

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Féminicides : « Luy Jot Jot Na », le cri d’alarme après 18 femmes tuées en 2025

La goutte de sang de trop. Une femme nommée Bintou Guèye a été mortellement atteinte par balle dans la nuit du samedi 20 décembre à Keur Mbaye Fall, au domicile de son mari. La victime, résidente à Yeumbeul Nord (quartier Darou Rahmane 3), aurait été tuée à l’issue d’un différend conjugal dont les circonstances restent inconnues. Depuis le début de l’année 2025, plus de 18 femmes auraient été tuées dans ce contexte, selon le collectif « Luy Jot Jot Na ».

C’est dans ce climat qu’il a tenu, ce lundi 29 décembre, une conférence de presse à Dakar. La coalition réclame une réforme du Code de la famille et la reconnaissance du féminicide comme crime spécifique dans l’arsenal juridique sénégalais.

La plateforme regroupe une vingtaine d’organisations de la société civile, dont plusieurs structures féministes. Sa création répond, selon ses membres, à une accumulation de cas de femmes tuées dans la sphère familiale. « Cette coalition a été créée à la suite de la multiplication des féminicides que nous avons constaté toutes et tous ces derniers temps ici au Sénégal. À ce jour, nous avons 18 cas de féminicides qui ont été médiatisés. Et comme vous le savez, ce sont seulement les cas médiatisés que l’on décompte », a déclaré Aminata Libain Mbengue, militante féministe, psychologue-clinicienne et membre du collectif des féministes du Sénégal.

Selon elle, de nombreuses situations demeurent hors du champ médiatique. « Dans les sphères privées, dans les maisons, peut-être qu’il y a d’autres féminicides dont on n’a pas connaissance. En tant qu’organisation, nous nous sommes dit que c’est “Luy Jot Jot na” », a-t-elle expliqué. L’expression, issue du wolof, renvoie à un sentiment d’urgence et de seuil dépassé.

Le collectif défend la reconnaissance du féminicide comme une infraction distincte. « Il est important que le féminicide soit reconnu au Sénégal comme un crime spécifique. Pourquoi le féminicide n’est pas une simple dispute conjugale, n’est pas un simple conflit conjugal ? Le féminicide est éminemment politique. Parce que ce sont nos lois, en fait, ce sont nos codes sociétaux qui font que les hommes s’autorisent à tuer leurs femmes », a soutenu Aminata Libain Mbengue.

La militante a insisté sur la nature structurelle du phénomène. « Le féminicide, ce n’est pas un meurtre parce qu’il y a une dispute. C’est un meurtre parce que c’est une femme spécifiquement, c’est un conjoint ou un ex-conjoint qui s’autorise à prendre la vie de sa femme », a-t-elle affirmé, avant de rappeler que cette qualification juridique ouvrirait la voie à une autre lecture sociale de ces crimes. « Cette reconnaissance juridique va permettre justement une meilleure sensibilisation de tout le monde, de la société de façon générale, qu’on ne voie plus au niveau des médias une banalisation de ces crimes-là ».

La coalition a aussi mis en cause l’absence de réactions institutionnelles face aux cas recensés. « Quand il y a eu les 18 féminicides cette année, pas une seule fois on a vu un communiqué du ministère de la Famille et des Solidarités. Pas une fois on a vu un mot de soutien ou de solidarité venant de la présidence de la République ou bien de la primature », a dénoncé Aminata Libain Mbengue. Elle a ajouté : « Ces femmes ne doivent pas être oubliées et ces femmes ne doivent pas être tuées dans l’indifférence. Le minimum, quand une femme est tuée, c’est qu’on ait au moins un mot de soutien et de solidarité, que des mesures soient faites ».

Au-delà du constat, le collectif interpelle directement l’exécutif sur ses engagements. « Nous voudrions rappeler au Président Bassirou Diomaye Faye les engagements qu’il avait pris quand il était candidat. Dans son programme, il était noté qu’il allait prendre les dispositions nécessaires pour réformer le Code de la famille, pour engager des réformes aussi sur tous les articles qui sont discriminatoires à l’égard des femmes et des filles », a rappelé la militante. Elle a insisté sur le caractère prioritaire du sujet : « La question des femmes et des filles est une question qui est urgente. C’est une question qui est urgente au même titre que toutes les autres questions ».

