Il marche sur les pas de Léopold Sédar Senghor, 76 ans après.Le professeur Oumar Sankharé, agrégé de Lettres classiques depuis 1983, est depuis le 8 juillet dernier le second Africain agrégé de grammaire après son mentor.Nous l’avons rencontré vendredi dernier dans son bureau, transformé parfois en salle de classe selon les besoins, à la Faculté de Lettres à l’Ucad. Le grammairien a reçu les félicitations de ses étudiants, des collègues et amis. Mais, les autorités étatiques ni sa tutelle n’ont encore congratulé le nouvel agrégé de grammaire.Dans l’entretien qui suit, le Pr Sankharé dit comment il compte lutter contre la baisse de niveau constaté dans l’éducation. Membre du Parti socialiste, il jette un regard sur la scène politique et dévoile les ambitions cachées de Khalifa Sall, le maire de Dakar. Entretien !
Wal Fadjri : Le 8 Juillet dernier, vous avez obtenu l’Agrégation de grammaire ; quel a été votre sentiment à l’annonce de cette nouvelle ?
Pr Oumar SANKHARE : J’étais très content. Il faut que je le dise en plus, j’étais fier, fier d’être le second Africain à obtenir l’agrégation de grammaire. Puisque vous savez que le premier noir agrégé, c’était Senghor. Il a eu son agrégation de grammaire en 1935 et depuis lors aucun autre Africain n’a eu cette agrégation. Je suis d’autant plus content parce qu’en plus, je suis le seul Africain à avoir deux agrégations de Lettres classiques en 1983 et de grammaire en 2011.
Comment avez-vous préparé ce concours ?
D’abord j’étais animé d’une grande volonté. Il me fallait vraiment réussir. Pour plusieurs raisons. Il me fallait montrer que j’étais le meilleur. Le meilleur parmi mes collègues universitaires, parce que vous savez ici à l’université, il y a de la jalousie. Ensuite comme Senghor l’a été, j’ai voulu suivre ses pas puisque je suis un Senghorien. Senghor disait en se vantant ‘Fi ma diar koufa diar takh bane’ en Wolof. Il me fallait lui démontrer que c’était faux et que j’en étais capable.
Avez-vous rêvé de marcher sur les pas de Senghor ?
J’ai toujours voulu marcher sur les pas de Senghor. D’abord je me souviens, quand j’étais petit, quand Senghor s’exprimait, je prenais un carnet où je notais les mots difficiles. Après, je demandais autour de moi ce que cela signifie. Par exemple, un mot comme ‘civilisation de l’universel’, je demandais à mes professeurs la signification. C’était quelqu’un de très rigoureux.
Vous avez évoqué tantôt de la jalousie ici à l’Université parmi vos collègues. Y existe-t-il réellement ce climat d’animosité ?
Oui ! En effet, il y a vraiment un climat d’animosité entre les collègues. Comme je l’ai dit tantôt, j’avais déjà été agrégé en Lettres classiques. C’est la littérature française, la littérature grecque et la littérature latine. Je suis au département de Lettres classiques où on fait le latin et le grec. Il m’arrivait quand il y avait un manque de professeurs d’enseigner le français. Ils ont trouvé que lors de mes cours les étudiants venaient nombreux. Ils ne respectaient pas les cours, parce que chaque étudiant devait aller à son cours. Mais entre étudiants, ils savent qui sont les meilleurs professeurs. Alors comme tous les étudiants venaient à mes cours, cela n’a pas plu à mes collègues. A la fin de l’année, il donnait de mauvaises notes aux étudiants pour les décourager. Depuis lors, j’ai arrêté les cours de français. Donc, avoir cette agrégation est une manière de leur montrer que je suis meilleur qu’eux. Maintenant, celui qui s’en sent capable aille le passer.
Quelle est l’agrégation le plus difficile à obtenir entre celle de grammaire et celle de Lettres classiques ?
C’est l’agrégation de grammaire. Parce qu’on en prend très peu. Par exemple, de mon temps, quand je passais l’agrégation de Lettres classiques, on en prenait soixante. Maintenant, c’est cinquante. Mais pour la grammaire, on en prenait du temps de Senghor trente, maintenant c’est cinq. Le concours est très difficile, parce que le nombre d’admis est réduit.
