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Mali : du rêve démocratique de 1991 aux défis d’une refondation incertaine

Auteur: Aminata Traoré

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Le 26 mars 1991, le peuple malien écrivait l'une des pages les plus vibrantes de son histoire contemporaine. Ce jour-là, une insurrection populaire, menée par des étudiants, des travailleurs et des militaires patriotes, mettait fin à 23 années de dictature sous le régime du général Moussa Traoré. Le Mali entrait alors dans une ère nouvelle, celle de la démocratie, de l'État de droit et du pluralisme politique. L'espoir était immense, presque palpable, porté par des rêves de liberté, de justice et de progrès.
Trente-quatre ans plus tard, cet héritage démocratique vacille, pris en étau entre désillusion populaire, insécurité croissante et refondation politique controversée. La récente abrogation de la Charte des partis politiques marque symboliquement la fin d’un cycle ouvert en 1991, et pose une question essentielle : que reste-t-il du rêve malien ?
1991–2025 : l’ivresse de la liberté, puis les brèches de la désillusion
Dans les années 1990, le Mali faisait figure de pionnier en Afrique de l’Ouest. L’adoption d’une nouvelle Constitution en 1992 garantissait les libertés fondamentales : liberté d’expression, liberté d’association, indépendance de la presse. Le pluralisme politique permettait la naissance de dizaines de partis, et les médias indépendants fleurissaient dans tout le pays. Bamako, Ségou, Kayes… les radios libres devenaient des tribunes où la parole citoyenne s’élevait avec force.
La décentralisation, autre pilier de la réforme, donnait aux collectivités locales un rôle central dans la gestion des affaires publiques. L'État semblait enfin se rapprocher des citoyens. L'économie, elle aussi, s’ouvrait, avec la libéralisation des marchés, l’essor d’un secteur privé dynamique, et l’intégration progressive dans les dynamiques régionales.
Ce Mali-là, malgré ses fragilités, portait en lui une promesse : celle d’un pays capable de conjuguer démocratie, développement et dignité.
L'échec d'un modèle politique : entre clientélisme, corruption et crise sécuritaire
Mais cette promesse n’a pas résisté à l’épreuve du temps. Les coups d’État successifs (2012, 2020, 2021) ont mis à nu la fragilité des institutions. Pire encore, ils ont révélé la faillite d’un système politique miné par l’opportunisme et le clientélisme. Les partis, devenus de simples coquilles vides, n’étaient plus porteurs de projets de société mais de stratégies d’ascension individuelle. Le pluralisme s’est transformé en anarchie partisane, avec près de 300 formations politiques, souvent créées pour capter les financements publics.
La corruption, l’impunité et le détournement des ressources ont éloigné les citoyens des urnes. En 2024, seuls 12 % des Maliens déclaraient faire confiance à leurs institutions. Dans les campagnes, sur les marchés, dans les familles, la question revenait en boucle : « À quoi sert de voter, si rien ne change ? »
Dans le même temps, l’insécurité s’est enracinée. Du nord au centre, des pans entiers du territoire échappent au contrôle de l'État, livrés aux groupes armés, aux trafics et aux violences intercommunautaires. Cette situation a achevé de désacraliser les élites politiques et a contribué à un rejet massif du modèle démocratique en vigueur.
2025 : la dissolution des partis, un point de rupture historique
C’est dans ce contexte que le 13 mai 2025, le président de la Transition, le Général Assimi Goïta, a promulgué la loi n°2025-005 abrogeant la Charte des partis politiques de 2005 et le Statut de l'opposition. Cette décision marque un tournant radical. Elle ne signifie pas l’abandon du multipartisme, la Constitution de 2023 le garantit encore, mais elle acte la fin d’un modèle politique jugé inefficace, corrompu et déconnecté des réalités populaires.
Le gouvernement justifie cette abrogation comme une mesure transitoire, en vue de la mise en place d’un nouveau cadre juridique plus rigoureux, plus représentatif et en phase avec les aspirations des citoyens exprimées lors des Assises Nationales de la Refondation (ANR) de 2021.
Mais derrière cette ambition de refondation, de nombreuses interrogations demeurent. L'interdiction des activités politiques, la suspension du financement public, l'absence temporaire de représentation politique organisée... tout cela fait craindre une vacance démocratique, voire un recul autoritaire si la transition venait à se prolonger.
Le Mali, entre nostalgie et quête d’avenir
Ce que vit le Mali aujourd’hui, c’est le deuil d’un modèle, mais aussi l’ouverture d’un espace de recomposition. Il ne s’agit pas de rejeter 1991, mais d’en comprendre les limites. La nostalgie des années post dictature n’est pas une faiblesse : elle rappelle que le peuple malien a su, par sa propre mobilisation, faire plier un régime oppressif et ouvrir une voie démocratique. Le passé doit servir de boussole, non de tombeau.
Face aux défis géopolitiques (désengagement des partenaires occidentaux, montée des influences russes et chinoises), sécuritaires (terrorisme, banditisme, conflits identitaires), économiques (chômage massif, pauvreté structurelle, inflation), le Mali ne peut se permettre une aventure hasardeuse. Il lui faut inventer une démocratie malienne, enracinée, pragmatique, audacieuse.
Refonder : oui, mais avec et pour le peuple
La transition actuelle peut être un moment fécond, à condition qu’elle ne serve pas à légitimer une confiscation du pouvoir. Elle doit être participative, transparente et orientée vers le bien commun. La société civile, les jeunes, les femmes, les autorités traditionnelles, les diasporas… tous doivent être associés à la construction du futur cadre politique.
La démocratie ne doit plus être un concept importé, mais un processus vécu. Elle doit reposer sur des valeurs maliennes, sur l’histoire de résistances locales, sur la quête d’équité, de justice et de cohésion.
Un nouveau contrat social à bâtir
Ce que le Mali doit aujourd’hui à son peuple, c’est une promesse refondée, un contrat social qui dépasse les logiques de partis et de privilèges. Un système où l’accès aux services publics ne dépend pas de la proximité politique, où les ressources nationales profitent aux populations locales, et où l'État est réellement présent dans chaque commune.
La beauté du Mali ne réside pas seulement dans ses paysages, ses mosquées de terre, ses cultures millénaires. Elle est dans la dignité de son peuple, dans la mémoire de ses luttes, et dans la résilience de ses citoyens.
Conclusion : tenir la flamme
Trente-quatre ans après la chute de Moussa Traoré, le Mali est à nouveau à la croisée des chemins. Entre régression autoritaire et renaissance démocratique, il faudra choisir. Refonder, ce n’est pas effacer. C’est réinventer, à partir de ce qui fut beau et juste, pour construire ce qui sera fort et durable. C’est en gardant vivante la flamme de mars 1991, que le Mali pourra éclairer son avenir.
Auteur: Aminata Traoré
Publié le: Lundi 19 Mai 2025

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