SERIE : LE MONDE TEL QUEL ! (Par Michelle Ndiaye et Désiré Assogbavi*)
SERIE : LE MONDE TEL QUEL !
L’ONU à 80 ans : Une occasion cruciale de renouveau
Par Michelle Ndiaye et Désiré Assogbavi*
Alors que les Nations Unies célèbrent leur 80ᵉ anniversaire, la communauté internationale se trouve à un moment charnière de la diplomatie mondiale. Depuis huit décennies, l’ONU constitue le socle de la coopération internationale, affrontant des défis pressants allant du changement climatique aux droits humains. Mais aujourd’hui, face aux fractures géopolitiques, aux conflits persistants, aux inégalités croissantes et aux menaces environnementales accrues, cet anniversaire appelle à bien plus qu’une célébration : il exige un audacieux renouveau.
Pour rester pertinente au XXIᵉ siècle, l’ONU doit devenir plus agile, inclusive et réactive. C’est le moment de revigorer le multilatéralisme, de faire progresser le développement durable et de réaffirmer les principes fondamentaux de paix et de sécurité. Si nous échouons à agir, nous risquons de perdre les institutions mêmes qui garantissent la stabilité mondiale.
Cet anniversaire ne doit pas seulement honorer les acquis passés : il doit susciter un mouvement en faveur d’une réforme significative. La fenêtre d’action est étroite et les enjeux sont considérables. Une ONU plus forte et plus résiliente n’est pas un luxe : c’est une nécessité.
En mai 2025, le Secrétaire général de l’ONU a présenté une vision de réforme transformative, insistant sur la rationalisation opérationnelle et le réajustement stratégique. Plus encore, il s’agit d’un système hérité d’une autre époque, désormais inadapté aux réalités géopolitiques d’aujourd’hui. Ses propositions incluent la fusion de fonctions redondantes et une réduction d’environ 20 % des effectifs, non pour réduire la taille, mais pour accroître l’efficacité et l’impact. Ces changements marquent une nouvelle approche dans l’allocation des ressources, l’engagement dans les zones de conflit et le soutien aux États fragiles. Des réformes supplémentaires, telles que la consolidation des efforts antiterroristes et la réévaluation des bureaux régionaux, soulignent l’urgence de structures transparentes et adaptatives.
Ce moment offre une opportunité rare de transformation interne, d’influences venant de l’extérieur et de ceux qui ont le système multilatéral à cœur.
Les piliers de la réforme : Priorités et nécessité
Réformer les Nations Unies est essentiel pour bâtir une institution mondiale plus efficace et plus réactive. Les priorités clés incluent la réforme du Conseil de sécurité, qui suppose d’élargir sa composition, de réviser le droit de veto et de moderniser ses mécanismes de décision afin de refléter les réalités géopolitiques actuelles.
D’autres piliers concernent la rationalisation du Secrétariat : éliminer les lourdeurs bureaucratiques, améliorer la coordination inter-départementales et renforcer la coopération entre agences onusiennes. Cela permettrait des réponses plus efficaces face aux urgences climatiques, sanitaires et humanitaires, garantissant une organisation adaptable et pertinente.
Sur le plan de la paix et de la sécurité, l’actualisation des mandats, la sécurisation des contributions obligatoires et le raffinement des stratégies de prévention des conflits renforceraient le maintien de la paix et les efforts de résolution des conflits.
Enfin, sur l’agenda politique, promouvoir une gouvernance inclusive et une représentation équitable sera vital pour accroître la légitimité de l’institution.
Repenser la gouvernance mondiale
Dans un monde fragmenté, repenser la gouvernance mondiale est indispensable pour garantir que les institutions restent efficaces, légitimes et adaptables.
Plusieurs modèles innovants méritent attention, tels que le multilatéralisme en réseau (où un ensemble décentralisé d’agences spécialisées et d’organismes régionaux travaillent de concert), les forums de gouvernance adaptative (coalitions souples d’États se réunissant rapidement pour répondre à des urgences), ou encore les systèmes à plusieurs niveaux (associant normes globales et mécanismes régionaux ou sectoriels de gestion).
De plus, l’inclusion des parties prenantes, gouvernements, société civile, acteurs privés, peut renforcer la légitimité et stimuler l’innovation, tandis que les structures hybrides combinent organes intergouvernementaux et partenariats non gouvernementaux.
Les marques de fabrique d’institutions mondiales performantes aujourd’hui sont l’inclusivité, l’adaptabilité, la légitimité et l’efficacité, tout en équilibrant la souveraineté des états et l’action collective, une tâche délicate mais cruciale.