‘Les études sont devenues démodées parce que les jeunes voient leurs professeurs qui ont fait de longues études et qui n’arrivent pas à avoir le minimum ; alors qu’à côté, un lutteur pendant quelques secondes de combat gagne des millions. Alors ils pensent que la voie pour réussir, c’est la lutte, le sport. Au Sénégal, ceux qu’on respecte le plus, ce sont ceux qui amusent les foules.’
Est-ce que c’était votre première tentative, car votre idole Senghor a fait le concours deux fois avant de réussir ?
Non, je l’ai passé trois fois. Les deux premières fois, c’était il y a deux ans. Les raisons de ma candidature, je les ai exposées tantôt. Mais, il y a aussi une troisième raison. Je me suis rendu compte qu’au Sénégal, les gens que l’on prend pour des références ne le sont pas. Il faut voir combien d’émissions nos chaînes de télévision consacrent à la lutte. On pourrait les lister. Il y en a trop. Au Sénégal, on a l’impression qu’il n’y a que la lutte. Ce qui fait que les jeunes ne s’intéressent plus aux études.
Allez dans les plages, même dans les cours des écoles, vous trouverez des enfants qui s’entraînent à la lutte. Les études sont devenues démodées parce qu’ils voient leurs professeurs qui ont fait de longues études et qui n’arrivent pas à avoir le minimum alors qu’à côté un lutteur pendant quelques secondes de combat gagne des millions. Alors ils pensent que la voie pour réussir, c’est la lutte, le sport. Au Sénégal, ceux qu’on respecte le plus, ce sont ceux qui amusent les foules : les sportifs, les musiciens les danseurs. C’est le pays des chanteurs et des danseurs. C’est malheureux et ça n’encourage pas le développement. Nous avons besoin de jeunes qui s’instruisent, qui essaient d’accéder à l’excellence pour construire notre pays. C’est le message que je lance aux jeunes pour qu’ils ne se détournent pas des études.
Pourquoi c’est rare que des Africains réussissent à l’agrégation en grammaire ? Le constat est que 76 ans se sont écoulés pour qu’un autre Africain obtienne ce grade…
C’est dû à la difficulté de ce concours. C’est très difficile, et il n’est pas donné à n’importe qui. En plus les gens ne font plus les matières latin et grec, il faut étudier ces deux langues pour le faire.
Avez-vous été congratulé après cette réussite ?
Les collègues m’ont félicité, même si j’ai senti un peu que ce n’était pas ce qu’ils ressentaient au fond de leur cœur. Les étudiants m’ont aussi félicité. En ce moment, mon portable est rempli de messages de félicitations venant de partout. Ma messagerie est même pleine et je peux même plus recevoir de messages. Tous m’ont félicité. Mais je n’ai reçu ni les félicitations du ministre de l’Enseignement supérieur ni celles du président de la République alors qu’il est très prompt à recevoir des lutteurs pour leur donner de l’argent. Mais, moi, il ne m’a pas fait signe. Mon ami Alioune Badara Bèye, président de l’Association des écrivains du Sénégal promet de m’amener voir le président. Je me demande même, si j’irai le voir. Parce qu’après tout, je suis socialiste et actuellement quand on va chez le président aussitôt on vous suspecte de transhumance, donc j’hésite à y aller.
Vous semblez être déçu par l’attitude des autorités…
Oui ! Mais les gens ne le comprendraient pas ainsi. En tout cas, je suis en train de voir. Mais Bèye lui y tient vraiment. Il y a une date qui est presque sûre. Le ministre de la Culture, Awa Ndiaye, veut aussi venir à la maison des écrivains pour arroser cette réussite. D’ailleurs, tout le monde est invité (la cérémonie aura lieu ce jeudi à 16 h 30 à Keur Birago, Ndlr). Il faut dire que le ministre Awa Ndiaye a été mon étudiante, la première année où je suis venu à l’université en 1983. Je dispensais quelques heures de cours comme chargé de cours. Après Awa Ndiaye a passé son doctorat.