Le Code de la famille, en vigueur depuis 1972, concentre l’essentiel des critiques formulées par la coalition. Une réadaptation aux enjeux et aux réalités sociaux actuels de ces textes est souhaitée par le mouvement. « C’est un code qui est obsolète, mais aussi c’est un code qui est patriarcal. C’est un code qui vient consacrer la subordination des femmes et des filles », a estimé Aminata Libain Mbengue. Elle a cité plusieurs dispositions jugées discriminatoires, dont l’âge légal du mariage pour les filles. « C’est inconcevable qu’en 2025, on autorise les filles de 15 ans à se marier », a-t-elle déclaré, avant d’évoquer l’autorité parentale. « C’est inconcevable aussi que les femmes n’ont pas le droit sur les enfants qu’elles mettent au monde. Donc le partage de l’autorité parentale doit être effectif ».

Les articles 152, 153, 181 et 196 du Code de la famille figurent parmi ceux que le collectif souhaite voir révisés. Ils portent notamment sur la puissance maritale, la fixation de la résidence du ménage, la preuve des biens et l’interdiction de la recherche de paternité. « Ce sont des articles qui sont obsolètes et pour nous qui méritent une réforme profonde », a affirmé la militante.

Avocate au barreau, Me Abibatou Samb a indiqué que cette revendication entre dans une perspective juridique plus large. « Notre société évolue. Il faut qu’on accepte d’évoluer avec elle. Aujourd’hui dans les dispositions que nous avons, que ce soit au Sénégal ou ailleurs, on a le principe d’égalité qui est là », a-t-elle rappelé, en référence à la déclaration universelle des droits de l’homme. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ».

Selon elle, la reconnaissance du féminicide ne constitue pas une rupture avec le droit existant. « Dans nos dispositions, vous avez le terme parricide. Et ça ne dérange personne que le terme parricide soit reconnu. Vous avez aujourd’hui le terme homicide. Pourquoi aujourd’hui quand on parle de féminicide, ça pose problème ? », a-t-elle interrogé. Elle a précisé que les chiffres évoqués reposent sur des faits documentés. « Le terme féminicide aujourd’hui, ce sont des cas recensés. Vous l’avez tous vu, 17 femmes tuées dans l’environnement familial, dans la sphère privée ».

L’avocate a évoqué les conséquences juridiques d’une telle reconnaissance. « Si aujourd’hui on arrive à ce que le terme féminicide soit reconnu par notre code pénal, ça nécessitera une réforme. Et à travers cette réforme-là, on pourra compter sur ce qu’on appelle un droit des circonstances aggravantes », a-t-elle expliqué. Elle a ajouté : « Vous ôtez la vie à une dame parce que c’est une dame, c’est un crime ».

Me Abibatou Samb a aussi insisté sur la dimension collective du combat. « Le combat qui est mené par ces femmes, ces différentes organisations, n’est pas le combat des femmes. C’est le combat d’une société », a-t-elle déclaré. Elle ajoute : « Ce n’est pas une question de féministes ou d’antiféministes. C’est une question de société ». L’avocate n’a pas manqué d’évoquer la portée transgénérationnelle de ce combat : « Ce n’est pas pour nous. C’est pour nos enfants, pour l’avenir de notre humanité ».

Sur la réforme du Code de la famille, l’avocate a établi un lien direct avec les violences. « Toutes les formes de violence que vous avez dans notre cher pays ont pour point de départ, ont pour cœur, le Code de la famille », a-t-elle soutenu. Elle a rappelé l’ancienneté du texte et son contexte d’élaboration, avant d’interroger certaines dispositions. « Pensez-vous que c’est normal qu’un enfant naisse et qu’il ne puisse pas mener une action pour savoir si c’est réellement son père ou pas ? Ce n’est pas normal, c’est une violation des droits humains », estime-t-elle.

