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[Focus] Qu'est-ce qui fait courir les figures de la société civile ?

Auteur: Léna Thioune

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Sur les réseaux sociaux ou les plateaux de télévision, certains membres de la société civile sénégalaise sont critiqués par des acteurs politiques. Cela est dû à leurs prises de position sur l’actualité, notamment politique, souvent contraires à celles des gouvernants. Ces derniers doutent en effet de l’impartialité de certains membres de la société civile, allant même jusqu’à évoquer la question du financement dont bénéficient certaines organisations de cette société civile sénégalaise.Il est de notoriété publique que la relation entre la société civile et les tenants du pouvoir est loin d’être une histoire d’amour. Lors de sa prise de parole ce jeudi 10 juillet après le conseil national de Pastef, le chef dudit parti, par ailleurs Premier ministre, Ousmane Sonko, a utilisé le mot « fumiers » pour qualifier une partie des membres de la société civile. Une déclaration qui montre à quel point les relations sont tendues entre les autorités actuelles et la société civile. À l’origine, les nombreuses et divergentes prises de position notées récemment suite à la multiplication des arrestations et convocations de journalistes et chroniqueurs. Ces avis posent la question de l’objectivité de la société civile sénégalaise. Sur la neutralité ou non des membres de la société civile, le doyen Alioune Tine est catégorique : « Je ne suis pas neutre parce que je combats l’injustice. Face à l’injustice, face aux violations des droits humains, je ne suis pas neutre. J’ai toujours été comme ça face aux violations des droits de l’homme. » Demba Seydi, directeur de programme de la plateforme Citoyens actifs pour la justice sociale (Cajust), qui considère que la société civile sénégalaise « n’est pas du tout neutre », explique qu’il faut quand même nuancer. « L’histoire d’Ousmane Sonko a révélé les appartenances politiques des uns et des autres, même s’ils ne sont pas des partisans. Mais je sais aussi que chacun d’entre nous a un penchant pour un acteur politique », affirme-t-il.Souvent très critiquée par les acteurs politiques, la société civile a pourtant joué un rôle crucial pour le maintien de la liberté d’expression au Sénégal. Un acquis qu’elle n’est pas prête à céder malgré les insultes. « On combat pour la liberté d’expression depuis des années. C’est tout ça qui a donné l’alternance. Nous avons mené des luttes pendant longtemps, contre Diouf, contre Senghor, contre Wade, et c’est ce qui a amené ce pluralisme au Sénégal. Ce n’est pas maintenant qu’on va dire aux gens de ne pas parler », souligne le fondateur d’Africajom Center. Cependant, Demba Seydi concède que certains propos tenus sur la place publique doivent être condamnés. Pour l’expert en gouvernance et transparence, il ne s’agit pas de faire « un amalgame entre ces arrestations et la liberté d’expression ». « La seule sanction de ces individus qui tiennent des propos injurieux sur la place publique, c’est que la justice les convoque. Et ça, c’est encadré par le Code pénal : les injures publiques, les propos diffamatoires, les propos qui ne respectent pas les mœurs… », dit M. Seydi.Alioune Tine, lui, suggère un autre moyen de contrainte contre ces dérives verbales pour maintenir la démocratie au Sénégal. « Ce n’est pas à la police ou au procureur de la République d’arbitrer vraiment les débats, surtout en démocratie. Il faut peut-être trouver d’autres méthodes que la prison », dit-il.Par ailleurs, la société civile a aussi pour rôle de sensibiliser les acteurs sur la prise de parole en public. Il faut « avertir et poser des garde-fous par rapport à tous ceux qui prennent la parole sur la place publique. Faire comprendre aux Sénégalais qu’on peut donner son opinion sans forcément injurier les autres », propose Demba Seydi, qui invite par ailleurs la société civile à « collaborer avec la justice sénégalaise afin de créer un climat de confiance entre les différents acteurs ».L’argent, nerf de la guerreLa société civile, souvent accusée de mener des combats d’autrui, voit ses sources de financement remises en cause. D’ailleurs, lors de son discours face à ses militants, Ousmane Sonko a dit « qu’il faut faire voter une loi pour interdire les financements étrangers à la société civile ». Une menace qui résulte plus « d’une frustration » du chef de parti, selon Demba Seydi. Sinon, le directeur de programme estime que l’État du Sénégal connaît les procédures de financements extérieurs dont bénéficient des organisations de la société civile. « La société civile reçoit beaucoup plus de financements de la part des fondations internationales et étrangères. Ce sont des fondations dont l’action au Sénégal est accréditée par le gouvernement du Sénégal. C’est ce qui permet à ces fondations d’intervenir dans des pays comme le Sénégal. Elles suivent clairement les procédures juridiques qui leur permettent d’intervenir dans ces pays, mais aussi d’injecter le financement dans ces pays-là », dit M. Seydi. D’ailleurs, ce dernier estime que le Premier ministre de l’État du Sénégal ne peut pas ignorer toutes ces procédures. « La deuxième source de financement des organisations de la société civile sur le financement étranger vient de certains gouvernements, comme les États-Unis avec l’USAID, la France avec l’AFD. Toutes ces entités ont un public occidental qui finance les organisations de la société civile. Il y a un certain nombre de procédures qui ne sont pas censées être ignorées en tant que Premier ministre. Des procédures qui permettent à ces organisations ou ces entités d’attribuer des financements aux organisations de la société civile sénégalaise », a-t-il affirmé.En lieu et place d’une interdiction totale des financements étrangers, le financement de la société civile sénégalaise pourrait bénéficier d’un encadrement de l’État. « Si aujourd’hui, il disait qu’on va encadrer les financements des organisations de la société civile pour qu’on soit beaucoup plus regardants sur les financements des organisations de la société civile, ça, je suis d’accord. Et nous l’avons toujours dit : que le gouvernement nous donne de l’argent et nous, on va travailler. Effectivement, dans les pays où la démocratie est beaucoup plus consolidée, l’État devrait aussi financer la société civile », propose Demba Seydi.Comme les médias, la société civile sénégalaise se heurte à des reproches de la part d’actuels membres du gouvernement. Le point de discorde avec les tenants du pouvoir reste commun : les médias et la société civile ne s’intéressent pas au train qui arrive à l’heure !
Auteur: Léna Thioune

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