Est-il une manière pour elle de rendre hommage à son ancien professeur ?
C’est pourquoi, elle veut organiser cet arrosage à la maison des écrivains. Et ce n’est pas la première fois qu’elle le fait. Je me rappelle, une fois je devais aller aux Etats-Unis, parce qu’on m’avait invité à un colloque sur Senghor en 2006 pour le centenaire du président-poète, quand elle l’a appris, elle m’a donné beaucoup d’argent pour manifester sa reconnaissance à son ancien professeur. En revanche, je n’aime pas sa position politique ; je trouve qu’elle n’aurait pas dû être au Pds.
Quel intérêt peut-on tirer d’un tel grade ?
C’est d’abord un plaisir intérieur que je ressens. Par exemple, quand je parle en public, je me dis que je suis la personne qui comprend le mieux le français parmi tous. Peut-être que ce n’est pas vrai, mais j’ai un diplôme qui le prouve (rires). J’en tire beaucoup de fierté. Mais sur le plan matériel, je n’en tire rien. Je suis déjà Professeur titulaire de classe exceptionnelle 1er échelon, il me reste juste à gravir les deux autres échelons. Mais ces échelons ne sont pas fonction des études mais plutôt de l’ancienneté, c’est tous les deux ans.
La distinction peut-elle avoir un impact dans votre carrière ?
Il n’y a pas d’impact au niveau de mon salaire. Mais il y a un grand impact psychologique et moral aussi parce que cela va me donner plus d’assurance. Et d’ailleurs, même cela m’handicape d’un côté, car comme vous voyez (Il montre une pile de papiers), je dois revoir tous ces manuscrits que les gens me confient pour que je les corrige depuis qu’ils ont appris que je suis agrégé. Alioune Badara Bèye aussi me donne des romans à corriger, car il possède une maison d’édition. Je ne peux pas dire non à toutes ces personnes, même si quelquefois cela me fatigue. J’étais sollicité, mais maintenant je le suis encore plus. Sur le plan de l’enseignement, je donnais des cours de Lettres classiques au Togo depuis trois ans à l’université de Kara (Deuxième centre universitaire du Togo après Lomé, Ndlr). Mais depuis mon agrégation, ils veulent aussi que je dispense l’année prochaine des cours de grammaire.
Quel doit être le rôle d’un agrégé de grammaire dans une université où les étudiants peinent à parler un bon français ?
Son rôle doit être de montrer que le français n’est pas seulement une langue étrangère, mais qu’il appartient à notre patrimoine. Car le français, nous l’avons reçu de la même manière que les Français eux-mêmes l’ont reçu. C’est par la colonisation romaine que Jules César, au milieu du premier siècle avant Jésus-Christ, a conquis la Gaulle et a ainsi introduit le latin. C’est ce latin qui a évolué au fil des siècles et est devenu le français d’aujourd’hui. Selon les airs en Europe où le latin a évolué, il a donné le français, le romain, l’italien et l’espagnol qu’on appelle les langues romanes. Donc, nous aussi, nous avons reçu le français par la colonisation française. Saint-Louis a été la porte d’entrée du français en Afrique. Parce que c’est au début du 19e siècle que la première école française a été ouverte à Saint-Louis. Mais malheureusement, aujourd’hui les Français sont ceux qui parlent le moins bien le français et même ici au Sénégal.
Et comment l’expliquez-vous ?
Si vous voyez ici au Sénégal, les gens sont plus habitués à parler Wolof que français ; alors que par exemple au Togo tout le monde parle français. Puisqu’ils ont beaucoup de langues nationales, il leur faut passer par le français, alors qu’ici tout le monde comprend Wolof. Les étudiants et même les enseignants sont très faibles en français. Pour s’en rendre compte, il faut voir les maîtres dans les écoles primaires.