La question de l’autorité parentale figure aussi au centre des revendications. « Puissance paternelle, le nom dit tout. Moi je n’aime pas le terme puissance. L’éducation, ce n’est pas une question de puissance », a-t-elle affirmé. Elle poursuit : « Vous ne protégez pas les femmes si vous acceptez l’autorité parentale. Si le Sénégal accepte l’autorité parentale, c’est d’abord pour ses enfants ».

Enfin, Me Abibatou Samb a évoqué l’effet dissuasif attendu de sanctions renforcées : « Quand on aura une sanction exemplaire, ça pourra dissuader les uns et les autres. Ceux qui veulent essayer leurs armes à la maison vont l’orienter ailleurs que vers la tête de leur épouse ».

À l’issue de la conférence de presse, la coalition « Luy Jot Jot Na » a réaffirmé son intention de maintenir la mobilisation jusqu’à l’ouverture de réformes législatives. Elle appelle les autorités à traduire les engagements annoncés en actes concrets, au nom des femmes tuées et de celles qui restent exposées aux violences dans la sphère familiale.

Auteur: Moustapha Toumbou
Publié le: Lundi 29 Décembre 2025

Commentaires (6)

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    Femme de valeur il y a 22 heures
    Le texte est riche. Les revendications légitimes. Notre sous développement est en partie du à comment on traite les femmes et les enfants. Motax dinagn yaag ci sous développement !
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    Hé! il y a 22 heures
    Soutien total à "Luy Jot Jot Na". Un texte qui date de 1972 (le code de la famille) est forcément caduque en 2025 puisque la société se métamorphose. Quand à l'âge de mariage des filles fixé à 15 ans c'est complètement hors-sol, entre autres points énumérés dans l'article (reconnaissance du père, les meurtres de femmes non connus, l'autorité parentale...). Par contre mesdames, laissez tomber pour les promesses de l'ancien candidat aux présidentielles. Tal na lénène té amm na lou ko doy mboubook toubèye.
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    Moi il y a 21 heures
    Texte bien relaté. Mais il faut se demander combien d'hommes sont morts de manière anonyme par les agissements en cachette des femmes. Bien réfléchir.
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    Saada il y a 21 heures
    Où étiez-vous quand Sonko et Pasteef Adji Sarr de tous les noms alors qu'elle était la victime.
    Maux vaut prévenir que guérir.
    Vous n'avez pas organiser de marche contre la violence faite aux femmes.
    Trop de théorie.
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    Ndjeguemar il y a 19 heures
    L’article est bien rédigé et les faits sont bien relatés. Tant que nos états ne prennent pas la mesure du pouvoir masculin dans nos sociétés, qui est nuisible aux femmes et aux enfants, on comptera toujours des femmes tuées.
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    Darkpenguin il y a 18 heures
    En Casamance ou chez nos voisins les peulfouta Guinéens les femmes sont très activent sur le plan de la contribution matérielle et financière de l'entretien et la gestion du foyer. Elles ne restent pas les mains croisées à attendre tout de leurs maris, elles s'activent et contribuent pratiquement plus que l'homme dans l'ensemble.
    En dehors de ces zones où les pratiques traditionnelle restent de mises pour résoudre les problématiques des couples modernes qui sont multiples dont pour la plupart sont issus d'un déséquilibre de responsabilités financières et matérielles entre les conjoints. C'est pourquoi pour résoudre cela il faut revoir les bases de Fondations matérielles du couple au Sénégal, il faut légiférer pour exiger aux familles qui offrent la main de leurs filles en mariage des responsabilités accrues, c'est à dire augmenter la responsabilité financière de la femme dans la gestion partagée du foyer comme par exemple en Asie du sud est où la femme se retrouve être un partenaire de support des charges et pas une elle même. Au Sénégal la femme amène avec elle ce qu'elle est, et n’apporte rien d'autres avec elle pour contribuer financièrement cela de manière indéfinie dans la gestion et l’entretien du couple. Ce qui au fur du temps devient un poids et une pression permanente chez son conjoint, un état de fait qui finissent par se retourner contre elle en effaçant l’amour et en la réduisant en un fardeau qui frustrée de la nouvelle attitude de son mari ne reste pas silencieuse où des conflits et querelles permanents. Ainsi se crée une situation délictuelle où tout devient imprévisible.

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