Certains plaident pour des alternatives aux institutions traditionnelles comme l’ONU, telles que les « coalitions de volontaires » privilégiant rapidité et réponses ciblées. Bien que ces cadres offrent de l’agilité, ils peuvent compromettre légitimité et responsabilité. Le débat persiste sur la question de savoir si les défis mondiaux doivent être affrontés par des institutions centralisées ou par des réseaux souples d’alliances.
La voix de l’Afrique dans la réforme de l’ONU
Depuis huit décennies, l’Afrique demeure la région la plus sous-représentée, tout en étant la plus concernée, au sein du Conseil de sécurité. Bien qu’elle représente 28 % des États membres de l’ONU (54 sur 193) et constitue le plus grand bloc de vote à l’Assemblée générale, l’Afrique ne dispose d’aucun siège permanent au Conseil. Cette exclusion structurelle perdure, alors même que 70 % de l’agenda du Conseil concerne l’Afrique et que plus de 50 % des Casques bleus y sont déployés.
L’Afrique est le terrain où l’ONU met à l’épreuve ses doctrines de maintien de la paix et ses interventions humanitaires, mais elle reste absente des salles de décision. Le Consensus d’Ezulwini de 2005 a exprimé la demande unifiée de l’Afrique pour au moins deux sièges permanents avec droit de veto et cinq sièges non permanents. Près de vingt ans plus tard, cette revendication reste sans réponse, illustrant la façon dont les réformes sont continuellement différées, tandis que la légitimité du Conseil de sécurité s’érode.
Alors que de nouvelles puissances émergent en Asie et en Amérique latine, ignorer l’Afrique risque de rendre l’ONU institutionnellement obsolète. À 80 ans, l’ONU ne peut plus perpétuer la géopolitique de 1945, époque où la plupart des pays africains vivaient encore sous domination coloniale. Une ONU renouvelée doit affronter cette injustice historique, non seulement en accordant à l’Afrique une place à la table, mais aussi en amplifiant sa voix dans la gouvernance mondiale de la paix, de la sécurité et du climat.
Perspectives : Une vision pour l’avenir
À ce carrefour décisif, la voie à suivre n’est pas seulement claire : elle est urgente. Le prochain chapitre de la gouvernance mondiale sera défini par notre volonté d’embrasser le changement, de repenser les systèmes figés et de bâtir des institutions à l’image des réalités actuelles. Née des cendres du conflit mondial, l’ONU doit désormais évoluer pour répondre aux défis d’un monde fragmenté et en constante mutation.
Cette évolution exige plus qu’une réforme structurelle ; elle requiert un changement d’état d’esprit. Sans cela, le mouvement croissant autour des « coalitions de volontaires » pour gouverner les affaires mondiales risque de s’imposer. Ces coalitions, animées par des intérêts partagés, valorisent flexibilité, initiative et action collective. Mais leur essor pose aussi des défis liés à la légitimité, à la coordination et à la responsabilité.
Les perspectives qu’offrent ces coalitions comportent à la fois des opportunités et des risques majeurs. D’une part, elles permettent des interventions rapides face aux menaces sécuritaires, au changement climatique ou à l’instabilité économique. Mais d’autre part, leur efficacité dépendra de leur transparence, de leur inclusivité et de leur capacité à éviter la domination des puissances, qui pourrait accentuer les inégalités géopolitiques et fragmenter la gouvernance mondiale.
Si elles sont bien gérées, ces coalitions pourraient compléter les institutions internationales existantes et renforcer une gouvernance plus adaptative. Mais si elles s’imposent sans garde-fous, elles risquent de nourrir l’unilatéralisme et de miner la stabilité mondiale.
Conclusion
Le 80ᵉ anniversaire de l’ONU ne doit pas être une simple commémoration : il est un appel à l’action pour l’avenir. Nous devons dépasser les discours pour passer à la détermination. Réformer l’ONU n’est pas un exercice technique : c’est un impératif moral. Les crises actuelles — effondrement climatique, conflits violents, pandémies, montée de l’autoritarisme — exigent une institution mondiale audacieuse, réactive et profondément humaine dans son approche.
Que ce moment soit celui du choix de la transformation plutôt que de la complaisance. Que cette année soit celle où nous réimaginons la coopération mondiale. L’avenir de l’ONU n’est pas gravé dans le marbre : il dépend du courage de ceux qui croient en un monde meilleur et qui s’engagent à le bâtir.
Nous n’avons pas le droit de manquer cette occasion. « Le monde nous regarde. L’Histoire nous écoute. Et l’avenir nous attend » (Premier ministre Mia Mottley), rappelant ainsi la gravité du moment et la responsabilité qu’il implique.
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*Michelle Ndiaye est Directrice du programme Paix transformative en Afrique à la Fondation Open Society et ancienne Représentante spéciale de l’Union africaine en RDC.
*Désiré Assogbavi est Conseiller en plaidoyer à la Fondation Open Society.
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