On m’a une fois raconté l’anecdote d’une maîtresse qui parlait Wolof avec ses élèves, car elle n’était pas habituée à parler le français. Il y a un mois de cela, lors d’une fête ici à l’université, une chaîne de télévision a interrogé une étudiante. Ils lui ont demandé de citer trois Etats européens, elle a cité la France, l’Amérique… Le journaliste lui a alors demandé si l’Amérique était un Etat européen, elle a dit oui, puis a soutenu ne pas en connaître un troisième. Le journaliste n’en revenait pas ; il s’est demandé s’il avait en face de lui une étudiante ou pas.
‘Je n’ai reçu ni les félicitations du ministre de l’Enseignement supérieur ni celles du président de la République ; alors qu’il est très prompt à recevoir des lutteurs pour leur donner de l’argent. Mais, moi, il ne m’a pas fait signe.’
Cette baisse de niveau est-il due à un problème de méthode d’enseignement ou de contenu ?
Non, il y a l’environnement linguistique aussi. A chaque fois que vous entendez parler, ce sont des fautes dans les radios, télévisions, sur les murs, bref, partout. Par exemple, on écrit : ‘défense d’iriner, ou vente de birique, etc. ’. Il y a aussi l’anglais, beaucoup de mots anglais terminent par ‘C’ ; alors qu’en français, ils terminent par ‘Que’. C’est ce mélange qui fait que les élèves et étudiants n’arrivent plus à écrire correctement les maux. Il y a aussi les Sms qui sont très dangereux. Parce que, si vous êtes habitué, vous n’allez plus écrire correctement. Vous aurez tendance à mettre des sons. Vous aurez tendance à simplifier les choses. (…).
A qui la faute ?
A tout le monde, aux enseignants, aux élèves et surtout au système. De nos temps, il n’y avait pas de volontaire, ni de vacataire. C’étaient des enseignants qui étaient bien formés, qui maîtrisaient les programmes et qui avaient une bonne formation pédagogie. Ce n’était pas comme maintenant, où on prend quelqu’un qui vient d’avoir le Bfem et on l’envoie dans les classes comme volontaire ; et quelqu’un qui à le Bac on l’amène comme professeur alors qu’il n’a pas la pédagogie. Cela fait que les enseignants ne sont plus à la hauteur.
Un jour, j’ai été président de jury au Bac et vous savez pour les épreuves de français, on donne souvent un poème et des questions. Les enseignants n’étaient pas en mesure de corriger correctement les copies. Il a fallu que je leur remette le corrigé type pour qu’ils ne commettent pas de faute dans les corrections. Ils ne connaissaient pas les réponses. Et c’est fréquent au Bfem. Certains ont des diplômes payés. C’est pour toutes ces raisons que je ne vais plus au baccalauréat, je suis dégoûté. (…).
Face à ce constat, n’avez-vous pas peur de la tâche qui vous attend en tant agrégé de grammaire ?
J’en ai effectivement peur. Parce qu’il y a une certaine majorité de Sénégalais qui ne veulent pas du français par idéologie. Ils se disent que le français est une langue étrangère. Ils plaident en faveur des langues nationales. J’écris souvent dans Le Quotidien où je fais des rubriques par rapport aux fautes de français. Dès fois, les gens m’écrivent pour me dire : ‘Ce que vous faites-là pour le français, pourquoi ne le faites-vous pas pour nos langues nationales. Vous êtes en train de faire le combat que d’autres auraient dû faire mais pas vous, parce que vous n’êtes pas Français mais Sénégalais’. Ils me demandent de faire ce travail en Wolof ou autres.
Mais, moi, je ne leur réponds pas. D’abord, eux n’y croient pas, c’est un fonds de commerce. Parce qu’aucun de ceux-là qui m’écrivent pour me dire cela, n’enverrait son enfant étudier le Wolof. La plupart envoient leurs enfants à l’étranger et l’étranger n’est pas le meilleur endroit pour apprendre le Wolof. Moi je n’éprouve pas de complexe. Je pense que le français est utile à l’Afrique ; il nous permet de nous ouvrir. Si, aujourd’hui, je peux parler à un Togolais, un Malien ou un Canadien, c’est grâce au français. Donc le français est une langue unificatrice.
Le président Wade a par ailleurs parlé de l’introduction de l’anglais dans les écoles, qu’en pensez-vous ?
Il s’agit d’une bonne chose. Car il ne faut pas nier que l’anglais est devenu la 1ère langue au monde ; même si ce n’est pas par rapport au nombre de personnes qui le parlent. Parce que si on considère cela, c’est le Chinois qui est plus parlé. Mais l’anglais est la langue internationale. Tout intellectuel devrait parler anglais. Moi-même, j’ai suivi des cours d’anglais au centre culturel américain.
Par rapport à cette situation quel doit être le rôle d’un agrégé de grammaire ?
Ce que je peux faire, c’est de continuer d’animer ces rubriques dans les journaux comme au Quotidien pour essayer de corriger certaines tournures fautives qu’emploient les Sénégalais. Mais en même temps, j’écris des ouvrages où j’essaie de montrer comment écrire le français. J’ai déjà écrit trois romans : ‘La Nuit et le jour’ - ‘L’état d’urgence’ - ‘La Vallée des larmes’. J’ai écrit aussi des essais ; deux sur Youssou Ndour, le poète, Youssou Ndour, artiste et artisan du développement. Et le troisième essaie sera consacré à Senghor ; c’est un commentaire du recueil de Senghor appelé Ethiopiques.
Pourquoi le chanteur Youssou Ndour vous fascine-t-il tant ?
Youssou Ndour, dans une certaine mesure, est peut-être un modèle. Voilà quelqu’un qui a quitté l’école en classe de cinquième et qui a réussi à se former. Aujourd’hui, il parle le français assez bien, l’anglais aussi jusqu’à présent malgré le fait qu’il soit très riche, il continue toujours à se former. Ensuite, avant Youssou Ndour, on disait qu’un musicien était égal à un voyou. Maintenant, il a montré qu’on pouvait faire de la musique, être un homme saint et même gagné sa vie avec la musique.
Il y a deux ans, je l’ai invité à la faculté des Lettres lors des journées culturelles des étudiants et le discours qu’il a tenu aux étudiants est à saluer. Il leur a dit : ‘Vous savez que je suis immensément riche, je suis connu partout, mais il y a quelque chose qui me manque, c’est que je n’ai pas fait suffisamment d’études. Donc si j’étais à votre place, je serais véritablement le meilleur, car je m’y donnerais corps et âme. Vous avez une chance inouïe, saisissez-là. ’
Quel constat faites-vous de l’usage du français dans les écoles ?
Pas seulement dans les écoles, dans les médias, à la télévision, la radio et les journaux. Le français que l’on entend est vraiment très terre à terre ; c’est truffé de fautes. Parce que les gens ne se plient plus aux règles de grammaire ; ils ne les étudient plus. Senghor corrigeait les journalistes en les écoutant faire des fautes. Ils les convoquaient au Palais devant un tableau et faisait sa leçon de grammaire, par exemple sur comment s’accorde le participe. Maintenant, on ne peut plus faire ce genre de chose. C’est dire qu’il tenait vraiment à la belle langue.
Beaucoup d’enseignants diplômés et agrégés partent vers d’autres horizons, comme les Usa. N’êtes-vous pas tenté, avec votre agrégation en grammaire, de partir à votre tour ?
Non ! Je ne peux pas partir, parce que je tiens bien à rester au Sénégal. Ce que j’aime, c’est peut-être être invité à des colloques, conférences internationales mais ne pas quitter le Sénégal. Parce qu’aussi, il faut rendre hommage au gouvernement de Wade qui a véritablement relevé les salaires des enseignants des universités. Parce que quand Wade venait au pouvoir, un assistant n’avait pas 200 mille francs de salaire. Aujourd’hui, les assistants commencent à 600 mille francs Cfa. Les professeurs avaient à peu près 500 mille francs Cfa ; aujourd’hui, ils ont au minimum un million de francs Cfa. Il a vraiment relevé le salaire des enseignants, ça c’est à la gloire de Wade. (Rires). Il y a aussi beaucoup d’avantages liés à la fonction (…).
On en revient à la politique, pourquoi disiez-vous que Awa Ndiaye ne doit pas milité au Pds ?
Parce que le Pds a détruit le Sénégal. Je sais qu’elle ne viendra pas au Ps. Et depuis qu’elle est au Pds, elle n’a plus les mêmes relations. Vous savez qu’elle a enseigné ici pendant quelques années. Après, elle a été happée par la politique. Elle a presque rompu le contact avec tous ses collègues. Et puis, en général, les universitaires sont des gens de l’opposition. L’opposition regroupe des gens qui veulent le progrès du pays. Alors qu’au Pds, ce sont leurs propres intérêts qui les intéressent.
Le Pds n’est-il pas un ancien parti de l’opposition ?
Oui, ils ont été un parti de l’opposition. Mais dès qu’ils sont venus au pouvoir, ils ont oublié ce qu’est l’opposition. Maintenant, ils sont les adversaires des opposants. Il faut qu’ils soient loyaux. Parce que, si Abdou Diouf avait fait comme eux, ils ne seraient pas parvenus au pouvoir. Il faut qu’ils organisent les élections de manière transparente.
Doutez-vous de la transparence des prochaines élections ?
Je sais qu’ils n’ont pas été élus en 2007. Ce sont des fraudes qui leur ont permis de se maintenir au pouvoir. Et pour les prochaines élections, je crains des incidents. En tout cas, le sang va se verser. Parce que Wade n’acceptera jamais de céder le pouvoir de lui-même et les jeunes comme le mouvement Y en a marre ne l’accepteront pas.
Que pensez-vous de cette multitude de candidatures pour l’élection présidentielle ?
J’ai l’impression qu’ils le font pour s’amuser. Or, ils ne savent pas la gravité de cette entreprise. Parce qu’être chef d’Etat, c’est être comptable du destin d’un peuple. Quand on y va, il faut véritablement être un homme responsable, et quelqu’un qui y va pour l’intérêt de ses compatriotes mais pas pour ses propres intérêts. Ce que je reproche à certains candidats, c’est parce qu’ils ont toujours servi le pouvoir de Wade. Aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont mécontents, qu’ils ont quitté le parti de Wade pour former leur parti et se présenter à l’élection présidentielle.
Faites-vous allusion aux Gadio, Idrissa Seck, Aminata Tall, etc. ?
Il y a Idrissa Seck, Gadio, Macky Sall, Aminata Tall. Ils ont servi Wade pendant une dizaine d’années, ils ont fait beaucoup d’erreurs et comme Wade les a peut-être frustrés, ils sont sortis du Pds pour se présenter. Je trouve que ce n’est pas sérieux. Parce qu’on ne doit pas être animé d’un esprit de revanche. Ils cherchent le pouvoir pour se venger de Wade, certainement. Je crois qu’on ne doit pas chercher le pouvoir en vue d’une vengeance. On doit chercher pour travailler dans l’intérêt de son peuple.
Pourquoi Bennoo tarde-t-il à divulguer son candidat ?
Parce qu’il y a un contentieux entre eux. Certains socialistes imputent toujours à Niasse leur défaite de 2000. S’il n’avait pas reporté ses voix au Ps, on n’en serait pas là. Aujourd’hui, ils ne peuvent pas soutenir Moustapha Niasse à cause de ce précédent. Si Niasse est choisi, je suis sûr que les ¾ voteront contre lui. C’est un contentieux qui est là.
‘Tout le monde sait que Khalifa Sall a des ambitions présidentielles. D’ailleurs, il a mis sur pied un groupe qui s’appelle ‘Fans club Khalifa Sall’ pour son élection à la présidence. Certes, publiquement, il a dit qu’il n’était pas d’accord avec la création de ce mouvement, mais ce mouvement continue à exister et il le sait.’
Pensez-vous que Tanor soit l’homme de la situation ?
Oui, je le pense réellement. Non pas parce que je suis socialiste, mais j’ai vu tous les acteurs politiques et j’ai vu ce qu’il a fait depuis 2000. Vous savez que beaucoup de gens pensaient à cette époque que le Parti socialiste allait mourir. La plupart avaient transhumé pour aller au Pds ; seuls quelques rares militants convaincus étaient restés au Ps. Tanor a essayé de gérer tout cela, a maintenu le cap et maintenant le Ps s’est bonifié ; bon nombre de personnalités - surtout les jeunes - sont venues massifier le parti. Moi-même je n’ai jamais fait de politique, c’est seulement, il y a cinq ou six ans, avec un groupe de collègues nous avons formé le Réseau des universitaires du Parti socialiste et nous nous sommes inscrits au Ps. Et en tant que coordinateur du réseau des universitaires, je suis membre du Bureau politique du Ps.
Quel est l’apport de ce Réseau dans le parti ?
D’abord un rôle de réflexion. Nous sommes dans le parti, mais nous gardons une certaine indépendance. Nous réfléchissons, nous conseillons le secrétaire général et nous animons le parti à travers des conférences débats. Nous expliquons ce que nous voulons faire ; bref nous sommes la tête pensante du Ps.
Certains ont évoqué à un moment donné le nom de Khalifa Sall, le maire de Dakar, pour prendre la tête du Ps, en lieu et place de Tanor, parce que ce dernier n’aurait pas le charisme…
C’est l’entourage de Khalifa Sall qui véhicule de tels propos. Parce que tout le monde sait maintenant que Khalifa Sall a des ambitions.
Des ambitions présidentielles ?
Oui ! Tout le monde sait que Khalifa Sall a des ambitions présidentielles. D’ailleurs, il a mis sur pied un groupe qui s’appelle ‘Fans club Khalifa Sall’ pour son élection à la présidence. Certes publiquement il a dit qu’il n’était pas d’accord avec la création de ce mouvement, mais ce mouvement continue à exister et il le sait. Et même, tout dernièrement, lors d’un comité central du parti, ses proches avaient demandé qu’on renouvelle les instances du parti. Mais on leur avait dit à quelques mois de l’élection présidentielle comment peut-on renouveler les instances ? Tout cela parce qu’il pensait en profiter pour positionner Khalifa Sall pour qu’il soit le candidat du parti. Donc, je crois qu’il est en train de manigancer pour être le candidat du Parti socialiste. Mais la majorité veut Tanor.
Ne va-t-on pas vers deux candidats du Ps à l’élection présidentielle ?
C’est possible. Je crois que Khalifa Sall est assez intelligent pour ne pas aller jusque-là, parce que c’est lui qui en perdrait. Certes, le Parti va y perdre, car il a beaucoup de militants avec lui et en plus, il a la mairie de Dakar, donc il a les moyens financiers. Car vous savez au Sénégal, les gens n’ont pas un degré de militantisme très avéré. Très souvent ils sont retenus par les biens économiques.
Qu’est-ce qui vous a amené à militer au Ps ?
D’abord Senghor, pour suivre Senghor. Les autres partis comme le Pds sont en train de détruire le Sénégal. Wade ne fait que détruire le Sénégal sur tous les plans, depuis onze ans. Vous ne pouvez pas citer un secteur qui marche au Sénégal, c’est impossible. Et l’éducation est pire. On a construit beaucoup d’écoles qui ne sont là que pour donner des marchés aux partisans de Wade.
Quel sont vos projets aujourd’hui ?
Continuer mes recherches sur le Coran. J’ai étudié l’arabe et j’étais aussi à l’institut islamique de Dakar. Je vais continuer à écrire des romans, des essais. J’avais déjà écrit un livre de grammaire, mais comme je n’étais pas encore agrégé, je ne voulais pas le sortir. Maintenant que je le suis, je peux le publier, j’ai la notoriété et cela donne plus de confiance aux éditeurs.
Propos recueillis par Fatou K. SENE
EN SEPT DATES
1950- Naissance à Thiès.
1969- Baccalauréat au lycée Malick Sy de Thiès.
1980- Doctorat de 3e cycle à la faculté de Lettres de Dakar.
1983- Agrégation de Lettres classiques à Paris.
1984- A nos jours- Enseignant à la faculté de Lettres de L’Ucad.
2006- Militant au Ps, membre du bureau politique.
2011- Seul Africain agrégé de grammaire.
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